« Le soutien, l’écoute, la présence et la disponibilité auprès des confrères » - La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1798 du 16/02/2019

ENTRETIEN AVEC JOËLLE THIESSET

ACTU

Notre consœur Joëlle Thiesset, praticienne en Savoie, est la nouvelle présidente de l’association Vétos-Entraide. Elle nous présente ses avancées et ses enjeux pour aider à lutter contre le mal-être au sein de la profession.

Quel est l’objectif principal de l’association aujourd’hui ?

L’activité principale de l’association reste le soutien, l’écoute, la présence et la disponibilité auprès des confrères. Nous répondons par e-mail ou par téléphone aux sollicitations des vétérinaires.

Beaucoup d’informations sont disponibles librement sur le site de l’association1 : de la gestion de l’euthanasie de l’animal, à celle de l’argent ou de sa réputation numérique, etc. Ces informations sont à disposition dans un objectif de prévention du mal-être.

Nous utilisons le principe de l’écoute rogérienne (écoute active et bienveillante) qui renvoie vers le participant ses sentiments afin qu’il puisse développer sa propre réflexion sur la situation qu’il vit. L’objectif est de permettre à chacun de trouver sa solution, qui n’est pas forcément « la nôtre ». Les écoutants, étant vétérinaires, connaissent les particularités du métier, l’effet miroir fonctionne. Nous essayons de parler librement. Nous sentons les difficultés des personnes qui nous appellent.

Comment êtes-vous organisés et formés pour répondre aux confrères ?

Au sein de l’association, une dizaine de vétérinaires bénévoles sont formés. Nous accueillons cette année 4 nouveaux entrants, témoins d’un bon renouvellement. Des formateurs spécialisés dans l’écoute rogérienne nous forment et nous accompagnent depuis la création de l’association. Pour la première fois cette année, nous avons choisi d’effectuer notre formation avec notre consœur Hélène Villarroya qui maîtrise la PNL (programmation neurolinguistique) et l’écoute, et qui connaît bien les spécificités de notre profession. L’objectif premier sera d’intégrer les nouveaux écoutants dans le groupe, mais aussi de travailler sur les difficultés que chaque membre a pu rencontrer ou ressentir, et de transmettre la méthodologie et la théorie de l’écoute rogérienne.

Quelles sont les sources fréquentes de mal-être que vous rencontrez ?

Nous recevons environ 60 à 70 appels par an. Malheureusement, ces chiffres semblent en augmentation : nous avons déjà reçu 50 appels depuis le début du mois d’août. Certains portent sur des sujets techniques– droit du travail, organisation pratique, etc. – mais la majorité révèle beaucoup de souffrance – difficultésrelationnelles au travail, problèmes de communication, stress lié à l’exercice en solo, difficultés d’assurer la permanence des soins, à trouver un remplaçant, souffrance de jeunes confrères qui ne reçoivent pas toujours l’empathie attendue de leur employeur, etc. Le perfectionnisme de notre profession, la responsabilité qu’elle porte accroîssent les risques. La maladie est aussi une source de souffrance en elle-même et d’inquiétude quant à l’avenir.

Les jeunes sont-ils aussi concernés ?

Des jeunes confrères expriment une souffrance dans la découverte du monde du travail, des clients. En outre, certains confrères n’identifient pas les malaises de la jeune génération. Il y a aussi un clivage sociétal entre une jeunesse qui demande à être reconnue d’égale à égale avec ses aînés, et non dans un rapport de sachant à élève, et à pouvoir assimiler les connaissances sans la contrainte et la pression. Les attentes des nouvelles générations sont différentes. Elles sont confrontées à une grosse déception lorsqu’elles débutent leur travail. La prise de responsabilité les inquiète également.

Les étudiants sont-ils aussi concernés ?

La prévention dans les écoles est à développer. Notre confrère Timothée Audouin a effectué une conférence à la demande de l’association internationale des étudiants vétérinaires (IVSA) l’an passé. Nous sommes en lien avec notre consœur Corinne Bisbarre (ordre national des vétérinaires) pour trouver les contacts nous permettant de faire connaître notre existence et notre disponibilité auprès des étudiants. Un récent sondage effectué dans une école vétérinaire française révèle que 10 % des étudiants ont déjà pris des antidépresseurs. Ils sont confrontés aux difficultés des études, comme chez les médecins, en raison de la quantité de connaissances à acquérir et des conditions de cliniques (insuffisance de temps de repos et manque de reconnaissance). Cela crée un milieu propice à une souffrance morale. Les étudiants ont beaucoup d’idées pour améliorer les risques au sein de l’école.

Quels liens développez-vous avec les autres associations vétérinaires ?

L’Ordre et la Caisse autonome de retraites et de prévoyance des vétérinaires (CARPV) travaillent actuellement avec toutes les associations d’entraide vétérinaire à mettre en place une action coordonnée et harmonisée. Nous sommes en lien permanent avec l’Ordre qui dispose de délégués sociaux par région lesquels nous renvoient les personnes qui le nécessitent. La CARPV peut apporter son aide, notamment en commission de recours, avec des reports de paiement par exemple ; l’association de Protection vétérinaire (APV) gère les risques d’accidentologie professionnelle ; l’association Centrale vétérinaire (ACV) et l’association des Familles vétérinaires peuvent apporter un appui financier. Nous nous sommes également rapprochés de l’association Soins aux professionnels en santé (SPS), qui dispose d’une plateforme téléphonique sur laquelle des psychologues répondent 24h / 24 à tous les professionnels de santé en souffrance, de façon anonyme et gratuite. Du fait du soutien que la profession apporte à cette association, vial’Ordre et Vétos-Entraide, tous les vétérinaires peuvent y accéder. Ces consultations téléphoniques peuvent permettre d’être orienté vers des spécialistes formés aux problèmes spécifiques des professionnels de santé, en ville ou à l’hôpital : épuisement compassionnel, burn-out, addictions aux médicaments psychotropes, etc. Leur action est complémentaire de la nôtre : l’écoute fait partie de la réponse à la souffrance, mais il y a parfois besoin d’une prise en charge par le corps médical.

N’y a t-il pas encore un tabou en France sur les risques psychosociaux, la dépression ?

Il y a en effet une pression sociétale qui favorise le sentiment de honte chez celui qui est en dépression. La société est vite encline à porter la faute sur la personne dépressive en estimant qu’elle est faible. Ce qui n’a pas de sens, d’autant que les individus qui sont victimes d’une dépression ne sont pas des personnes faibles, mais au contraire des personnalités fortes qui ont tenu trop longtemps, qui ont dépassé les limites de ce qui est supportable. La société ne comprend pas cette souffrance morale. En outre, les confrères ne veulent pas forcément s’en exprimer à leurs proches, de même les jeunes ne veulent pas toujours s’en ouvrir à leur famille qui les a soutenus dans leurs études.

Quels sont vos projets ?

L’an passé, une importante maintenance du site a été effectuée, en grande partie grâce à notre webmaster, pour qu’il soit le plus pratique et le plus utile possible. Nous poursuivons l’amélioration du site.

Nous souhaitons renforcer le lien avec les étudiants. Nous avons aussi été contactés par nos confrères belges où aucune association similaire à la nôtre n’existe.

Par ailleurs, un projet a récemment abouti : au niveau des indemnités journalières, un livret pratique est téléchargeable sur le site, car être bien protégé quand on en a besoin est important.

Enfin, un travail sur l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle est en cours ; de même qu’une réflexion autour de la désertification rurale, notre consœur Carine Fondu ayant écrit à destination des pouvoirs publics une note à ce sujet. Le livre blanc, sous l’impulsion de Thierry Jourdan sur la continuité de soins rédigé il y a 10 ans, est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Nous pourrions le reprendre et l’enrichir.

Propos recueillis par Marine Neveux

1 vetos-entraide.com/

VÉTOS-ENTRAIDE


• Vétos-Entraide, association d’intérêt général, a été créée en 2002 suite à une vague de suicides. Elle met à disposition des confrères un certain nombre de ressources utiles et gratuites sur son site internet (vetos-entraide.com) mais également dans un groupe Facebook, une liste de discussions et un espace d’écoute. Ces réseaux d’échange permettent aux confrères de s’exprimer en toute bienveillance et confidentialité, et en particulier l’espace d’Ecoute, géré par des vétérinaires bénévoles, et accessible 24h / 24 par mail (ecouter@vetos-entraide.com) ou par téléphone (09 72 22 43 44).


• Le bureau de Vétos-Entraide pour l’exercice 2018-2019 est constitué de Joëlle Thiesset, présidente, Caroline Dabas, vice-présidente, Dominique Lachapèle, trésorière, Lionel Coupey, trésorier adjoint, Anne Dosogne, secrétaire, Jacques Limborg, secrétaire adjoint.
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