La Cour des comptes encourage l’ é tat - La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 03/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 03/02/2019

SÉCURITÉ SANITAIRE DE L’ALIMENTATION

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Dans son dernier rapport public, la Cour des comptes souligne les progrès des autorités en matière de contrôles de la sécurité sanitaire de l’alimentation. Des insuffisances persistent pourtant, notamment en lien avec une gouvernance sanitaire complexe.

Notre politique de sécurité sanitaire de l’alimentation serait-elle sur la bonne voie ? C’est en tout cas ce qui ressort du dernier rapport de la Cour des comptes publié en février 2019. «   Des progrès ont été réalisés dans la programmation, le ciblage et les suites données aux inspections   », soulignent les auteurs du rapport. Changement de ton donc comparé au précédent rapport en date de février 2014, qui faisait état de l’existence «   d’anomalies graves   », du fait de «   l’absence de contrôle à un niveau significatif et l’absence de sanctions suffisantes   ». Plusieurs points de progrès sont listés. Ainsi, même si le nombre de contrôles de la DGCCRF1 a diminué de 20 % entre 2013 et 2017, aboutissant à un niveau de couverture2 très bas (4 % en 2017), le nombre d’entreprises contrôlées avec des anomalies a augmenté (42 à 49 % entre 2013 et 2017). Une preuve pour la Cour des comptes d’un travail accru d’analyses de risque permettant de mieux cibler les établissements à contrôler. Même constat du côté de la DGAL3, qui a appliqué la démarche au secteur des végétaux, apparus délaissés dans le précédent rapport. De plus, depuis 2015, le nombre d’inspections effectuées par les agents de la DGAL est stable, de même que le taux d’anomalies4. à ces constats, s’ajoute une révision de la politique des suites.Ainsi, entre 2013 et 2017, les avertissements ont augmenté de 67 %, les établissements les recevant systématiquement dès la note B (niveau de maîtrise des risques «   acceptable   »). Les suites plus contraignantes, telles que les fermetures partielles ou totales des établissements et les sanctions pénales ont augmenté, elles, de 37 %, tout en restant bien moins nombreuses que les avertissements5.

Des lacunes à combler

Comme cela avait déjà été constaté dans le rapport de 2014, il est apparu que les professionnels et les laboratoires persistent à ne pas transmettre les résultats des auto-contrôles non conformes. Ce n’est que la récente affaire Lactalis qui va probablement permettre de faire évoluer ce point, l’obligation de transmission étant rendue obligatoire par la loi du 30 octobre 2018. Le rapport pointe aussi du doigt une insuffisance de contrôle dans les établissements bénéficiant d’une dérogation à l’obligation d’agrément sanitaire. Or, ces derniers augmentent, passant de 9 659 en 2013 à 13 845 en 2017. Le manque d’effectifs est encore noté. En 2014, la Cour signalait une baisse de plus de 300 équivalents temps plein entre 2009 et 2012 (– 6,8 %), à l’origine d’une baisse du nombre de contrôles, au détriment des établissements de remise directe. En 2019, ces derniers restent toujours peu ciblés : un établissement de restauration est ainsi contrôlé en moyenne tous les 15 ans. Enfin, les auteurs soulignent l’inefficacité des mesures de retrait et de rappel des produits, comme en a témoigné l’affaire Lactalis. Néanmoins, en juillet 2018, ce point a fait l’objet d’un rapport du Conseil national de l’alimentation, qui a proposé plusieurs recommandations pour l’améliorer.

Une gouvernance à clarifier

Pour la Cour des comptes, un des leviers de progrès de la sécurité sanitaire de l’alimentation serait d’en clarifier la gouvernance. à la différence des autres pays européens qui fonctionnent avec un unique organisme de contrôle central, la France a réparti l’organisation des contrôles entre trois administrations, d’où un manque de lisibilité et de cohérence. «   Le fractionnement des compétences entre plusieurs acteurs en charge de la sécurité de l’alimentation et la complexité qui en découle rendent nécessaires la rationalisation et la modernisation du dispositif   », soulignent les auteurs du rapport. Pour y remédier, ils proposent de nommer un «   chef de file de l’ensemble du dispositif   ». Renforcer les missions des Directions régionales sur les Directions départementales interministérielles (DDI)6 leur apparaît aussi nécessaire. Si elles exercent en théorie un rôle de pilotage et d’animation, elles l’assument difficilement en pratique, les services départementaux dépendant hiérarchiquement du préfet du département. Dès lors que les crises sanitaires concernent en général plus d’un département, et «   dans un domaine où la gestion de crise appelle le déploiement de chaînes de commandement simples et claires   », il s’agit pour les auteurs de lever «   cette ambiguïté   ». La rationalisation de la gouvernance passerait aussi par une mutualisation des laboratoires impliqués dans les contrôles sanitaires. Enfin, les auteurs regrettent comme en 2014 que les redevances servant à financer les contrôles, pourtant autorisées par la réglementation européenne, ne soient pas suffisamment appliquées. Pour exemple, si les redevances sanitaires d’abattage et de découpage atteignent les 55 millions d’euros, elles ne couvrent que 17 % du coût des contrôles effectués. Ainsi, en France, la participation financière des professionnels est de 10 %, contre 28 % aux Pays-Bas et 47 % au Danemark.

1DGCCRF : Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

2 Nombre d’entreprises contrôlées dans un secteur, rapporté au nombre total d’entreprises dans ce même secteur.

3DGAL : Direction générale de l’alimentation.

4 Constat à nuancer pour les auteurs, car les anomalies d’une gravité moyenne ou majeure restent faibles (12 à 14 % de l’ensemble des anomalies en 2016 et 2017).

5 En 2017, près de 25 000 avertissements et 12 000 suites contraignantes ont été recensés.

6 Au niveau départemental, les services des ministères de l’Agriculture et de l’économie en charge des contrôles sanitaires de l’alimentation sont regroupés au sein d’une même DDI.

LES CINQ RECOMMANDATIONS DE LA COUR DES COMPTES :

- renforcer les mesures de retrait et de rappel, notamment par le blocage en caisse,
- publier toutes les mesures de retrait et de rappel sur un site internet unique,
- appliquer l’analyse de risques pour les établissements dérogatoires,
- désigner un chef de file unique,
- augmenter la participation financière des professionnels via la hausse du rendement des redevances sanitaires.

TROIS QUESTIONS À  OLIVIER LAPÔTRE 

« LE RAPPORT INSISTE TROP PEU SUR LE MANQUE D’EFFECTIFS »

Que pensez-vous des conclusions du rapport ?
A la différence du rapport de 2014, la Cour des comptes n’a pas procédé à une analyse approfondie mais a examiné les évolutions et le suivi de ses recommandations. Par exemple, pour les abattoirs de boucherie, elle se contente d’affirmer que les effectifs sont suffisants pour permettre une présence permanente, sans s'assurer que les agents soient assez nombreux pour procéder à tous les examens et incisions réglementaires. De la même manière, dire que les autorités sanitaires priorisent mieux leurs actions n’est pas suffisant quand les établissements de production de lait infantile ne peuvent même plus être contrôlés une fois par an, du fait de la diminution des emplois. Or, ce sujet apparaît aussi dans le chapitre consacré au contrôle de la restauration (en moyenne une fois tous les 15 ans). De même, renforcer les contrôles dans les établissements dérogeant à l’obligation d’agrément, comme le demande la Cour, nécessite forcément plus de personnel.

Clarifier la gouvernance apparaît essentiel dans le rapport. Êtes-vous d’accord ?
Le syndicat prône depuis longtemps la mise en place d’une police unifiée pour la sécurité sanitaire des aliments, depuis le contrôle des intrants jusqu’à la remise aux consommateurs. L’idéal serait de réunir au niveau central, comme dans les directions départementales, les compétences de la DGAL et de la DGCCRF en créant une structure interministérielle, avec un directeur général unique. De même, la coordination régionale1 devrait être également unifiée. Cette évolution est essentielle, au vu des couacs observés dans la gestion de certaines crises, notamment dans la communication. De plus, avec des effectifs aussi faibles, continuer à avoir des doublons, voire parfois des tiraillements entre services est-il raisonnable ?
Ce rapport a été bien accueilli par les trois ministères. Dans leurs réponses à la Cour des comptes, ils affirment que des changements sont déjà engagés. Quels sont-ils ?
La réponse des ministères était facile. Pour excuser la persistance des insuffisances constatées en 2014 par la Cour des comptes, ils n’ont eu qu’à dire que la réforme de l’organisation des administrations de l'État était en cours, ce qui est vrai. Mais nous ne connaissons pas encore les changements, dont les annonces semblent reportées après le grand débat national.





1 Actuellement, la DRAAF (Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt) et la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) pilotent respectivement les services départementaux vétérinaires et ceux de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, regroupés dans les Directions départementales en charge de la protection des populations.

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