Actes vétérinaires délégués aux ASV : une plainte relance le débat - La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1795 du 27/01/2019

PROFESSION

ACTU

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD  

Des photos d’une auxiliaire spécialisée vétérinaire (ASV) posant un cathéter et effectuant une intubation trachéale ont été publiées. Averti par un confrère, le président d’un conseil régional de l’Ordre des vétérinaires a porté plainte contre l’employeur. Cette affaire, en cours d’instruction, relance la question de la délégation de certains actes vétérinaires aux ASV.

Depuis l’année 2015, le SNVEL et le CNOV1 réfléchissent aux possibles changements à envisager concernant la délégation d’actes vétérinaires aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV), avec la participation d’associations telles que l’Afvac, l’Avef et la SNGTV2. Toutefois, le mandat donné par l’assemblée des délégués au conseil d’administration du SNVEL pour travailler sur ce sujet remonte seulement au printemps 2018… « Le sujet doit être traité dans le calme. À ce jour, aucun calendrier n’a été fixé. Le prérequis est que les soins soient réalisés sous la responsabilité du vétérinaire employeur, dans le cadre d’un contrat de travail. Quant à la réflexion sur les autres conditions (réalisation, formation, validation des compétences, niveau de rémunération et liste des soins), elle ne fait que débuter. L’objectif est aussi de permettre une amélioration du service rendu au public, en redistribuant certaines tâches entre les différents membres d’une équipe soignante élargie », commente Laurent Perrin, président du SNVEL3 .

Une évolution qui divise encore les praticiens

Cette délégation d’actes n’est donc pas encore légalisée. D’où la plainte qui vient d’être déposée par le président d’un conseil régional de l’Ordre des vétérinaires contre un praticien, parce que des photos publiées ont montré la pose d’un cathéter et une intubation trachéale par un membre de son personnel ASV. Cependant, cette plainte semble aussi montrer que ce changement n’est toujours pas souhaité par une partie de la profession, ou tout du moins qu’une telle évolution se doit d’être clairement définie et encadrée. Sollicités par La Semaine Vétérinaire, quelques praticiens de terrain ont argumenté à cet égard, sous couvert d’anonymat : « On ne peut pas laisser à chaque praticien l’initiative de décider seul ni de ce qu’il délègue ni de comment et à qui il délègue ! L’intérêt d’une telle plainte est de montrer l’existence d’un problème. Il ne s’agit pas de bloquer l’évolution de la profession, mais d’avancer en veillant à la protéger. On a aussi l’impression que les organisations syndicales n’ont pas suffisamment recueilli le ressenti du vétérinaire “moyen”, mais s’appuient seulement sur l’avis de grosses structures ou de centres hospitaliers vétérinaires (CHV) qui, eux, pratiquent déjà cette délégation d’actes, même s’ils ne le font pas officiellement ». Certains vétérinaires, notamment ruraux, évoquent aussi la peur de se voir dépouillés d’actes qui leur sont aujourd’hui réservés. Et de prendre l’exemple de l’insémination artificielle : « Actuellement, comme les praticiens vétérinaires sont plus chers que les inséminateurs salariés de groupes d’éleveurs, notre profession a perdu toute la bataille de la gynécologie bovine. »

Légiférer pour protéger la profession

« Effectivement, reconnaît Jean-Philippe Corlouer, président du Syndicat national des CHV (SNCHV) qui représente environ 90 % des CHV équins et canins , au fil des années, d’autres corps “paramédicaux” ont fini par officiellement récupérer des actes qui étaient autrefois réservés aux seuls vétérinaires : à l’insémination artifi cielle chez les bovins, on peut ajouter l’étalonnage, l’ostéopathie et la dentisterie équine, une partie de l’éducation comportementale du chien, etc. Mais cette concurrence subie est arrivée faute d’une organisation collective de notre profession, justement. Aujourd’hui, la délégation envisagée précise bien que ces actes seront uniquement réalisables sous l’autorité d’un vétérinaire employeur. Dans un tel cadre, l’ASV demeure l’exécutant d’un geste technique auquel il aura été formé. Ce n’est pas lui qui décide ni de la prescription ni du protocole à suivre. Je regrette toutefois que le SNCHV n’ait pas été convié, malgré ses demandes, à prendre part à la réflexion nationale en cours. »

« Les CHV ont, en effet, besoin d’un corps auxiliaire davantage compétent pour les seconder, ajoute le président du SNCHV . Aujourd’hui, les CHV sont le seul mode d’exercice auquel l’Ordre impose d’avoir un certain nombre d’ASV, et d’un certain niveau. Mais à quoi bon avoir un ASV de niveau 5 s’il n’est pas possible de lui déléguer une simple injection ? Sans compter que cette évolution des ASV a déjà eu lieu dans d’autres pays européens. Et nombreux sont nos jeunes confrères à se déclarer favorables à de tels changements. C’est pourquoi je pense qu’il est temps de sortir de cette situation ubuesque, en faisant toutefois attention à rédiger des textes qui soient modulables dans le temps en fonction de possibles évolutions et qui prennent bien en compte nos divers besoins, ceux-ci différant, par exemple, entre vétérinaires équins et ruraux. »

Et mettre ainsi fin à une situation hypocrite ?

« Dans la délégation d’actes telle qu’envisagée, les ASV ne pourront pas exercer seuls à leur compte », répète à son tour Didier Fontaine, secrétaire général de l’Afvac. Et de poursuivre : « Pourquoi alors craindre leur concurrence ou une perte d’argent ? Bien au contraire, une telle délégation dégagera du temps au vétérinaire, qui pourra alors se consacrer à d’autres tâches davantage génératrices de chiffre d’affaires. » Par ailleurs, la profession des ASV connaît un taux élevé de turnover. « Parce que, selon Didier Fontaine, « certains d’entre eux sont cantonnés à répondre au téléphone et à faire du ménage. Ou parce qu’ils n’ont rapidement plus aucun moyen de progression salariale. Certains préfèrent alors changer de métier. Pour les garder et les motiver, il faut valoriser leur métier, leur apporter une véritable reconnaissance en les intégrant, avec le vétérinaire, dans l’équipe soignante. Même si, bien entendu, cela supposera aussi de mieux les former, puis de les respecter en reconsidérant leur salaire ».

Sans en faire une “affaire d’État”

Et Didier Fontaine de conclure : « À ce jour, la délégation d’actes vétérinaires est, certes, interdite par la loi. Mais il est aussi connu que de très nombreuses structures, dont les CHV, délèguent déjà à leurs ASV des actes similaires à ceux pour lesquels notre confrère se trouve aujourd’hui poursuivi. On peut donc espérer que l’Ordre régional lui infligera un simple blâme. » De quoi, effectivement, relancer peut-être utilement le débat, sans pour autant en faire une “affaire d’État ?

Pour l’heure, un rapporteur nommé par le magistrat président de la chambre régionale de discipline doit réaliser une enquête pour vérifier le déroulement exact des faits. Si, par la suite, le praticien juge trop lourde la sanction prise à son encontre – qui devrait normalement être connue dans les six prochains mois –, ce vétérinaire pourra encore en faire appel, cette fois devant le Conseil national de l’Ordre.

1 Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.

2 Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, Association vétérinaire équine française, Société nationale des groupements techniques vétérinaires.

3 Lire, dans l’encadré page 11, la suite de l’entretien avec Laurent Perrin, président du SNVEL.

ENTRETIEN AVEC  LAURENT PERRIN 

« LE CHANGEMENT EST TOUJOURS ANXIOGÈNE »

Le président d’un conseil régional de l’Ordre des vétérinaires (Crov) a porté plainte contre un praticien qui avait délégué à un membre de son personnel ASV1 une pose de cathéter et une intubation trachéale. Qu’en pensez-vous ?
Le Crov est dans son rôle, même si, en l’espèce, il n’y a pas de préjudice pour le client. En l’état du droit à ce jour, la délégation aux ASV est interdite et les poursuites sont justifiées, même si je souhaite que le jugement soit rendu avec tact et mesure.

Est-ce que la jurisprudence ainsi engendrée sera de nature à retarder, voire empêchera, les changements législatifs envisagés ?
Les discussions à ce sujet ont tout intérêt à se dérouler dans un climat serein et apaisé. Nous ne devons travailler ni dans l’urgence ni dans le tumulte, et cette affaire ne tombe pas au bon moment. La réglementation sur l’acte vétérinaire est claire et n’a pas besoin d’une jurisprudence pour être précisée. Cette décision du Crov ne modifiera donc pas le processus qui devrait aboutir aux changements législatifs nécessaires à la mise en place d’une délégation de soins à nos ASV. Cette évolution ne devant pas être menée à marche forcée, aucun calendrier n’est arrêté. In fine, ces changements nécessiteront une modification du Code rural et de la pêche maritime.

Que dire aux confrères opposés à cette évolution ou qui s’en inquiètent ?
Nos confrères doivent entendre que notre profession évolue, notre environnement aussi, et qu’il est toujours préférable d’être proactif que de subir. Les craintes sont celles de l’apparition d’un corps d’infirmières vétérinaires libérales, ou d’une liste d’actes trop large et d’un impact sur le revenu des vétérinaires. La préoccupation des organisations professionnelles qui travaillent sur ce sujet est d’encadrer la délégation de soins pour éviter ces dérives. D’ailleurs, sur le plan économique, les revenus des vétérinaires des pays où la délégation d’actes est en place n’en ont pas souffert.


1 Auxiliaire spécialisé vétérinaire.

L’AVIS DE  PIERRE-FRANÇOIS ISARD 

« J’AIMERAIS QUE NOTRE SYNDICAT FASSE PARTIE DE LA RÉFLEXION NATIONALE EN COURS »

Je suis cogérant du CHV Saint Martin, en Haute-Savoie. Nous sommes deux spécialistes en ophtalmologie. Nous opérons tous les jours, en effectuant nous-mêmes nos poses de cathéters et nos intubations. Pourquoi ? Parce que dans un État de droit, il y a des règles à respecter. Néanmoins, je suis naturellement favorable à une future délégation de certains actes vétérinaires aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV), à condition que la profession élabore des textes très précis. Par exemple, si l’on décide qu’un ASV sera autorisé à poser un cathéter sous l’autorité du vétérinaire employeur, qu’est-ce que cela veut réellement dire ? Où devra-t-il être présent ? Juste à ses côtés ou pourra-t-il être en train de travailler au même moment dans un autre bloc opératoire ? Donc, oui à l’évolution vers des ASV-infirmières, mais à condition de bien délimiter les champs d’action et de préciser quelle sera la responsabilité civile du vétérinaire. De plus, si les textes ne sont pas assez clairs, il y aura toujours des professionnels qui voudront aller au-delà de ce qui a réellement été accordé… De même, il serait à mes yeux nécessaire de créer des ASV échelon 6, qui seront formés à des actes dûment déterminés. Cela afin de garantir toutes ses chances de vie à l’animal à soigner. Pour conclure, je souhaiterais donc que notre syndicat soit, lui aussi, officiellement invité à prendre part à la réflexion nationale en cours.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr