Innovation en santé animale : toute une histoire ! - La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 03/02/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1796 du 03/02/2019

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

L’innovation est la clé de la compétitivité des laboratoires. Depuis le premier vaccin contre la parvovirose canine lancé en 1981, d’autres produits sont venus étoffer l’arsenal thérapeutique vétérinaire. L’industrie peut-elle encore proposer de nouveaux produits dits “révolutionnaires” ? Elle a plusieurs cordes à son arc.

Chaque médicament est une innovation », écrivait le philosophe Francis Bacon. Pour répondre aux besoins médicaux, le chercheur est en première ligne. Il cherche, il trouve. Il est pourtant confronté aux caprices du temps, nécessaire au succès de son entreprise. Ce long processus est indispensable pour garantir l’efficacité, la sécurité et la qualité d’un médicament vétérinaire. Comme en santé humaine, la recherche et l’innovation sont des termes omniprésents dans la communication des laboratoires. Alors, innove ou n’innove pas ? Les industriels de la santé animale veulent en tout cas anticiper les nouveaux besoins. L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) indiquait dans son rapport d’activité 2017 que 85 autorisations de mises sur le marché (AMM) ont été délivrées. En décembre dernier, l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) remettait les premiers prix de l’innovation vétérinaire avec le soutien du Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV). L’Afvac indiquait alors dans son communiqué de presse que l’objectif de cette démarche « est de valoriser les innovations vétérinaires dans le domaine des animaux de compagnie et de mettre le vétérinaire au centre de cette innovation, toute innovation se définissant comme une valeur ajoutée perçue par le vétérinaire et le client. »

Premiers vaccins au xixe siècle

« Le secteur de la santé animale est responsable d’un flot continu d’innovations », indique Animalhealth Europe. Les premiers vaccins contre le charbon et la rage ont été mis au point à la fin du xixe siècle. Une protection contre d’autres maladies courantes, telles que la fièvre aphteuse et la brucellose, a suivi au début des années 1930. Au cours des 20 à 30 dernières années, de nouveaux progrès ont été constatés : vaccins, analgésiques, anesthésiques et traitements anticancéreux améliorés. Selon Animalhealth Europe, les industriels de la santé animale sont déterminés à investir dans la recherche ; jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires. « Cependant, au cours des dernières années, les investissements dans la recherche en Europe ont légèrement diminué, se situant actuellement à 8 % en moyenne », regrette l’association européenne. Mais, l’industrie contribue à des programmes de recherche et développement (R & D), tels que Star-Idaz, l’alliance stratégique mondiale pour la coordination de la recherche sur les principales maladies infectieuses des animaux et des zoonoses. « L’industrie est également en train d’identifier et de combler les lacunes en matière de recherche concernant plus de 30 maladies ciblées et émergentes grâce au développement de vaccins, de diagnostics et de traitements. Elle a également contribué au financement de Discontools, une initiative visant à améliorer et à accélérer le développement de nouveaux produits de diagnostic, de vaccins et de produits pharmaceutiques pour les maladies animales », indique Animalhealth Europe.

La R & D favorisée par les regroupements

L’institut d’études privé Xerfi estime, dans un rapport1 publié en août 2018, que le marché vétérinaire est en perpétuel mouvement. « Les big pharmasont en outre engagés depuis plusieurs années dans une restructuration de leurs activités en santé animale et d’importants mouvements de capitaux rebattent sans cesse les cartes du jeu concurrentiel. L’Allemand Boehringer Ingelheim s’est ainsi emparé de la première place en France, en 2017, à la suite du rachat de Merial (ex-branche santé animale de Sanofi) pour un montant de 4,7 milliards d’euros. » En parallèle, c’est Eli Lilly qui a annoncé l’introduction en Bourse de son activité de santé animale, se séparant ainsi d’Elanco. En 2013, c’était Zoetis qui avait pris son indépendance. Il est à se demander si ce jeu de chaises musicales n’influence pas la capacité des laboratoires à innover. Il semblerait que ces regroupements de laboratoires favorisent la mise en commun des moyens alloués à la R & D. Les industriels de la santé animale consacrent en effet une partie importante de leur chiffre d’affaires à la R & D. Xerfi relève en effet que Virbac, Vétoquinol et Céva Santé animale, réservent chaque année au moins 7 % de leur chiffre d’affaires à la R & D. « Plus d’une centaine de produits par an sont ainsi lancés sur le marché français. Les fleurons français visent notamment les segments des vaccins, des alicaments, des produits injectables et de nouvelles solutions thérapeutiques pour animaux de compagnie », indique Xerfi. Ceva Santé animale va investir, par exemple, sur son site de Loudéac (Côtes-d’Armor) pour produire une nouvelle gamme de produits dermatologiques. « Boehringer Ingelheim nourrit de fortes ambitions sur le bassin lyonnais : à Saint-Priest (Rhône), le groupe s’apprête à mettre en service des bâtiments R & D de 5 700 m² (dont 1 000 m² de salle blanche) dans la formulation et la répartition de vaccins aviaires, et d’autres investissements sont prévus, notamment dans le développement de biogénérateurs et de vaccins effervescents », ajoute Xerfi.

Le coût élevé de la recherche

Pour AnimalHealth Europe, de nombreux industriels rencontrent de plus en plus d’obstacles à l’innovation, ce qui rend de plus en plus difficile la rentabilisation de leurs investissements. « Il y a plusieurs raisons à cela. Des débats sociopolitiques impliquant certains produits et un processus réglementaire non harmonisé jouent un rôle dans le léger recul des investissements en R & D », explique Animalhealth Europe. De manière générale, les coûts de la recherche sont importants et la réglementation impose aux industriels des contrôles rigoureux. « On ne fabrique pas des cravates !», souligne Éric Joly, directeur qualité globale pour les opérations et pharmacien responsable chez Boehringer Ingelheim. Les produits vétérinaires ne sont en effet pas des produits comme les autres. Le processus d’innovation est long. Pour un médicament, il est nécessaire de trouver des nouvelles molécules, de les adapter, de les transformer et de les fabriquer en série, avec un risque d’échec au stade du développement bien qu’il soit moins élevé qu’en santé humaine. Un challenge que les industriels disent vouloir relever. à l’image du Boehringer Ingelheim « à l’horizon 2025, nous comptons accroître nos capacités. Nous avons des projets majeurs d’investissements. Notre forte expertise R & D, appuyée sur des ressources importantes en interne, est un atout considérable pour relever les différents défis de la transition technologique de notre industrie (digitalisation des outils industriels, nouveaux procédés de fabrication privilégiant les matières premières d’origine synthétique, etc.). Par ailleurs, nous développons notre écosystème notamment en hébergeant des start-ups (à l’image de Tibot, et son robot d'assistance autonome pour l'aviculture) ou via des projets collaboratifs avec Lyon BioPôle (dont nous sommes membres fondateurs) ou Minalogic, le pôle de compétitivité des technologies du numérique en Auvergne Rhône-Alpes, que nous venons de rejoindre » indique Laurent Voyer, directeur Stratégie industrielle chez Boehringer Ingelheim.

« L’innovation vise aussi à faciliter l’utilisation de nos produits par nos clients. Par exemple, notre vaccin effervescent NeO facilite la vaccination de la volaille au travers d’une préparation du vaccin plus rapide. » ajoute Nicolas Tourneur, directeur de projet au sein du même laboratoire.

Les anti inflammatoires contre la douleur

Des données communiquées par le SIMV révèlent que plus d’une centaine d’innovations ont été mises sur le marché entre fin 1970 et 2018. De nombreux produits innovants connaissent un succès commercial. En voici une sélection. En 1981, un premier vaccin contre la parvovirose canine a été lancé sur le marché. À la même période, plusieurs anti-inflammatoires non stéroidiens (AINS) sont également commercialisés. Finadyne® est le premier AINS développé pour la médecine vétérinaire (bovins, équins, porcins). D’autres AINS, injectables surtout, seront développés après le succès de la flunixine, l’acide tolfénamique (Tolfine®/Tolfedine® 1986), le nimésulide (Sulidene®,, 1987), l’acide niflumique (Sepvadol®, 1989), le kétoprofène (Ketofen®, 1990), voire plus tard le méloxicam (Metacam®, 1997) ou le carprofène (Rimadyl®, 1997). Au premier janvier 1992, aucune nouvelle substance ne peut être commercialisée en productions animales sans une limite maximale de résidus (LMR). Plusieurs AMM de nouvelles molécules sont ainsi datés du 31 décembre 1991, dont l’enrofloxacine (Baytril®) et le ceftiofur (Excenel®). En 1994, le Tilmicosine Micotil® 300, nouveau macrolide injectable longue action, suivi des formes orales Pulmotil® pour porcs (1997) et veaux (2000). En 1995, le premier vaccin porcin Stellamune® contre la pneumonie enzootique du porc à M. hyopneumoniae arrive sur le marché, concurrencé ensuite par d’autres : Hyoresp® (1997), Suvaxyn® M. hyo (2000) M+Pac® (2001), Ingelvac® M. hyo (2002), Porcilis® M. hyo (2004). Entre 2008 et 2009, les premiers anticancéreux vétérinaires contre les mastocytomes cutanés sont disponibles, avec deux spécialités : le masitinib et le tocéranib. Plus récemment, entre 2014 et 2018, Premiers antiparasitaires externes d’isoxazolines : fluralaner Bravecto® (chiens, 2014, spot on, chat 2016), afoxolaner NexGard® (chiens, 2014), sarolanier Simparica® (chiens, 2015), lotilaner Credelio® (chiens, 2017, chats, 2018). En dermatologie vétérinaire, l’année 2017 voit arriver sur le marché, Cytopoint®, le premier anticorps monoclonal (lokivetmab) à usage vétérinaire, indiqué dans le traitement des manifestations cliniques de la dermatite atopique canine. L’année 2018 a également été prolifique. Plusieurs AMM ont été délivrées. Le Galliprant®, le premier antagoniste des récepteurs EP4 des PgE2 pour les chiens. Le collyre vomitif Clevor® pour les chiens à base de ropinirole. Le tramadol injectable et oral pour les chiens. Tramadog®, Tralieve®, ou encore l’Arti-Cell Forte®, premières cellules-souches indiquées dans les boiteries articulaires des chevaux (liste non exhaustive, à compléter).

Cancer et immunothérapie

Depuis quelques années, le secteur vétérinaire connaît un regain d’intérêt pour l’immunothérapie, comme en médecine humaine. Cette méthode consiste à administrer des substances pour stimuler les défenses immunitaires de l’organisme, notamment pour lutter contre certains cancers. Il s’agit d’ailleurs du traitement anticancéreux le plus prometteur, avec des applications possibles en médecine canine et féline. Deux grandes catégories d’immunothérapies sont appliquées : une non-spécifique et une spécifique. Pour la première, l’interleukine 2 est disponible depuis 2013 pour le traitement du fibrosarcome chez le chat, en complément de la chirurgie et de la radiothérapie. L’immunothérapie spécifique appliquée en clinique est liée à l’utilisation de « vaccins thérapeutiques ». « À l’avenir, les traitements classiques et les différentes approches d’immunothérapie devraient être utilisés de manière complémentaire. D’ailleurs, la radiothérapie et certaines molécules de chimiothérapie ont un effet immunogène, tout comme certains produits de phytothérapie, d’algothérapie (algues) ou de mycothérapie (champignons). Et les pistes de recherche sont nombreuses. Le jeûne séquentiel, par exemple, diminue les effets secondaires de la chimiothérapie tout en augmentant son efficacité », indiquait, dans les colonnes de La Semaine Vétériniares, Olivier Keravel, praticien à la clinique Eiffelvet, structure de référés en oncologie, imagerie et chirurgie. Autre application en médecine vétérinaire, l’immunothérapie allergénique ou communément appelée désensibilisation, pour le traitement de la dermatite atopique. Le protocole débute par l’identification des allergènes fautifs. Ensuite, il est administré régulièrement à l’animal, sous forme d’injections sous la peau, des extraits d’allergènes auxquels l’animal est sensible. L’objectif étant que ce dernier se désensibilise. Un autre traitement de l’allergie par voie orale est également disponible sur le marché.

1 bit.ly/2DzgAjX.

Pour en savoir plus :

discontools.eu.

bit.ly/2SKm1WR.

bit.ly/2BwZH9r.

bit.ly/2tjAvPu.

DEUX QUESTIONS À MARIE-ANNE BARTHÉLÉMY 

« SALUONS LA CRÉATION D’UNE PROTECTION POUR INNOVER SUR UN MÉDICAMENT EXISTANT »

Le nouveau règlement européen sur les médicaments vétérinaires prévoit de simplifier certaines démarches administratives pour favoriser la recherche et l’innovation. Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du SIMV, détaille ces mesures. Les dispositions du nouveau règlement européen permettront-elles de garantir la disponibilité des médicaments vétérinaires sur le marché ? Le texte encourage-t-il réellement l’innovation ?
Ce sujet avait mobilisé, au-delà de nos industriels, nos partenaires, vétérinaires et éleveurs, fédérés au sein du Réseau français de santé animale, qui tient à jour une cartographie des gaps thérapeutiques élaborée par l’Anses-ANMV sur la base de la consultation régulière des filières. Nous avons rencontré à quatre reprises les parlementaires et le rapporteur pour faire ressortir les enjeux pour les parties prenantes. Certaines dispositions sont des encouragements à l’innovation, avec notamment la protection des données allongée pour les espèces mineures. Il faut aussi saluer la création d’une disposition que nous avions demandée pour pouvoir faire évoluer les médicaments existants après leur période de protection initiale et qui ouvre à nos industriels un champ nouveau, notamment en antibiothérapie.
Concernant les autorisations de mise sur le marché (AMM), êtes-vous satisfaite des dispositions que contient le texte ? Aurait-il pu aller plus loin ?
Certaines dispositions administratives sont supprimées dont le renouvellement, et la caducité des AMM. C’est une amélioration. Pour la pharmacovigilance, les rapports périodiques de pharmacovigilance et le descriptif du système de pharmacovigilance sont retirés. Nous sommes cependant encore réservés sur l’alternative choisie dans ce règlement : management du signal et pharmacovigilance master file. Nous devons savoir comment ces dispositions se mettront en place avant d’en dresser un bilan positif. Nous appelons à une surveillance post-AMM modulée en fonction du risque et non identique quels que soient les médicaments. Nous sommes déçus que notre demande d’encadrer les médicaments à base de plantes n’ait eu comme seule réponse un rapport de la Commission en 2027.

UNE E-SANTÉ INNOVANTE

Le premier congrès dédié à la médecine vétérinaire connectée a été organisé en janvier 2018 par l’Afvac, l’Avef et la SNGTV. Il ne fait nul doute que les services numériques révolutionneront la pratique vétérinaire. En effet, depuis quelques années, l’innovation en santé animale rime aussi avec e-santé. Les objets connectés destinés aux animaux de compagnie et d’élevage aident les praticiens dans leur pratique. Signe que la santé connectée tient une place de plus en plus importante en médecine vétérinaire, l’Afvac a récompensé Zoetis et SantéVet pour le Protocol Manager®, un outil digital qui facilite la mise en place d’une vaccination raisonnée. Plusieurs solutions numériques sont aujourd’hui proposées au praticien : échographie sur tablette, matelas avec capteurs, résultats et interprétation d’un électrocardiogramme, suivi à distance, élevage connecté. De véritables opportunités pour le vétérinaire. Cependant, le cadre juridique de cette approche doit encore être précisé, notamment en ce qui concerne la propriété des données collectées et leur exploitation. Par ailleurs, comme en santé humaine, le big data et les nouvelles opportunités qu’il crée sont des enjeux majeurs.

ENTRETIEN AVEC  JEAN-LOUIS HUNAULT  

« IL N’Y A PAS DE RARÉFACTION DE L’INNOVATION EN SANTÉ ANIMALE »

Y a-t-il une raréfaction de l’innovation en santé animale ?
Si nous prenons comme référence la période des 10 dernières années, les entreprises de la santé animale ont mis sur le marché tous les ans au moins une innovation assez majeure et, en moyenne, 10 nouveaux médicaments. Notre industrie est titulaire de 2 500 autorisations de mise sur le marché (AMM) en France. En comparaison avec les autres États membres, ce taux de couverture est important. L’Hexagone dispose de loin du plus grand arsenal thérapeutique, même si le Réseau français de santé animale (RFSA) recense encore une centaine de gaps non couverts qui nous mobilisent. Il y a malgré tout des solutions possibles, à travers la cascade, qui ne laissent pas le vétérinaire sans moyen. Notre industrie innove pour courvrir de nouveaux besoins, sans nécessairement “chasser” d’autres produits. Le secteur connaît en effet un modèle économique dans lequel l’arsenal thérapeutique est précieux et les investissements viennent s’ajouter à l’existant (marché de niches). Nous avons comparativement une plus grande probabilité de réussite d’arriver au terme de la phase de développement et d’obtenir une AMM. La santé animale présente un profil de risque moins élevé avec de plus grandes chances de succès qu’en humaine. Par ailleurs, nos entreprises s’intéressent aux start-up et à la recherche publique pour identifier leurs projets innovants. Nous leur apportons une expertise dans notre domaine, dont les éléments nécessaires pour évaluer l’innovation dans un contexte réel. Selon les données, notamment marketing, à notre disposition, nous allons pouvoir évaluer un schéma de développement. Cette complexité est un savoir-faire de nos industriels. Il n’y a donc pas de raréfaction de l’innovation en santé animale, mais au contraire un rythme très soutenu résultant d’un investissement constant des laboratoires (10 % de notre CA). Je salue en particulier la décision de Boehringer Ingelheim d’investir plus de 200 millions d'euros à Jonage (Rhône), faisant de notre pays un leader mondial de l’innovation en santé animale. Nous soutenons cet effort et venons de signer avec la région un contrat d’objectifs emploi formation (Coef) des industries de santé pour la période 2019-2022.

L’innovation est-elle captée par des marchés profitables ?
Dès lors que l’on parle de 10 ans d’investissement et de millions d’euros, il est nécessaire de garder à l’esprit que ce sont les marchés porteurs au niveau mondial qui permettent de la financer. Les cinq premiers groupes mondiaux concentrent 75 % du marché et disposent de cette capacité d’engagement. Pour autant, il y a également de plus petites sociétés qui continuent à investir dans des marchés de niches ou sur des marchés locaux. Autre indicateur à prendre en compte, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) exonère de taxes certains produits ayant un CA annuel en France inférieur à 50 000 €. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de médicaments sont concernés. S’agissant des espèces mineures, chaque entreprise peut être intéressée par une opportunité de marché. Notre secteur est composé d’entreprises aux modèles économiques et aux typologies différents. C’est une richesse pour la profession vétérinaire. Elles tiennent compte, dans le choix des futures innovations, du coût des traitements qui dépend du prix de l’animal. Certaines innovations de l’humaine peuvent de facto se retrouver écartées de notre secteur pour des raisons de coûts des traitements. L’éleveur est un client final qui a un vrai déficit de pouvoir d’achat en France. Il revient au vétérinaire de montrer le réel bénéfice économique de nos traitements, en particulier de la prévention, et à nos entreprises de lui fournir ces données.

Peut-elle proposer de nouveaux médicaments dits "révolutionnaires" ?
Il faudrait saisir parfaitement le sens du mot “révolutionnaire”. Nous voyons déjà, par exemple, Vetbiobank développer l’un des premiers médicaments de thérapie cellulaire vétérinaire contre l'arthrose canine. Pour de nombreuses technologies, la question qui se posera sera celle de son acception par la société. Une technique comme le CRISPR1, qui visera à modifier le gène pour rendre l’animal plus résistant à certaines maladies, pourrait être considérée comme “révolutionnaire”. À plus court terme, les travaux, notamment de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sur le microbiote présentés lors de nos rencontres de recherche en santé animale, ouvrent de très belles perspectives. Notre industrie se prépare à relever ces nouveaux défis pour une médecine préventive et de précision intégrant la gestion des données. Le bien-être et la santé animale et ceux de l’homme ont en commun de reposer de plus en plus sur une combinaison de produits et de services intégrant l’aide au diagnostic, des réactifs dont la rapidité augmente, l’expertise collective et une prise en charge individualisée, et enfin des protocoles de traitements, davantage que sur l’arrivée d’un médicament “révolutionnaire”.

Vos principaux freins à l’innovation ?
Je citerais d’abord la variation des contextes réglementaires. Ces incertitudes ne favorisent pas les investissements. Ce fut le cas, par exemple, pour les antibiotiques. À l’inverse, le nouveau règlement européen sur les médicaments vétérinaires donnera plus de lisibilité. Mais son annexe 2 laisse encore un niveau d’incertitudes élevé. Dans un modèle de cycle d’investissement aussi long, il faut de la stabilité et tout ce qui réduit cette lisibilité nuit à l’investissement. La taille des marchés également joue un rôle primordial, d’où l’importance de l’harmonisation internationale des règles d’enregistrement. De même, la taille du marché peut être un handicap. L’internationalisation de nos petites et moyennes entreprises (PME) et de nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) est un véritable enjeu pour aller chercher ces relais de croissances et pour répartir les risques. Enfin, l’attractivité de notre territoire reste un élément clé. Le maillage vétérinaire est un défi considérable.

L’innovation en santé animale est-elle en mal de reconnaissance ?
Les émergences et scandales sanitaires font grand bruit. Ce sont souvent les fraudes qui font l’actualité et nuisent à la confiance des consommateurs. À la suite de l’affaire du pou rouge, quand notre industrie a mis à disposition un vaccin, personne n’en a parlé. Il y a un phénomène d’innovation à “bas bruit”. Mais lorsque l’on se pose et regarde sur une période donnée, il est clair qu’il existe un vrai apport de l’industrie de la santé animale. Nos innovations offrent un bénéfice certain pour l’animal, leur propriétaire, le vétérinaire et, plus largement, pour la santé publique. Les vétérinaires sont au quotidien les meilleurs relais de diffusion et d’explication de ce progrès thérapeutique. Nous comptons sur eux et restons à leur côté pour expliquer le bénéfice de nos diagnostics et de nos traitements.

1 Clustered regularly interspaced short palindromic repeats.

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