Détection précoce des complications anesthésiques grâce au monitorage - La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : JULIEN MICHAUT-CASTRILLO 

Les risques de complications anesthésiques ont considérablement diminué au cours des dernières années. Ils sont actuellement de 0,1 à 0,2 % chez le chien et de 0,25 % chez le chat. Cela résulte d’une utilisation de molécules anesthésiques plus adaptées, mais aussi d’un monitorage peranesthésique plus fréquemment utilisé afin de détecter de manière précoce les complications, notamment l’hypercapnie, l’hypotension et l’hypoxémie.

Hypercapnie

Une hypercapnie est un excès de dioxyde de carbone dans le sang artériel (PaCO2). L’EtCO2, pression partielle en CO2 dans l’air expiré, est le reflex direct de la PaCO2 et se mesure à l’aide d’un capnomètre. Il en existe deux types : les capnomètres à flux principal et à flux latéraux, ces derniers affichant une valeur avec un léger délai. La valeur normale de l’EtCO2 est de 35 à 45 mmHg. Une valeur jusqu’à 60-70 mHg est souvent bien tolérée par un animal en bonne santé. Au-delà, une narcose peut se produire et il convient alors de vite réagir en commençant par ventiler l’animal. à l’inverse, une EtCO2 faible peut être secondaire à une hyperventilation ou à un taux d’O2 trop élevé. Enfin, une chute brutale de l’EtCO2 est souvent secondaire à un arrêt des échanges respiratoires (déconnection de la sonde, obstruction des voies aériennes, arrêt cardiaque).

L’hypercapnie peut se produire dans différentes situations en période peranesthésique.

Hypoventilation

L’hypoventilation est la première cause d’hypercapnie. Lorsque l’individu respire spontanément, les molécules anesthésiques telles que les opioïdes, les benzodiazépines, le propofol et les gaz halogénés dépriment la réponse ventilatoire en présence de CO2. Lorsqu’une ventilation mécanique est mise en place, cela est souvent secondaire à une fréquence respiratoire trop faible ou un volume courant insuffisant.

Réinhalation

Le patient peut réinhaler une quantité importante de CO2 lorsque le débit de gaz frais est trop faible ou lorsque les circuits respiratoires sont défectueux, notamment les vannes de contrôles expiratoires, ou que la chaux est saturée. Cela a pour conséquence d’augmenter la quantité de CO2 dans le sang et dans l’air expiré.

Augmentation de la production de CO 2

Une augmentation de la production de CO2 par l’organisme peut se produire lors d’hyperthermie intrinsèque ou par un réchauffement excessif, qui a pour conséquence une augmentation du métabolisme et donc une augmentation de la quantité de CO2 produite. Par ailleurs, lors d’une intervention sous laparoscopie, le CO2 insufflé est en partie absorbé, entraînant ainsi une hypercapnie.

Augmentation de l’espace mort

Lorsque l’espace mort est supérieur à 25-30 %, une ventilation insuffisante des alvéoles pulmonaires se produit, réduisant ainsi les échanges gazeux efficaces, sans pour autant que cela soit visible sur la capnographie s’il y a une bonne ventilation de cet espace. Cela survient également chez les patients atteints d’une maladie pulmonaire obstructive.

Hypotension

Une hypotension est une pression artérielle moyenne inférieure à 60 mmHg ou une pression artérielle systolique inférieure à 80 mmHg. Il s’agit de l’une des complications les plus courantes en anesthésie. De nombreux facteurs peuvent en être à l’origine, la première cause étant iatrogène, due aux effets cardiovasculaires des molécules anesthésiques. Cette donnée est primordiale car elle est le reflet direct de la perfusion tissulaire et donc de l’oxygénation tissulaire.

Face à une hypotension, le vétérinaire doit réagir selon une démarche thérapeutique rigoureuse, dont voici le résumé.

Confirmer l’hypotension

La seule mesure fiable de la pression artérielle est une mesure invasive par la mise en place d’un cathéter artériel, mais cela est rarement mis en pratique dans les faits. Il existe des techniques non invasives, moins fiables, qui nécessitent donc d’être répétées et confrontées à la clinique (palpation d’un pouls artériel). Lorsque l’hypotension est confirmée, elle doit être prise en charge rapidement.

Modifier la profondeur de l’anesthésie

La première cause de l’hypotension étant iatrogène, la première chose à faire est de diminuer les anesthésiques, notamment le pourcentage d’isoflurane. La mise en pratique d’une anesthésie-analgésie multimodale va également dans ce sens, car elle permet de diminuer la quantité des molécules anesthésiques. Le plus souvent, la simple diminution de la quantité d’anesthésiques suffit à retrouver une pression artérielle dans les valeurs normales. Dans le cas contraire, l’hypotension est liée majoritairement à une hypovolémie qu’il va falloir gérer.

Fluidothérapie

L’hypovolémie est majoritairement secondaire à une hypovolémie relative, résultat d’une vasodilatation iatrogène. Dans ce cas, un bolus de 10 ml/kg de solutés cristalloïdes (ringer Lactate, chlorure de sodium) est conseillé et répétable au besoin. Dans le cas d’hémorragies peropératoires, l’hypovolémie est vraie, une perfusion de cristalloïdes hypertoniques ou de produits sanguins peut être associée. Si le remplissage vasculaire ne suffit pas à rétablir une pression sanguine correcte, l’utilisation de molécules à effet cardiovasculaire est nécessaire.

Molécules à cible cardiovasculaire

La pression artérielle (PA) est le produit de la résistance vasculaire (R) par le débit cardiaque (D), lui-même le produit de la fréquence cardiaque (FC) par le volume d’éjection systolique (Vej syst), soit PA = R x D avec D = FC x Vej syst.

Les molécules agissant sur la pression artérielle influent en réalité sur ces trois paramètres. La restauration du débit cardiaque est à envisager en premier, et en particulier la fréquence cardiaque. En cas de bradycardie, des molécules parasympatholytiques telles que l’atropine (20 à 40 µg/kg intraveineuse [IV] ou intramusculaire [IM]) ou le glycopyrrolate (5 à 10 µg/kg IV) sont utilisées.

Si la fréquence cardiaque est normale mais qu’une vasodilatation est marquée, des molécules sympathomimétiques mixtes comme l’éphédrine (0,1-0,5 mg/kg en bolus IV répétables) sont injectées, ou, en l’absence de réponse à l’éphédrine, de la noradrénaline en perfusion (0,1 à 2 µg/kg/min IV).

Le recours à la dopamine en perfusion est possible aussi, à une dose moyenne (5 à 10 µg/kg/min) pour obtenir un effet principalement cardiaque (inotrope et tonotrope positif) ou à une dose plus élevée (10 à 15 µg/kg/min) pour un effet vasculaire dominant (vasoconstriction).

Enfin, en cas d’affection du myocarde, la dobutamine en perfusion (2 à 10 µg/kg/min IV) permet d’augmenter la contractilité cardiaque.

Hypoxémie

L’hypoxémie est une diminution anormale de la quantité d’O2 dans le sang. Le monitorage est réalisé à l’aide d’un oxymètre de pouls qui mesure la saturation pulsée en O2 (SpO2) en quantifiant la saturation en oxygène de l’hémoglobine au niveau des capillaires sanguins. Une hypoxémie est suspectée dès que la SpO2 est inférieure à 94 %. Cette surveillance au cours de l’anesthésie et du réveil permet de réduire la mortalité peranesthésique, de même que la préoxygénation.

Origine

De nombreuses causes d’hypoxémie existent, notamment une faible quantité d’O2 inspirée, un défaut de ventilation, un défaut d’échange gazeux alvéolaire par défaut de ventilation ou de perfusion, ou de diffusion des gaz sanguins. Les shunts droite-gauche peuvent également en être à l’origine, de même qu’un état de choc ou des convulsions lors desquelles une augmentation de la demande cellulaire en O2 est observée.

Démarche diagnostique

Lorsqu’une hypoxémie est suspectée, s’assurer que l’animal a un pouls. S’il n’en a pas, une réanimation cardiovasculaire immédiate s’impose. En présence de pouls, la démarche se fait en trois étapes. Une ventilation manuelle est d’abord réalisée. La trachée et les poumons sont auscultés au stéthoscope. Il convient de vérifier qu’il n’y a pas d’obstruction des voies respiratoires supérieures, ni de bouchons de mucus (ronflements), de bronchoconstriction (sifflements) ou de congestion (crépitements). Si aucun bruit respiratoire n’est audible, un pneumothorax est suspecté. Ensuite, il faut s’assurer que l’apport en O2 est satisfaisant, en vérifiant la sonde d’intubation, les éventuelles fuites, et la source en O2. Enfin, le capteur de l’oxymètre de pouls et son positionnement sont vérifiés.

Olivier Levionnois Diplomate ECVAA, université de Berne (Suisse). Delphine Holopherne-Doran Diplomate ECVAA, praticienne au Highcroft Veterinary Referrals (Royaume-Uni). Mathieu Raillard Diplomate ECVAA, université de Berne. Article rédigé d’après des présentations au congrès de l’Afvac à Marseille (Bouches-du-Rhône), en novembre 2018.

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