Alimentation des bovins : quelques clés de connaissance - La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE 

Connaître les aliments présents chez les éleveurs permet au vétérinaire d’apporter des conseils pertinents pour prévenir certaines maladies métaboliques ou troubles de la reproduction. Or, si les étiquettes sont obligatoirement présentes, elles sont souvent difficiles à comprendre sans quelques notions de base en nutrition. C’est pourquoi, il est intéressant pour le praticien de disposer de quelques outils de compréhension pour pouvoir déchiffrer les informations présentes sur les aliments composés utilisés en alimentation bovine.

Les correcteurs azotés, constituants principaux

Aliments complémentaires destinés à équilibrer les rations de base des ruminants constituées principalement d’ensilage de maïs, ils apportent des sources azotées absentes dans les fourrages. Ils sont essentiellement composés de tourteaux (soja, colza ou tournesol), mais aussi d’autres composés riches en azote (gluten free, gluten meal, drèches de brasserie, etc.).

Il est important de noter que les protéines présentes dans ces aliments peuvent être tannées (traitement chimique ou incorporation de substances tannantes), c’est-à-dire protégées plus ou moins complètement de la dégradation ruminale. Dans ces conditions, pour une même valeur de matières azotées totales (MAT ; encadré page 32), les valeurs de protéines digestibles d’origine alimentaire non dégradées dans le rumen (PDIA) et de protéines digestibles dans l’intestin grêle permises par l’énergie (PDIE) (= PDIA + PDIME [protéines digestibles d’origine microbienne synthétisées dans le rumen dépendantes de l’énergie fermentescible]) seront plus élevées sans variation de la valeur de protéines digestibles dans l’intestin grêle permises par l’azote (PDIN) (= PDIA + PDIMN [protéines digestibles d’origine microbienne synthétisées dans le rumen dépendantes de l’azote dégradable]). Il peut en résulter une baisse de l’activité microbienne et, par conséquent, de la digestibilité de la ration et de la consommation. Or, au vu des informations disponibles sur l’étiquette, l’identification du tannage n’est pas toujours évidente (il est parfois suggéré à la fin de la liste des composés de l’aliment : huiles essentielles, additifs, etc.). C’est pourquoi, pour obtenir le niveau de tannage des protéines du correcteur azoté, il est nécessaire de demander au fabricant des indications nutritionnelles complémentaires que sont les valeurs PDIE et PDIA.

Sur l’étiquette, la MAT est quelquefois mentionnée sous le terme “protéines brutes” (PB) : ainsi, l’ajout d’urée dans un correcteur azoté augmente sa valeur protéique (MAT ou PB), car c’est une source d’azote, sans pour autant avoir les propriétés d’une protéine. Par conséquent, des correcteurs azotés ayant des compositions proches et des valeurs analytiques et nutritionnelles quasi similaires peuvent avoir une qualité protéique très différente, ce qui peut justifier la différence de prix. Face à ce constat, il est donc intéressant de déterminer dans un aliment la part de la MAT qui provient de l’urée de celle qui provient réellement des protéines.

L’objectif de l’étude précise de la composition d’un correcteur azoté est donc d’estimer sa cinétique de dégradation dans le rumen (protéines tannées ou non, présence d’urée) et de vérifier qu’elle est synchrone avec celle des sources énergétiques de la ration. Ainsi, le tourteau de soja étant souvent considéré comme le correcteur azoté idéal pour l’ensilage de maïs, les industriels essaient de fabriquer un aliment soja-like à partir de matières premières moins coûteuses, en associant protéines tannées et urée pour obtenir des valeurs PDI approchant celles du tourteau de soja, mais avec des cinétiques de dégradation fort différentes.

Les AMV, un complément parfois nécessaire

Un aliment minéral vitaminé (AMV) contient un minimum de 40 % de matières minérales (MM) ou cendres brutes. Dans le premier exemple donné, les valeurs analytiques indiquent un taux de cendres brutes de 88 %, de calcium (Ca) de 25,5 %, de phosphore de 5 %, de magnésium (Mg) de 4 %, de sodium (Na) de 2 % et de soufre de 0,8 %. Ces valeurs représentent les niveaux d’apports totaux et non “absorbables” de plus en plus utilisés pour le calcul du rationnement. L’absence de données sur la cellulose brute, la MAT et les matières grasses brutes témoignent de leur absence dans cet aliment. La liste des ingrédients montre que les matières premières sont principalement minérales. Il s’agit du carbonate de calcium (35 à 40 % de Ca), puis du phosphate (P) de magnésium (13 à 15 % de P, 24 à 28 % de Mg) et enfin du phosphate monocalcique (22 à 24 % de P, 18 à 21 % de Ca). Le sel (35 à 39 % de Na), en dernière position, confirme l’apport modéré en sodium (2 %) de cet aliment. La liste des additifs permet de noter les niveaux d’apport en vitamines A, D3, E et B1, ainsi que ceux en oligoéléments (cuivre [Cu], manganèse [Mn], zinc [Zn], iode [I], sélénium [Se], cobalt [Co]). à noter que les formes chimiques d’apport des additifs sont diversifiées (chélatés ou non). En définitive, l’étiquette indique qu’il s’agit d’un AMV (MM > 40 %) de type 5/25/4 (5 % P, 25 % de Ca, 4 % de Mg). Cet aliment est classiquement utilisé sur les rations de vache laitière en lactation à base d’ensilage de maïs, à raison de 250-300 g/j par vache. En pratique, pour diminuer les coûts, les éleveurs réduisent l’apport d’AMV autour de 150 g, voire de 100 g, en fournissant une partie du calcium sous forme de carbonate de chaux. Le niveau global d’apport en Ca reste alors correct, mais les taux de P, de Mg, d’oligoéléments et de vitamines sont alors fortement réduits, ce qui peut conduire à des carences.

Citons un autre exemple d’AMV type 7-6-9 dont le niveau de CB est de 67 %. Dans ce dernier, la présence de sulfate de magnésium et de sulfate de calcium suggère la possibilité d’une correction du bilan alimentaire cations-anions (Baca) de la ration, car ces éléments sont fortement Baca négatifs. Cet aliment est destiné aux vaches taries, utilisable à 200 g/j par vache et il permet de gérer des apports modérés en Ca souhaitables en fin de gestation (6 % x 200g/j, soit 12 g totaux), des apports élevés en Mg, en oligoéléments et en vitamines et de corriger en plus le Baca de la ration pour prévenir les hypocalcémies péripartum. Le choix de l’AMV devra donc se faire en fonction du régime alimentaire de base et du stade physiologique de l’animal (lactation, fin de gestation, engraissement). Le prix de l’AMV varie fortement suivant les niveaux de phosphore, d’oligoéléments et de vitamines, ainsi que leurs formes chimique et physique (semoulette, farine, granulés, etc.). Pour une vache laitière (10 000 kg lait/an) la consommation devrait être en moyenne de 90 kg de minéral sur l’année, soit 12 à 13 % du coût alimentaire total.

En conclusion, il apparaît, au vu des différents exemples cités, que de savoir lire une étiquette d’aliments ne permet d’appréhender que grossièrement les aliments utilisés dans une exploitation, car les informations réglementaires de l’étiquetage sont insuffisantes. Le praticien “nutritionniste” devra donc demander à l’éleveur ou au fournisseur d’aliment des informations nutritionnelles complémentaires.

DES RÈGLES STRICTES D’ÉTIQUETAGE

L’étiquetage des aliments destinés aux bovins (matières premières [MP] et aliments composés) est soumis à une réglementation européenne stricte (CE n° 767/20091 et CE n° 1831/20032), dont la mise en application est contrôlée par les autorités.
Dans ses principes généraux, l’étiquetage ne doit pas comporter des mentions caractéristiques qu’il ne possède pas, tout en étant lisible. Certaines mentions sont obligatoires, telles que la liste des additifs pour lesquels il existe une teneur maximale autorisée (vitamines A, D et E, par exemple), ainsi que ceux ayant un objectif zootechnique (urées et ses dérivés, levures, etc.).
Pour les aliments composés, la liste des MP, classées par importance pondérale décroissante, sont obligatoires.
De plus, les teneurs en constituants analytiques (en %) ou la composition chimique des aliments doivent figurer dans la rubrique “Valeurs analytiques ou garantie”. Il s’agit des matières grasses brutes (MG), des cendres brutes ou matières minérales, de la cellulose brute (CB ; parois cellulaires végétales), du calcium (s’il est supérieur à 5 %), du phosphore (s’il dépasse 2 %) et des protéines brutes (PB) ou matières azotées totales (MAT). Les seuils de tolérance admis pour chaque type de composant sont encadrés réglementairement1.
Afin de pouvoir adapter les formules aux contraintes du marché et d’avoir plus de souplesse, les fabricants mentionnent sur les étiquettes les matières premières dans l’ordre décroissant de leur niveau d’incorporation plutôt que les taux d’incorporation en pourcentages.
Enfin, l’étiquette ne porte aucune indication sur les valeurs énergétiques des aliments (unité fourragère [UF]) et sur leur valeur azotée (protéines digestibles dans l’intestin [PDI]) ou sur d’autres critères nutritionnels qui sont pourtant habituellement utilisés pour calculer une ration.

1 Mise sur le marché des aliments pour animaux.
2 Conditions d’utilisation des additifs.

Olivier Fortineau Gilbert Laumonnier Christophe Rousseau Commission vaches laitières de la SNGTV. Article rédigé d’après une présentation faite aux journées nationales des GTV à Nantes (Loire-Atlantique), du 16 au 18 mai 2018.

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