La médecine préventive, alliance de compétences médicales et émotionnelles - La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019

DOSSIER

Auteur(s) : ALEXANDRA DE NAZELLE 

Auparavant réduite à la vaccination et aux traitements antiparasitaires, la médecine préventive englobe désormais toutes les disciplines. Médecine personnalisée, avenir de la profession vétérinaire, elle demande une formation et une implication de toute l’équipe soignante.

Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dès 1948, la santé se définit non seulement comme « l’absence de maladie ou d’infirmité, mais aussi comme un état de complet bien-être physique, mental, social ». Elle distingue quatre types de médecine préventive, qu’elle qualifie de primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire, qui correspondent à des états successifs de la maladie. Ainsi, cela va des moyens à mettre en œuvre pour empêcher l’apparition des maladies jusqu’à leur thérapeutique. Du côté de la santé animale, la médecine préventive trouve ses lettres de noblesse notamment avec la création, en 2002, d’un programme de résidence par l’American College of Veterinary Preventive Medicine (ACVPM). Répondant à la demande de certains propriétaires, et à la suite des nombreuses avancées techniques désormais disponibles en clinique, cette discipline à part entière est en pleine évolution. En effet, reconnu comme un être sensible, l’animal de compagnie est désormais perçu par ses propriétaires comme un membre de la famille pour la majorité d'entre eux.Il est d’ailleurs désormais davantage question de “pet parents” ou de “cat lovers” pour évoquer les propriétaires. « Il faut que la profession fasse avec l’évolution sociétale », explique Éric Guaguère, past-président de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), qui devrait voir naître en 2019 un groupe d’étude dédié à la médecine préventive, témoin de cette évolution. Les exigences ont changé, les propriétaires attendent désormais une prise en compte du bien-être de leur animal, une approche préventive. « L’augmentation de la compétence exigée ne va cependant pas sans une hausse des coûts, qui, elle, n’est pas forcément bien acceptée par le propriétaire », poursuit notre confrère.

Une réponse à la baisse de fréquentation des cliniques

La profession vétérinaire connaît une tendance au déclin du nombre de visites. Des études américaines1 montrent ainsi que le nombre d’animaux vus par semaine en canine a diminué de 13 % entre 2000 et 2009, alors même que cette baisse s’est produite pendant que la population canine et féline aux États-Unis a connu une croissance de 36 % entre 1996 et 2006 et que, de 2007 à 2011, la prévalence du diabète sucré a augmenté de 32 % chez les chiens et de 16 % chez les chats, tandis que celle de l’obésité a grimpé de 37 % et 90 % respectivement. Il s’agit pourtant de maladies qui, au même titre que les affections dentaires, le parasitisme ou les problèmes de comportement sont “évitables” dans une certaine mesure à travers une routine de soins préventifs2... L’augmentation de l’automédication (à partir de recherches sur Internet), les difficultés pour emmener son chat chez le vétérinaire et, surtout, le manque de compréhension des propriétaires du besoin d’un examen de routine de leur animal sont des éléments clés du déclin de l’utilisation des services vétérinaires. Une autre réalité de la pratique vétérinaire souligne le besoin, au sein de la profession dans son ensemble, mais aussi de l’équipe soignante, de lignes directrices claires et établies, qui encouragent une médecine préventive quotidienne2.

Des vétérinaires réceptifs et demandeurs

« C’est loin d’être un sujet nouveau, explique Éric Guaguère, qui anime des formations pour l’Afvac sur le sujet depuis 1995, mais le fait que l’on en parle autant s’explique par la difficulté de sa mise en œuvre ». En effet, son gage de réussite passe par l’éducation thérapeutique du propriétaire, une communication et une approche particulière, mais aussi une dynamique d’équipe, éléments sur lesquels le praticien a parfois besoin d’être accompagné et informé. Un plan modulaire de formation a d’ailleurs été mis en place par l’Afvac, avec quatre modules de formation sur deux ans.

« Les vétérinaires sont réceptifs, d’autant plus qu’ils sont confrontés aux propriétaires qui sont en demande », explique Ludovic Freyburger, responsable de la formation PreventionVet chez SantéVet, qui vise à accompagner les cliniques vétérinaires dans le développement de cette médecine préventive au quotidien. Les problématiques d’antibiorésistance, de résistance aux anthelminthiques, de vaccination raisonnée accélèrent la réflexion sur le sujet. « Les vétérinaires sont demandeurs d’informations qui leur permettent de se forger leur propre avis scientifique, afin de rendre le meilleur service à leur client. Cela change le paradigme d’une consultation », poursuit-il.

L’importance de la prévention médicale comme solution alternative au traitement de maladies est de plus en plus soulignée dans les écoles vétérinaires. En 2010, le North American Veterinary Medical Education Consortium a recommandé de se concentrer sur les soins primaires, le bien-être et la prévention de maladies dans les cours dispensés aux étudiants. « Il est important pour nous d’accompagner le vétérinaire dans le développement de la médecine préventive, également pour être en adéquation avec la manière dont sont formés les étudiants dans les écoles, explique Ludovic Freyburger, qui anime le groupe d’enseignants de cette discipline dans les quatre écoles nationales vétérinaires. Pour éviter qu’il y ait une trop grande disproportion entre ce que les étudiants apprennent à faire en médecine préventive et ce qu’ils rencontrent sur le terrain. »

Un temps de consultation plus long et un accompagnement à valoriser

Ces consultations sont différentes de celles consécutives à un problème de santé, aussi bien en matière de communication que de contenu. Il est maintenant admis qu’une consultation de comportement dure au moins 45 minutes, avec une facturation en adéquation. La démarche est la même en médecine préventive : avec l’analyse du risque infectieux et parasitaire, le suivi de croissance, les recommandations nutritionnelles et éducatives, la réglementation, l’hygiène buccodentaire, le dépistage de maladies génétiques, la gestion de la reproduction, etc., il est illusoire de vouloir traiter tout cela en 15 minutes en répondant aux attentes du propriétaire. « Dire qu’il y a besoin d’un détartrage, c’est bien, faire comprendre au propriétaire pourquoi, c’est mieux, cela prend du temps et cela se valorise à court terme aussi par plus d’actes. » Le propriétaire qui ne souhaite pas ce service ne se le verra pas facturé. « Le propriétaire est le premier acteur du suivi de l’animal : il est important de l’écouter et de lui proposer le service qui lui convient », renchérit Serge Monnier, fondateur de la société Oxane, qui propose la gestion financière de plans de prévention. « Il importe que le propriétaire comprenne le bénéfice perçu », ajoute Ludovic Freyburger.

La médecine préventive s’adapte aux besoins de l’animal, à partir de l’examen clinique, de sa race, du mode de vie du propriétaire, du rôle social de l’animal (chien de chasse en chenil, qui fait du canicross, etc.). « Expliquer les éléments de médecine préventive permet au propriétaire de gérer son temps et, surtout, un engagement bilatéral vétérinaire-propriétaire pour une prise en charge sur le long terme. Contrairement à une maladie d’évolution aiguë, avec une présentation aléatoire, ici on se place dans un accompagnement sur la durée. Cela prend un peu plus de temps de consultation au début, c’est juste une question de positionnement et d’envie du vétérinaire, pas un frein », poursuit Serge Monnier.

« La difficulté avec la médecine préventive, c’est que les propriétaires ne voient pas forcément le bénéfice immédiat d’une telle stratégie : si elle fonctionne, il ne se passe rien, à part le maintien de l’état dans lequel l’animal est. C’est là l’enjeu pour le vétérinaire de pouvoir expliquer au propriétaire ce qui est mis en place, pourquoi, et les bénéfices attendus », analyse Ludovic Freyburger.

« Très souvent, on considère que la consultation doit être concise, courte et rapide, mais il ne faut pas oublier que, par rapport à la médecine humaine, les vétérinaires offrent un service “gold”. Si on lui explique, le propriétaire peut tout à fait comprendre qu’un parcours de soins, ça se gère, ajoute-t-il. La médecine préventive, ce n’est pas de l’urgence, c’est une question de relation entre l’homme, l’animal et l’équipe soignante », conclut-il.

Convaincre et impliquer son équipe sur la durée : qui fait quoi ?

« C’est un projet de structure, et non de personne, décrit Ludovic Freyburger. La cohérence d’équipe sur les protocoles vaccinaux, aussi bien que sur les protocoles de médecine préventive, est importante ».

Hélène Ego, praticienne dans l’Oise, explique que, selon elle, les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) font partie intégrante de la stratégie thérapeutique de la structure, et sont un lien entre le propriétaire et l’animal. Ainsi, au moment d’une coupe de griffe, ils peuvent sensibiliser le propriétaire sur des oreilles un peu sales, un poil terne ou la présence d’une halitose ou de tartre. Ludovic Freyburger ajoute qu’ils ont aussi leur rôle à jouer dans l’approche en médecine préventive, de part leur implication dans le recueil des commémoratifs, l’information du propriétaire et la transmission des renseignements au vétérinaire. Ce travail d’équipe permet une meilleure gestion. Les informations qu’ils délivrent aux propriétaires permettent « d’alléger la charge du vétérinaire en consultation et valorise le travail d’ASV. Mais cela implique une excellente communication entre ASV et vétérinaire et une définition des rôles de chacun ». C’est d’ailleurs la mission du programme PreventionVet, développé par Ludovic Freyburger chez Santévet. « Quand l’animal est malade, le propriétaire a besoin de la clinique, alors que le rapport s’équilibre quand l’animal est sain. L’équipe soignante doit alors encore plus tenir compte des attentes et des contraintes des propriétaires ». Cela peut être déstabilisant et demande des compétences différentes en matière de communication et de management, mais aussi un investissement à court et long termes.

Une évolution de posture pour le praticien

Il s’agit d’un réel changement de posture. « Auparavant, le vétérinaire se trouvait davantage dans une relation pa ternaliste et expliquait au propriétaire ce qu’il fallait faire », souligne Éric Guaguère. Se dessine aujourd’hui une autre relation, de partenariat, où le vétérinaire et le propriétaire s’engagent côte à côte pour la santé de l’animal. C’est une nouvelle posture à laquelle ne sont pas forcément adaptés tous les praticiens. Elle demande de nouvelles compétences relationnelles et émotionnelles, ainsi qu’un changement profond de l’approche du propriétaire et de son animal. Il a été montré que les rendez-vous pour des consultations de bonne santé impliquent au moins deux fois plus d’interactions avec l’animal que ceux pour maladie, et l’atmosphère est en général plus détendue, produit davantage d’échanges : “discussions sociales”, rires, mises au point et compliments envers le propriétaire et l’animal3.

1 Newsmagazine DVM. Triennial report, state of the veterinary profession 2009, part 1. Veterinarynews.dvm360.com/dvm/ ArticleStandard/Article/detail/595878. Accessed Jul 6, 2011.

Development of new canine and feline preventive healthcare Guidelines designed to improve pet health, J. Am. Anim. Hosp. Assoc. 2011;47:306-311.

2 Robinson N. J., Belshaw Z., Brennan M. L., Dean R. S. Measuring the success of canine and feline preventative healthcare consultations : a systematic review. Prev. Vet. Med. 2018.

3 Shaw J. R., Adams C. L., Bonnet B. N. et coll. Veterinarian-client-patient communication during wellness appointments versus appointments related to a health problem in companion animal practice. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2008;233:1576-1586.

LE PLAN DE PRÉVENTION, UN OUTIL POSSIBLE DE DÉVELOPPEMENT

L’un des leviers du développement de la médecine préventive est le plan de prévention, qui consiste à mensualiser les frais de santé liés à la prévention dépensés chaque année par le propriétaire. Ce service s’est d’ailleurs développé aux États-Unis, il y a 30 ans déjà, pour lutter contre la diminution de fréquentation des cliniques. Il est possible d’en déléguer l’ingénierie financière à une entreprise extérieure (par exemple, Oxane, SantéVet ou Premier Veterinary Group). Serge Monnier, vétérinaire associé d’Oxane, cherchait un outil pour développer le suivi des maladies chroniques. Il a voulu s’épanouir davantage dans la relation humaine avec le propriétaire pour un contrat d’alliance thérapeutique formalisée par un plan de santé. À partir d’une discussion avec le propriétaire, le vétérinaire peut proposer plusieurs options : test génétique, vaccination leishmaniose, selon les voyages, échocardiographie, si la race est à risque, etc. « Le plan de prévention permet dans une certaine mesure de lever les freins que peut se mettre le vétérinaire et évite les biais de proposition, explique-t-il. Pour moi, il s’agit d’un outil qui donne une feuille de route, qui aide à plus de médicalisation et permet de faire des rappels automatiques… La mensualisation n’est pas un objectif du plan. »

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