Diagnostic des dermatophytoses - La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1797 du 10/02/2019

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

Souvent évoquées mais trop rarement réellement démontrées, les dermatophytoses ou teignes chez les carnivores constituent un défi quotidien pour le vétérinaire praticien. Pour en établir convenablement le diagnostic, il convient de connaître et de comprendre quelques éléments essentiels sur les analyses et les techniques disponibles.

Une diversité d’agents en cause

La vision classique (mais erronée) sur les dermatophytoses a longtemps consisté à considérer une situation simple dans laquelle Microsporum canis serait responsable de 90 % des cas. Si M. canis reste dominant chez les chats urbains, la situation globale pour l’ensemble du territoire est différente. En se fondant sur une collecte de cas représentant l’ensemble du territoire, les diagnostics de dermatophytoses félines impliquent de plus en plus d’autres dermatophytes comme Trichophyton mentagrophytes, y compris chez les chatons (M. canis : 72,6 %, T. mentagrophytes : 23,5 %, M. gypseum : 2,2 %, M. persicolor : 1,5 %, autres : 1,1 % )1. Ce constat se révèle encore plus vrai pour le chien, chez lequel les agents autres que M. canis sont majoritaires (M. canis : 38 %, T. mentagrophytes : 32 %, M. gypseum : 21,7 %, M. persicolor : 7,2 %, autres : 1,1 %)2. Selon les espèces de dermatophytes, les formes cliniques, l’origine, la contagiosité, les races canines atteintes tout comme la réponse à la thérapeutique seront variables. Ceci souligne l’importance de leur dépistage complet et spécifique.

Une variété de situations cliniques

L’image traditionnelle de la teigne “dermatose non prurigineuse caractérisée par des lésions alopéciques nummulaires” a vécu (photo 1), car elle ne correspond qu’à l’un des multiples aspects de ces mycoses (tableau page 25). S’y limiter entraîne l’ignorance d’une majorité de cas cliniquement très différents, allant d’un simple pelage terne parfois squameux à des lésions inflammatoires, suppurées (photos 2 et 3), voire nodulaires ou ulcératives (photo 4). Le seul point commun est une fréquence et une intensité modérées des démangeaisons, si elles sont présentes.

Par ailleurs, une forte proportion des animaux sont cliniquement normaux et qualifiés de “porteurs” par simple contamination mécanique transitoire ou infection qu’elle soit sub-, pré- ou post-clinique. Ces animaux jouent un rôle épidémiologique important, car ils sont sources de contagion. Leur détection est essentielle par une analyse sensible et semi-quantitative bien conduite.

Que penser de l’examen en lumière de Wood ?

Simple et rapide, l’examen sous une lampe de Wood reste un examen de routine, préliminaire et utile, à condition d’être convenablement réalisé. Seul Microsporum canis produit communément une fluorescence nette (photo 5), mais cet examen ne se révèle pas toujours positif. Dans tous les cas de positivité ou de doute, il faut prélever et vérifier au microscope que les éléments fluorescents sont bien d’authentiques poils teigneux. Un examen négatif n’exclut rien.

L’examen trichoscopique et cytologique

L’observation microscopique constitue une étape essentielle d’examen. La trichoscopie au sens strict (poils prélevés par épilation) a des performances médiocres avec moins de 20 % de sensibilité dans les meilleures conditions. La réalisation de “raclages” sur zones lésionnelles (fragments de poils teigneux, squames avec hyphes, etc.) est beaucoup plus efficace. La difficulté réside dans l’identification correcte des tiges pilaires infectées, source de nombreux faux positifs comme de faux négatifs (photos 6 et 7). Ces observations seront également malaisées dans le cas des teignes inflammatoires, croûteuses ou suppurées. Ici, la cytologie permet souvent de détecter des spores et parfois des filaments mycéliens. Néanmoins, ces examens ne permettent pas de déterminer l’espèce de dermatophyte.

La culture mycologique

La culture mycologique reste le gold standard pour déceler, identifier et évaluer correctement une dermatophytose dans l’ensemble des situations. Le facteur qui en limite la sensibilité est la qualité du prélèvement. Le praticien utilisera soit la technique dite du “tapis de Mariat” ou “moquette” (fragment de moquette stérilisée frotté sur l’animal) soit celle, moins pratique, de la “brosse à dents”. Les autres prélèvements (épilation, etc.) manquent de sensibilité.

L’ensemencement est réalisé sur un milieu gélosé spécifique (Sabouraud), placé ensuite en incubateur, la mise en œuvre de ce type de culture d’agents pathogènes devant répondre aux règles de biosécurité. L’identification est souvent délicate et porte sur un ensemble de critères (taille des colonies, aspects macroscopique et microscopique). Les dermatophytes ont souvent une morphologie bien différente des schémas attendus ; en outre, des dermatophytes non pathogènes de l’environnement, donc sans intérêt, sont collectés temporairement par le pelage, et, isolés en culture, facilement confondus. Le laboratoire doit pouvoir répondre le plus souvent en 3 à 9 jours seulement. Seule la technique du tapis est adaptée à la détection des “animaux porteurs”, l’évaluation d’une guérison mycologique (et la détection des dermatophytes dans l’environnement de l’animal). Elle permet également une approche semi-quantitative utile pour la gestion et le suivi après traitement.

Que penser des DTM ?

Le DTM ou dermatophyte test medium est un milieu classique auquel est incorporé un colorant indicateur de pH. Les dermatophytes alcalinisent rapidement la gélose, qui vire au rouge. Ceci est valable en conditions de laboratoire, mais en conditions de terrain, ces milieux voient leur performance altérée (mode de prélèvement inadapté – poils épilés, surface de gélose parfois insuffisante). Par ailleurs, le virage de couleur ne se produit pas plus vite que la croissance du champignon (température-dépendante) et n’apporte pas de gain de rapidité par rapport à la culture. De plus, il n’est pas spécifique car les dermatophytes non pathogènes et divers champignons macroscopiquement similaires font virer le milieu rapidement (faux positifs). Finalement, il faudra la même expertise (identification au microscope) et le même délai qu’une culture classique.

Apports de la biologie moléculaire

Les techniques de la biologie moléculaire appliquées à la mycologie ont permis d’apporter de nombreuses informations sur la biologie et la phylogénie des champignons. Une publication3 récente propose une nouvelle terminologie, qui en raison de la restriction de la partie du génome examinée, reste insatisfaisante car elle ne permet pas de distinguer certains dermatophytes pourtant bien différents au plan clinique, épidémiologique ou en culture. Des applications au diagnostic, de type PCR en temps réel, ont été initiées en médecine humaine. L’avantage théorique est la rapidité, entre 2 et 4 jours. Cependant, les identifications peuvent présenter un caractère partiel (pas d’identification d’espèce), nécessitant alors la culture mycologique, ce qui retarde le diagnostic final tout en augmentant le coût.

En raison de la multiplicité des espèces animales sources et des dermatophytes intertransmissibles, pour acquérir une fiabilité en médecine vétérinaire cette technique devrait avoir démontré, en conditions de terrain, à la fois sa sensibilité (et dès lors, quels prélèvements utiliser), sa spécificité (identification complète), sa capacité à détecter les porteurs asymptomatiques et enfin à donner une valeur quantitative. Ce n’est pas réellement le cas à ce jour. En revanche, nous avons présenté en Congrès international en 2012 la seule étude menée en double aveugle (dans deux laboratoires) comparant sur les mêmes échantillons issus de cliniques vétérinaires, culture mycologique (laboratoire dermatologie-parasitologie-mycologie) et PCR (laboratoire spécialisé). La culture mycologique était positive sur 42,7 % des échantillons et la biologie moléculaire (nested PCR, ITS1-ITS2) sur 10 % seulement. En matière de spécificité, les résultats en PCR pour M. cani sont bons, mais potentiellement moins pour d’autres espèces. L’absence de signification quantitative limite l’interprétation du résultat et la détection des porteurs. Il faudra donc attendre d’autres techniques pour améliorer les performances de cette approche.

1étude portant sur 412 isolements entre août et décembre 2017.

2étude portant sur 263 isolements entre août et décembre 2017.

3 de Hoog G. S., Dukik K., Monod M. et coll. Toward a novel multilocus phylogenetic taxonomy for the dermatophytes. Mycopathologia. 2017;182(1-2):5-31.

POINTS FORTS

Le diagnostic complet et le suivi d’une dermatophytose restent délicats. D’une part, la suspicion doit s’étendre à une variété croissante de manifestations cliniques ou de situations épidémiologiques, d’autre part, les éléments préliminaires (lumière de Wood, examen microscopique) doivent être bien maîtrisés, afin d’augmenter les chances d’une détection rapide. Dans l’état actuel des techniques disponibles, la culture mycologique utilisée dans des conditions de référence reste le moyen le plus rapide et le plus efficace d’identification et d’évaluation de la situation.

Patrick Bourdeau Professeur agrégé, diplomate ECVD et EVPC, diplôme de mycologie de l'Institut Pasteur, unité de dermatologie-parasitologie-mycologie à Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique).

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