Sécuriser l’utilisation des huiles essentielles en filière avicole - La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019

THÈSE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : ROMARIC RUPPIN 

Le statut réglementaire des produits à base d’huiles essentielles (HE) pose problème, selon qu’ils soient considérés comme des aliments complémentaires (sans allégations thérapeutiques) ou des médicaments vétérinaires. Dans le second cas, une limite maximale de résidus (LMR) doit être définie pour que le produit soit utilisable sur des animaux de production. En revanche, comme aliment complémentaire, ces produits n’ont pas besoin d’une LMR et le temps d’attente avant consommation n’est pas défini. Actuellement, il existe très peu de données de LMR sur de tels produits. Quelle que soit la catégorie réglementaire utilisée, il est de la responsabilité du vétérinaire de connaître le produit administré et son devenir, afin d’assurer à la fois une sécurité pour l’animal, mais aussi pour le consommateur. Dans ce contexte, un essai de recherche de résidus antibactériens d’HE dans la viande de poulets de chair a été effectué1, à la suite d’une administration en élevage pour lutter contre une colibacillose.

Analyser le produit à base d’HE, une étape préalable

Les HE ayant une composition variable selon l’origine de la plante, le stade de récolte, le procédé de distillation, etc., la composition des aliments complémentaires est susceptible de varier, même si la formule est fixée. Aussi, une chromatographie en phase gazeuse (CPG)2 a été réalisée sur l’aliment complémentaire utilisé dans l’essai, contenant trois huiles essentielles à activité antibactérienne sur Escherichia.coli : HE de thym à thymol, HE de cannelle de Chine et HE de clou de girofle. Les résultats ont montré que le produit comportait majoritairement du thymol (thym), du cinnamaldéhyde (cannelle), du paracymène (thym et cannelle)3 et de l’eugénol (clou de girofle) . Ces résultats montrent que l’analyse chromatographique des spécialités à base d’HE employées sur le terrain est un prérequis indispensable pour garantir leur sécurité d’utilisation. Elle permettrait de faire un tri entre produits contenant des HE, en les différenciant par leur composition et leurs intérêts thérapeutiques réels.

Des dosages étalés dans le temps

Dans l’essai, l’aliment complémentaire a été distribué collectivement, via l’eau de boisson, à un élevage de 13 600 poulets certifiés de 30 jours, à raison de 1 l de produit pour 1 000 l d’eau bus par jour, sur 5 jours. à la fin du cinquième jour de traitement (J0), cinq animaux ont été prélevés et sacrifiés. Cette étape a été répétée à 24 h (J1), 48 h (J2), 72 h (J3) et 5 jours (J5) après l’arrêt du traitement. Deux animaux témoins négatifs ont été prélevés avant tout traitement. Sur chaque animal, le jus de viande des muscles des cuisses a été récupéré. La recherche de résidus a été effectuée sur le mélange des jus de viande des cinq animaux prélevés le même jour. Sur chaque mélange correspondant à un jour de prélèvement (J0, J1, J2, J3, J5 et témoins négatifs), le thymol, le cinnamaldéhyde, le paracymène, mais aussi le carvacrol et l’eugénol ont été recherchés et quantifiés par spectrométrie de masse couplée à la CPG (SM-CPG).

Des molécules à l’état de traces

Quel que soit le jour de prélèvement, y compris sur les témoins négatifs, le thymol, le cinnamaldéhyde et le carvacrol ont été retrouvés à l’état de trace dans la viande, soit 0,5 à 5 µg/kg. De plus, aucune accumulation de ces molécules n’a été observée dans la viande. Or, ces trois molécules sont connues pour entrer dans la composition des aliments pour volaille. Par conséquent, leur présence dans la viande, y compris dans les témoins négatifs, pourrait être uniquement due à leur apport par ce biais et non par le produit à base d’HE. Dans l’essai, ce dernier ne génère pas de résidus de molécules antibactériennes (thymol et cinnamaldéhyde). La sécurité pour les animaux, qui tolèrent, de plus, très bien le produit, et le consommateur semble donc respectée à cette dose. Malgré ces premiers résultats encourageants, l’interprétation de l’essai est délicate. En effet, très peu de données pharmacologiques existent chez les animaux, sur la biodisponibilité, les transformations et l’élimination des molécules aromatiques comme le thymol, le carvacrol et le cinnamaldéhyde chez la volaille. Chez le rat et le porc, ces molécules semblent très peu transformées et surtout éliminées très rapidement par voie urinaire, sous forme de conjugués. Elles ne sont plus quantifiables au niveau sanguin après maximum 48 h suivant l’administration. Cependant, il est possible que le métabolisme chez les volailles ne soit pas le même et que ces molécules soient transformées et donnent d’autres résidus, non quantifiés et recherchés dans notre essai. Pour répondre à ces questions, il conviendrait de fournir des études pharmacocinétiques. Dans ce genre d’essai, les réponses ne pourront être apportées que si les différents acteurs des filières de production s’associent.

1 Article rédigé d’après une thèse de doctorat vétérinaire de Romaric Ruppin (Oniris, 2018). En collaboration avec le réseau Cristal. Recherche de résidus antibactériens dans la viande de Gallus gallus après administration d’un aliment complémentaire à base d’huiles essentielles dans le cadre de l’accompagnement d’une colibacillose.

2 Technique de référence pour l’analyse des composés aromatiques.

3 L’activité antibactérienne du thymol et du cinnamaldéhyde est connue.

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