Médecine interne des carnivores : 20 ans de progrès - La Semaine Vétérinaire n° 1794 du 19/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1794 du 19/01/2019

DOSSIER

Auteur(s) : JULIE NICOLEAU, AVEC AXELLE DAUPHIN  

Depuis les années 1990, la médecine vétérinaire n’a cessé de se développer et de s’améliorer. L’imagerie, la biologie, la nutrition sont autant de domaines concernés par les avancées scientifiques. Quelles ont été les plus grandes prouesses dans la médecine vétérinaire et comment cela a-t-il influencé la prise en charge des cas pathologiques ? Retour sur 20 ans de progrès médicaux et de perspectives d’avenir dans plusieurs disciplines.

Le certificat d’études approfondies vétérinaires (CEAV) de médecine interne a 20 ans. Pour fêter l’événement, l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) a organisé, en novembre dernier, des conférences retraçant l’évolution des 20 dernières années et les perspectives des différentes disciplines composant la médecine interne.

Gastro-entérologie : des méthodes diagnostiques de plus en plus accessibles

Le développement des techniques d’imagerie médicale a facilité la visualisation et amélioré le prélèvement du tube digestif. Avant, les images échographiques ne permettaient pas toujours de voir les différentes structures de la paroi intestinale. Aujourd’hui, l’appréciation de l’épaisseur de chaque couche devient plus intuitive. Les conséquences cliniques sont considérables, car il est désormais possible de différencier un phénomène inflammatoire d’un processus tumoral, ou encore d’établir un diagnostic de certitude comme pour la lymphangiectasie. De même, l’émergence de l’endoscopie et de la chromoendoscopie a abouti à de nouvelles approches diagnostiques et pronostiques.

L’exemple des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici) permet d’illustrer les progrès médicaux. Plusieurs études révèlent que ces affections ont longtemps été surdiagnostiquées. Aujourd’hui, avec le développement de guides d’interprétation standardisée du statut inflammatoire et de guides de bonnes pratiques de réalisation de biopsies digestives, un épaississement de la paroi accompagnée d’inflammation n’est pas toujours classé comme Mici.

De même, la polymerase chain reaction (PCR) et le séquençage ont participé à l’identification du microbiote digestif et à ses interactions avec l’hôte. La prise en charge a également été adaptée, notamment dans le cas de la colite histiocytaire, qui a finalement été reconnue comme une maladie infectieuse.

Juan Hernandez, chef du service de médecine interne d’Oniris, rappelle tout de même que l’alimentation doit rester le premier axe de maîtrise, car plus de 50 % des diarrhées du grêle et 80 % de celles du côlon du chien répondent à une prise en charge nutritionnelle.

Les perspectives d’avenir en la matière reposent sur le développement de biomarqueurs, sur l’utilisation de l’immunomodulation, des cellules souches ou encore sur la manipulation du microbiote. Il est ainsi permis d’espérer des actes de moins en moins invasifs et la réduction de l’utilisation de médicaments.

Source : conférence de Juan Hernandez, chef du service de médecine interne d’Oniris (Nantes), et Marine Hugonnard, maître de conférences à VetAgro Sup (Lyon).

Uronéphrologie : des avancées sur la protéinurie et l’exploration de la fonction glomérulaire

Après le dosage sérique de la créatinine et de la SDMA (symmetric dimethylarginine), c’est le débit de filtration glomérulaire (DFG) qui vient enrichir l’exploration de la fonction rénale. En effet, la créatininémie dépend de nombreux facteurs, et la SDMA est encore un marqueur d’apparition récente, qui nécessite d’être plus approfondi. Les études se concentrent alors sur l’établissement de valeurs physiologiques du DFG.

L’objectif des prochaines années repose donc sur la découverte de biomarqueurs plus performants. La sinistrine d’isothiocyanate de fluorescéine en est un exemple prometteur : son administration intraveineuse permettrait d’établir une courbe d’élimination par le rein au cours du temps, grâce à une détection transcutanée et ainsi d’évaluer la fonction rénale des animaux.

Les 20 dernières années en uronéphrologie ont également affiné le diagnostic de protéinurie. « Dans les années 1980 à 1990, le rapport protéines sur créatinine urinaires (RPCU) devait être inférieur à 1 pour que la protéinurie soit anormale. Or, au cours des années suivantes, on s’est de plus en plus rapproché d’une tolé rance 0 », explique Rachel Lavoué, maître de conférences à l’ENVT. Ainsi, ce sont des études anglaises de 20061 qui ont déterminé les valeurs physiologiques et pathologiques du RPCU chez le chat atteint de maladie rénale chronique (MRC). Il faudra attendre 2016 pour obtenir le consensus2 concernant le diagnostic, les recommandations et les traitements de la MRC chez le chat.

Enfin, de nouvelles données ont permis d’établir une prévalence des urolithiases selon leur nature. En France, chez le chien, 44 % des lithiases sont composées de struvites et 42 % d’oxalates. Les urates, qui étaient essentiellement décrits chez le dalmatien, sont alors également observés chez les bouledogues ou les terriers russes, et expliqués par des mutations génétiques.

Néanmoins, bien que l’intérêt d’une alimentation restreinte en protéines ait été démontré, les données manquent encore quant à la prévalence plus élevée chez le chien, l’importance des facteurs de risque ou encore l’efficacité des traitements médicaux.

1 Syme H. M., Markwell P. J., Pfeiffer D., Elliott J. Survival of cats with naturally occurring chronic renal failure is related to severity of proteinuria. J. Vet. Intern. Med. 2006;20(3):528-35.

1 Sparkes A. H., Caney S., Chalhoub S., Elliott J. et coll. Consensus guidelines on the diagnosis and management of feline chronic kidney disease. J. Feline. Med. Surg. 2016.

Source : conférence de Christelle Maurey, maître de conférences à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), Rachel Lavoué, maître de conférences à l’ENVT, et Brice Reynolds, praticien hospitalier à l’ENVT.

Neurologie : génétique et imagerie participent au développement de la discipline

Dans les années 1990, la neurologie dépendait fortement de l’utilisation du scanner et de la myélographie. Conjointement, la biopsie stéréotaxique permettait de mieux caractériser les processus tumoraux et inflammatoires. Mais avec l’arrivée de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et de l’électrodiagnostic (électromyogramme, électroneurogramme, stimulations répétitives) en médecine vétérinaire, les examens complémentaires sont devenus moins invasifs et plus fins. De nos jours, grâce à l’électroencéphalographie, il est possible d’enregistrer sur un animal vigile des activités épileptogènes et ainsi de les identifier selon leur caractère convulsif ou non.

Dans le secteur de la génétique, les avancées sont également majeures : du simple arbre généalogique en 1990 jusqu’à l’identification et la localisation de mutations génétiques précises, ce sont écoulées 20 années d’innovations. Aujourd’hui, à l’aide de quelques individus seulement, la génétique permet d’identifier les mutations responsables de désordres neurologiques, et cela avec un coût abordable.

Néanmoins, la neuroanatomie a peu évolué durant ces dernières années, utilisant encore la distinction motoneurone central versus motoneurone périphérique afin de localiser une lésion. C’est dans cette perspective que l’arrivée de nouveaux marqueurs biologiques à visée diagnostique ou pronostique reste un axe intéressant. De même, l’IRM pourrait devenir encore plus précise, et l’avènement de la médecine connectée contribuerait à enrichir considérablement la discipline. En effet, la vidéo sur smartphone trouve son utilité dans l’identification de phénomènes paroxystiques au domicile de l’animal, ce qui sert dans de nombreux cas à obtenir une visualisation plutôt qu’une description du phénomène par le propriétaire. Les conférenciers rappellent tout de même que l’examen clinique reste la méthode indispensable pour tout diagnostic d’atteinte neurologique.

Source : conférence de Stéphane Blot, professeur à l’ENVA, et Dominique Fanuel-Barret, professeure à Oniris.

Cancérologie : l’animal malade désormais pris en charge

Les avancées dans le domaine de la cancérologie résultent d’une addition de connaissances au fil des années. Il y a 20 ans, le caractère multifactoriel des tumeurs était connu, mais le diagnostic était tardif, le traitement peu adapté, et le pronostic trop incertain. La place de l’animal au sein du foyer n’était pas non plus équivalente à celle d’aujourd’hui et l’euthanasie était le plus souvent l’issue des consultations de cancérologie.

Vingt ans plus tard, l’incidence des tumeurs chez l’animal est quantifiée et la prise en charge améliorée. Ce dernier est considéré comme un être sensible, ce qui motive la qualité des soins et l’accompagnement de l’animal et de son propriétaire. Les tumeurs sont ainsi détectées plus précocement et le pronostic n’est plus aussi sombre qu’autrefois. L’information aux clients quant aux chances de survie est désormais un axe majeur de la thérapie.

Les approches thérapeutiques ont également évolué. Aujourd’hui, le vétérinaire n’hésite plus à réaliser une exérèse de la tumeur avec une analyse histologique. La radiothérapie externe est une méthode plus précise et la meilleure connaissance des effets secondaires de la chimiothérapie facilite leur appréhension. En outre, la découverte de milliers de messagers biochimiques porteurs d’informations a permis de diriger la lutte contre le micro-environnement cellulaire et non plus contre la cellule elle-même. Enfin, la potentialisation des traitements est devenue un axe important à considérer, notamment par les techniques d’immunothérapie ou de stimulation non spécifique.

Les perspectives d’avenir en la matière concernent l’utilisation de biomarqueurs de manière diagnostique (initiale ou de rechute) ou prédictive. Quelle que soit la situation, il est impératif de ne jamais passer à côté d’un cancer, et de ne pas hésiter à référer, car ces entités restent des affections à évolution rapide et grave.

Source : conférence de Frédérique Ponce, professeure à VetAgro Sup, et David Sayag, praticien au CHV Advetia (Vélizy-Villacoublay).

Immuno-hématologie : des automates performants et des transfusions facilitées

Dans le domaine de l’immuno-hématologie, plusieurs axes ont été développés au cours des 20 dernières années. Le premier exemple est celui de l’hémogramme. En 1998, il était facile de détecter les anémies, mais les appareils automatisés étaient moins performants pour distinguer les différentes cellules. Depuis, les appareils à cytométrie de flux permettent une meilleure dissociation des cellules et donc une description plus sensible des anémies et des populations leucocytaires. Le deuxième exemple concerne la transfusion. Autrefois, il était nécessaire de réaliser les tests de croisement dans la clinique vétérinaire et un temps d’attente de 2 heures était requis avant d’obtenir les résultats. De nos jours, les quick tests permettent de détecter rapidement une compatibilité hématologique entre deux animaux. De même, si l’animal a déjà été transfusé, des kits de crossmatch rapide sont disponibles. La transfusion sanguine peut donc être réalisée en pratique dès 30 minutes après réception de l’animal. Dans le cas de la qualification de phénomènes auto-immuns, les protocoles de 1998 concernant l’agglutination sur lame étaient assez variables. En 2018, la réalisation de ce test est standardisée et les analyses PCR garantissent un diagnostic rapide et sensible. Concernant l’hémostase, les temps de coagulation étaient déterminés il y a 20 ans à l’aide d’un chronomètre et d’un protocole complexe. Aujourd’hui, les automates informent en 10 à 15 minutes de la présence ou non d’un trouble de la coagulation.

Les perspectives d’avenir dans le domaine de l’immuno-hématologie portent sur l’utilisation de la thromboélastographie au chevet de l’animal, ainsi que sur la lecture automatisée du frottis sanguin, qui permettrait de s’affranchir de l’effet opérateur-dépendant. Des études relatives à de nouveaux immunomodulateurs et anticorps monoclonaux dans le traitement des anémies hémolytiques à médiation immune constituent l’axe majeur de l’avenir en thérapeutique.

Source : conférence d’Armelle Diquelou, maître de conférences à l’ENVT, Cathy Trumel, professeure à l’ENVT, et Luc Chabanne, professeur à VetAgro Sup.

Infectiologie : biologie moléculaire et épidémiologie affinent le diagnostic

En 20 ans, l’apparition de nouvelles maladies infectieuses est significative, ainsi que la caractérisation de facteurs d’émergence : échanges commerciaux, mondialisation, voyages touristiques, modification de la faune sauvage, changements climatiques. Le développement d’outils diagnostiques plus performants concourt également à une pseudo-émergence de maladies mieux diagnostiquées. Les tests rapides de sérologie et de cytologie ont ainsi vu le jour, facilitant aujourd’hui le diagnostic au chevet de l’animal.

L’avancée des connaissances en infectiologie peut être illustrée par quelques exemples emblématiques tels que le calicivirus, les maladies vectorielles et le virus influenza. En effet, les méthodes de séquençage ont permis d’identifier différents variants viraux et, par conséquent, d’employer les moyens appropriés de surveillance et de biosécurité. Grâce à l’épidémiologie, les foyers d’apparition et les progressions dynamiques sont repérés et renseignés en continu. De même, les recherches sur les maladies vectorielles ont su s’intéresser à l’environnement des vecteurs et aux principaux hôtes, permettant d’identifier les zones à risque. Les mesures de prévention et de traitement ont alors été adaptées à chaque région et agent infectieux. Internet a, en ce sens, donné la possibilité aux vétérinaires de se renseigner sur les maladies présentes dans la zone d’exercice, afin de pouvoir délivrer la meilleure information aux propriétaires.

Le virus influenza est par ailleurs un exemple de communication épidémiologique à la fois interrégionale et internationale.

Source : conférence de Brice Reynolds, praticien hospitalier à l’ENVT, et Luc Chabanne, professeur à VetAgro Sup.

Pathologie respiratoire : les affections parasitaires mieux connues

La principale entité respiratoire survenue au cours des 20 dernières années est le syndrome brachycéphale. Il est apparu dès les années 1990, mais il a connu une forte augmentation avec la popularité de la race bouledogue. L’hypertype est de plus en plus recherché, notamment chez les chats dont le chanfrein devient presque inexistant. Il est nécessaire d’évoquer la responsabilité du vétérinaire dans la réduction de la prévalence de ces races et dans l’information aux propriétaires.

Longtemps sous-diagnostiquées, les maladies parasitaires représentent également des affections respiratoires pour lesquelles de nombreuses précisions ont été apportées au cours des dernières années. Une étude de 2017 montre que 7,6 % des chats sont infectés en France par un parasite respiratoire1. Par exemple, l’angiostrongylose, en extension dans la France entière, est désormais mieux connue. Il y a 20 ans, les signes respiratoires étaient déjà renseignés, mais aujourd’hui viennent s’ajouter des troubles de l’hémostase, de la polyuro-polydipsie (PUPD), ainsi que des troubles nerveux, oculaires ou encore cutanés. Le diagnostic de l’angiostrongylose par sédimentation de Baermann a été remplacé par une PCR (sur lavage broncho-alvéolaire, tissus, sang ou selles) ou par un test antigénique rapide par immunochromatographie. Ainsi, de nouvelles approches diagnostiques sont disponibles. C’est aussi le cas de l’imagerie ou de la biologie médicale : « Il y a 20 ans, le diagnostic était fondé sur l’intolérance à l’effort et l’éventuelle cyanose pour évaluer la fonction respiratoire ». De nos jours, au contraire, le pH et les gaz sanguins servent à évaluer précocement la fonction respiratoire, avant même l’apparition de signes cliniques.

Il est attendu dans les années à venir une meilleure caractérisation des affections respiratoires chez le chien et le chat, notamment en matière de pathogénie.

1 Giannelli A. et coll. Lungworms and gastrointestinal parasites of domestic cats: a European perspective. Int J Parasitol. 2017;47(9):517-528.

Source : Conférence d’Émilie Krafft, maître de conférences à VetAgro Sup, et Julie Gallay-Lepoutre, praticienne à Ollioules (Var).

Cardiologie : outils diagnostiques de pointe et arsenal thérapeutique enrichi

Il y a 20 ans, l’échocardiographie, le Doppler conventionnel et l’électrocardiographie existaient déjà, depuis, ces techniques se sont perfectionnées. En 1998, l’échocardiographie transthoracique, souvent couplée avec l’examen Doppler conventionnel, constituait d’ores et déjà l’examen indispensable à l’exploration des cardiopathies animales. Vingt ans plus tard, la qualité échocardiographique est nettement supérieure et l’apparition du mode tridimensionnel, grâce aux sondes matricielles, permet de quantifier précisément des volumes ou d’explorer finement toutes les structures cardiaques.

C’est au cours des années 2000 que le Doppler tissulaire myocardique (ou TDI pour Tissue Doppler Imaging) est apparu. Première technique d’analyse de la fonction myocardique régionale, il a ainsi permis de quantifier la vitesse de déplacement du myocarde de façon simultanée dans plusieurs régions cardiaques. Le Speckle Tracking Imaging, autre technique d’analyse de la fonction myocardique régionale, a lui aussi participé à l’abolition des techniques invasives (sonomicrométrie) et à la détection précoce des lésions myocardiques inapparentes à l’échographie Doppler traditionnelle.

D’autres approches diagnostiques, telles que les échographies transœsophagienne et intracardiaque, les biomarqueurs circulants, ou encore les tests génétiques (exemple : mutation MYBPC3 associée à la cardiomyopathie hypertrophique chez le maine coon et le ragdoll) ont vu le jour et fait progresser les connaissances en cardiologie.

De la même manière, la prise en charge a été améliorée. L’insuffisance cardiaque canine n’était, au début des années 1990, traitée qu’à l’aide d’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine. Les études sur la maladie valvulaire dégénérative ont permis d’augmenter l’arsenal thérapeutique et, aujourd’hui, le traitement de l’insuffisance cardiaque du chien comprend également la spironolactone, le pimobendane, le furosémide et le torasémide.

Au niveau chirurgical, les premières corrections de cardiopathie à cœur ouvert, en 2004 chez le chien et en 2015 chez le chat, ont ouvert le champ des possibles, fondant des espoirs sur l’utilisation future du cœur bioprothétique Carmat en médecine vétérinaire.

Source : Conférence de Valérie Chetboul, professeur à l’ENVA.

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