vétérinaires sanitaires : une pression sociétale forte - La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Par sa formation et les nombreux métiers qu’il peut exercer tout le long de la chaîne alimentaire, depuis l’élevage jusqu’à la distribution des produits, le vétérinaire se trouve au cœur de la sécurité sanitaire des aliments. Les fortes attentes sociétales actuelles concernant la santé publique et la protection animale, l’évolution des habitudes alimentaires et les récentes crises sanitaires situent encore davantage les vétérinaires au centre d’un système qui évolue et dans lequel ils ont de l’avenir. Recueil de quelques témoignages sur la question.

Tous les secteurs dans lesquels il existe une forte attente de la société concernant la chaîne alimentaire au sens large, y compris la protection animale, recoupent les métiers du vétérinaire », constate Loïc Évain, directeur général adjoint de l’alimentation (DGAL) au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. « Les vétérinaires sont bien placés pour jouer leur carte dans les emplois privés ou publics qui existent dans ce domaine ». Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), présente également une vision prospective et évolutive du réseau vétérinaire en charge de la santé publique et de la sécurité sanitaire des aliments : « Les missions ne peuvent que croître sous la pression des enjeux de société, qu’ils soient liés à la bientraitance animale ou à la sécurité des aliments consommés, sans compter le Brexit. »

Les vétérinaires intervenant en sécurité sanitaire des aliments peuvent être salariés de l’État, des collectivités territoriales ou d’entreprises privées, ou exercer à titre libéral, mais les enjeux sont souvent imbriqués. Ils ont accès à de nombreux métiers auprès des industries agroalimentaires, de l’industrie pharmaceutique, des laboratoires1 et des armées2, par exemple. Enfin, « la présence des vétérinaires praticiens d’exercice libéral (…), dès les premiers échelons de la production des denrées animales, leur permet de participer à la garantie de la qualité sanitaire des produits d’origine animale », explique Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL).

Des besoins importants en vétérinaires, à tous les niveaux

Toutefois, « il est à craindre que les tensions sur le maillage vétérinaire 3 dans certaines zones impactent l’efficacité du réseau de confrères libéraux », redoute notre confrère. Concernant le secteur public, « l’État est en situation de devoir recruter sans certitude de couvrir par la seule voie interne la totalité de ses besoins conformément aux standards européens », remarque Jacques Guérin. « Il faudrait avoir davantage d’inspecteurs, et notamment de vétérinaires, dans le service public de l’alimentation, mais nous sommes contraints par la discipline budgétaire, précise Loïc Évain. Après une chute du nombre d’emplois pendant plusieurs années, puis une augmentation de 2015 à 2017, nous connaissons une stabilisation. Le Premier ministre, dans une circulaire du 24 juillet dernier, a réaffirmé la priorité qui doit être accordée à la sécurité sanitaire. Des décisions devraient être prises sans tarder dans le cadre du plan gouvernemental Action publique 2022 ». Or, selon Jacques Guérin, « une tension est palpable en matière de recrutement dans tous les métiers vétérinaires ». Une des solutions alors évoquée pour répondre à cette problématique est d’« étendre la formation initiale aux enjeux de santé publique et de sécurité des aliments dans les écoles nationales vétérinaires ». Cependant, selon lui, « le recrutement par voie externe de docteurs vétérinaires après un temps d’exercice libéral est plus porteur, car les métiers de la fonction publique sont mal connus et subissent l’hégémonie de la motivation des étudiants pour ceux de soignant de la faune sauvage ou des animaux de compagnie ». « Les vétérinaires ont de l’avenir dans la voie de la sécurité sanitaire et de réels atouts à faire valoir auprès des éleveurs, des industries, des laboratoires, etc. », ajoute Loïc Évain. « Les sciences sociales devraient être davantage présentes dans les écoles nationales vétérinaires, car le vétérinaire intervenant de la chaîne alimentaire doit appréhender les attentes sociétales dans toute leur complexité, leurs pa radoxes parfois ».

Évoluer avec les attentes sociétales

Il est en effet nécessaire que les métiers en lien avec la sécurité sanitaire évoluent pour s’adapter aux nouvelles exigences des consommateurs. « Par exemple, à l’abattoir, où l’on s’est focalisé, à juste titre, sur la sécurité sanitaire, l’association L214 a mis en lumière des pratiques qui ont choqué l’opinion, constate Loïc Évain. Lutter contre la maltraitance a toujours été important, mais la protection animale est désormais un point d’attention des services vétérinaires. » Pour Jacques Guérin, « l’évolution consiste en une adaptation des missions face aux choix alimentaires des Français, aux motivations de ces choix et aux modifications des circuits de production et d’approvisionnement. L’objectif reste le même : la sécurité sanitaire des aliments. En revanche, l’émergence parfois rapide, parfois fugace, de circuits courts d’approvisionnement, notamment en périphérie des villes, est l’exemple typique d’une mise sous tension des services de l’État et d’une nécessaire réactivité pour assurer aux consommateurs que les prérequis sanitaires demeurent. La complémentarité des réseaux des vétérinaires de la fonction publique et des vétérinaires privés me paraît un atout majeur du dispositif français. » « Le développement de la commercialisation par les circuits courts rend la reconnaissance de l’implication nécessaire des praticiens de terrain encore plus pertinente », atteste Laurent Perrin, qui conclut : « La demande des consommateurs d’une production plus respectueuse de l’environnement et de l’animal et d’une information plus complète sur les produits implique un suivi tout au long de la production. Les vétérinaires praticiens, par leur présence régulière dans les élevages, assurent ce suivi et pourront d’autant plus le développer qu’ils seront présents et que leur rôle sera reconnu, défini et rémunéré. »

Impact des crises sanitaires

De plus, des crises sanitaires récentes mettent à mal le secteur. « Quelle que soit la nature de la crise, l’opinion publique considère qu’elle résulte d’une défaillance de l’État, oubliant (ou ignorant) que la sécurité sanitaire d’un produit est d’abord l’affaire et la responsabilité de son producteur. Le consommateur a aussi un rôle important dans la prévention des risques sanitaires », explique Loïc Évain. Cependant, « les crises sanitaires tendent à éroder la confiance des citoyens envers le corps professionnel des vétérinaires, au même titre qu’envers la communauté scientifique, regrette Jacques Guérin. Les réseaux sociaux sont à ce titre un moyen délétère de propager cette défiance. Prévenir la désinformation consisterait à ce que l’État, les collectivités territoriales, les mairies, prennent conscience qu’ils disposent d’un réseau de vétérinaires, professionnels scientifiques de la santé animale, sur lequel ils peuvent s’appuyer pour diffuser une information qualitative, assurer la pédagogie auprès des citoyens et expliquer la situation en cas de crise, notamment dans les écosystèmes urbains ou périurbains, en ne négligeant pas le maillage des établissements de soins vétérinaires dédiés aux animaux de compagnie ». De même, pour Laurent Perrin, « les crises sanitaires affectent l’économie de tous les intervenants d’une filière jusqu’aux producteurs, et donc, par ricochet, les vétérinaires. Ces derniers jouent un rôle important de passeur de messages vers les consommateurs. Leur compétence d’expert des questions animales et leur contact quotidien avec les professionnels de l’élevage ou les particuliers détenteurs d’animaux de compagnie leur permet de délivrer des informations pertinentes vers le public ».

« C’est une des traductions opérationnelles du positionnement souhaité et encouragé par les organisations professionnelles vétérinaires, d’un vétérinaire sentinelle à la confluence des enjeux animal-homme-environnement », conclut Jacques Guérin.

1 La loi agriculture et alimentation, promulguée le 30 octobre 2018, augmente les exigences d’autocontrôles en entreprise et en laboratoire.

2 Les vétérinaires des armées garantissent la santé des soldats en missions, notamment via la sécurité alimentaire et la potabilité de l’eau. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1775 du 31/8/2018, page 42-47.

3 La feuille de route Activités vétérinaires en territoires ruraux et productions animales, née de l’initiative du SNVEL, en mai 2016, promeut l’installation des praticiens en milieu rural.

COMMUNIQUER ENTRE VÉTÉRINAIRES ET NON-VÉTÉRINAIRES, ET ENTRE PUBLIC ET PRIVÉ

Les derniers dîners-débats organisés par le Réseau de santé publique vétérinaire (RSPV)1 ont eu pour thème “la confiance” des consommateurs et des citoyens.
Immanquablement, le premier point soulevé décrit le fossé entre l’élevage ou la production d’aliments et l’image qu’en a le consommateur, ce qui entraîne une suspicion a priori sur les pratiques. De plus, le consommateur ne différentie pas la fraude (viande de cheval au lieu de bœuf) des risques sanitaires (salmonelles dans le lait) ou des mauvaises conditions de vie ou d’abattage des animaux. Avec pour champs de travail la santé et le bien-être des animaux et la sécurité sanitaire des aliments, le vétérinaire se trouve au cœur de la santé publique vétérinaire, et à l’interface entre l’élevage et la société, dans le secteur public comme dans le privé. Il doit ainsi jouer à la fois un rôle de prévention de la détresse des éleveurs, qui manquent de reconnaissance de leur travail, et de communication auprès des consommateurs sur les points positifs de la production animale, pour contrebalancer une image souvent négative et certaines idées reçues. Encore faudrait-il, pour vraiment fonder la confiance du consommateur, que les secteurs public et privé communiquent davantage pour délivrer la même information. Par exemple, le service public conçoit des grilles d’évaluation du bien-être animal en application de la réglementation, et le privé en réalise d’autres (cahiers des charges). Chacun se dote ainsi d’outils probants, mais le discours global semble incohérent pour la population, qui n’est pas rassurée. Le second point montré par les dîners-débats en région est qu’une crise sanitaire n’est pas considérée comme telle sur l’ensemble du territoire, et les métiers et les filières ont leur propre angle d’exposition aux dangers. Par conséquent, l’activité de certains vétérinaires est fortement augmentée, d’autres au contraire travaillent moins car une production est arrêtée ; ceux qui subissent des opérations dans l’immédiateté assument un stress important, quand d’autres enfin ne sont pas du tout impactés. Pourtant chacun est au contact de la société et tous doivent porter un message cohérent. La sécurité sanitaire des aliments est l’affaire des vétérinaires, mais bien évidemment celle de nombreux acteurs qui interagissent avec lui, et qui ont un angle de vue différent sur les maillons de la chaîne alimentaire. Le vétérinaire qui travaille en réseau a la chance de pouvoir intégrer tous ces points de vue, et celui qui sait écouter les différents partenaires anticipe mieux les risques et les problèmes. Ainsi, le RSPV s’est constitué pour rassembler ces acteurs. Il communique sur les emplois et les formations dans ce secteur, et propose des parrainages pour les personnes qui souhaiteraient découvrir ces métiers. Ces derniers ne sont pas seulement dans le secteur public et pas non plus réservés au corps des inspecteurs de la santé publique vétérinaire (ISPV) : tout étudiant ou confrère en clientèle qui souhaite changer de filière peut postuler.

1 reseau-sante-publique-veterinaire.com.

LE VÉTÉRINAIRE EXPERT AU CENTRE DE PRÉOCCUPATIONS TECHNIQUES ET JURIDIQUES

Nous intervenons généralement à la demande des assureurs dont un client est victime d’un sinistre concernant des productions alimentaires qui se trouvent altérées et doivent être détruites, par exemple à la suite d’une contamination par des microorganismes pathogènes. Notre mission consiste à déterminer les causes du sinistre, à en vérifier l’origine accidentelle et à chiffrer les pertes indemnisables en fonction du contrat d’assurance. Lorsqu’un tiers est à l’origine du dommage, sa responsabilité civile peut se trouver engagée. La mission d’expertise du vétérinaire consiste alors à évaluer les éléments permettant de déterminer si la mise en cause de la responsabilité du tiers est possible. Nous intervenons non seulement en cas de dommages concernant des productions de viande, des produits carnés, le poisson, le miel, mais surtout le lait cru et les produits laitiers fabriqués à partir de lait cru, régulièrement concernés par des contaminations par des agents pathogènes les rendant impropres à la consommation. Le lait étant généralement à l’origine de la contamination, la responsabilité de l’éleveur, producteur de lait, est parfois mise en cause. Les conséquences en matière de santé publique peuvent être significatives et les enjeux financiers atteindre plusieurs millions d’euros. Une autre facette de nos missions consiste à intervenir préventivement chez les producteurs ou transformateurs de denrées alimentaires, afin d’évaluer et de limiter les risques d’occurrence de dommages. Les exigences croissantes et légitimes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire ont conduit à un durcissement progressif de la réglementation et des contrôles. Ce renforcement de la sécurité alimentaire participe à l’inflation des retraits de la consommation de produits transformés, avec une tentative systématique de mise en cause du responsable qui devra en supporter les conséquences financières. Dans ce contexte, il est important de disposer à la fois de compétences techniques, mais aussi juridiques, comptables et financières pour mener à bien les missions qui nous sont confiées.

INSPECTEUR DE LA SANTÉ PUBLIQUE VÉTÉRINAIRE, UN MÉTIER VARIÉ

Si l’inspection reste leur cœur de métier, soit à l’abattoir, soit en inspection itinérante, les inspecteurs de la santé publique vétérinaire (ISPV) ont des missions extrêmement diverses. Ils interviennent en management (mise en œuvre d’un ordre de service, animation de réunion, gestion des ressources humaines, etc.), en missions technique (gestion d’une alerte de toxi-infection alimentaire, formalisation d’une saisie en abattoir, signature d’un certificat à l’export) et en matière judiciaire (rédaction d’un procès-verbal de constatations, audition, réalisation d’une enquête). L’activité peut être variée durant la carrière, avec différentes politiques publiques à mettre en œuvre, en sécurité sanitaire des aliments comme dans d’autres domaines : environnement, économie agricole, etc. L’ISPV peut passer de l’expertise technique et scientifique pointue à l’encadrement d’équipe de plus de 250 agents, grâce à ses compétences en matière d’observation, de diagnostic, de stratégie de mise en œuvre, à son pragmatisme et à sa compréhension des jeux d’acteurs. L’évolution du métier suit celles des risques, de type bactériologique viral aigu à chimique chronique souvent environnemental, qui nécessitent de parfaitement maîtriser les processus d’alerte et d’innover. Elle accompagne également les nouvelles attentes sociétales en matière de protection animale, de même que l’appréhension du risque alimentaire en fonction du public concerné. Elle suit avant tout la politique du ministère. La promotion d’une alimentation bio locale et la lutte contre le gaspillage s’accentuent avec la loi Egalim issue des états généraux de l’alimentation. Ainsi, les outils, dont on dote les étudiants au sujet des politiques publiques de management, leur permettent de s’adapter en permanence, car ils sont formés pour une évolution de carrière perpétuelle. Enfin, la communication prend une importance capitale, notamment en cas de crise : il ne suffit plus d’être efficace, il faut le faire savoir et se sécuriser juridiquement.

EXEMPLES DE CRISES ET DE SCANDALES SANITAIRES

- 2015 : des associations de défense des animaux dénoncent certaines pratiques d’élevage industriel et de mise à mort des animaux dans les abattoirs depuis une dizaine d’années. Notamment, les vidéos publiées par l’association L214 mobilisent beaucoup l’opinion publique depuis 2015.
- 2017-2018 : laits infantiles Lactalis contaminés aux salmonelles (2017), avec de nouveaux cas en 2018.
- 2017 : œufs contaminés au fipronil.
- 2013 : chevaux de laboratoire destinés à la consommation humaine.
- 2013 : lasagnes à la viande de cheval étiquetées “viande de bœuf”, de Spanghero.
- 2011, 2013 : contaminations à Escherichia coli de tartelettes chez Ikea (2013), de steacks hachés (2011), de graines germées, d’abord attribuée aux concombres (2011).
- Depuis 2003 : épidémies d’influenza aviaire.
-  1999, 2008, 2010 : contaminations à la dioxine de poulets (1999), de porcs et de mozzarella (2008), d’œufs allemands (2010).
- 1996 : transmission à l’homme de la maladie de l’encéphalopathie spongiforme bovine.
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