E-santé : du rêve à la réalité - La Semaine Vétérinaire n° 1794 du 19/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1794 du 19/01/2019

CONGRÈS

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON 

E-vet, le tout premier congrès dédié à la médecine vétérinaire connectée, a été l’occasion d’apporter des pistes de réflexion sur l’impact de l’e-santé animale sur la pratique vétérinaire.

Imaginez… un propriétaire et son animal de compagnie accueillis par un robot-ASV. Une cabine de consultation dans laquelle, sur un écran, le propriétaire serait guidé pas à pas par un vétérinaire, voire une image holographique de ce dernier, pour réaliser un examen clinique de base. Science-fiction ? Peut-être pas. à E-vet, premier congrès dédié à la médecine vétérinaire connectée et organisé conjointement par l’Afvac, l’Avef et la SNGTV1 le jeudi 24 janvier à Paris, la pratique vétérinaire a été explorée sous le prisme de l’e-santé animale. Au travers des conférences, il est apparu clair que cette dernière allait transformer durablement l’exercice du métier. « Le déploiement de l’intelligence artificielle a commencé et est inévitable », a estimé Judith Mehl, membre du groupe citoyen et académique Ethik-IA, qui milite pour une régulation positive de l’intelligence artificielle (IA) en santé humaine. Non sans conséquences. Une de leurs récentes études en santé humaine a conclu qu’entre 15 et 29 % des métiers du domaine, soit entre 40 000 et 80 000 emplois, pourraient faire l’objet d’une automatisation. Outre les fonctions support qui seraient fortement impactées, « certaines spécialités type radiologie et ophtalmologie devront réfléchir à la transformation de leur exercice », a-t-elle précisé. En santé animale, la médecine connectée fait peur et certains y voient la disparition pure et simple du praticien. En cause, selon Timothée Audouin, vétérinaire rural en Mayenne et consultant en e-santé, une disparition des atouts historiques des vétérinaires, à savoir la connaissance et la communication. « Avec Internet, la connaissance est partout, ce qui rend nos clients micro-spécialistes d’un domaine, a-t-il souligné. De plus, les objets connectés font que le vétérinaire n’est plus le seul à pouvoir collecter des informations. » Pourtant, selon lui, l’e-santé est bel et bien une opportunité pour le vétérinaire.

Un nouveau parcours client

Pour Luc Hazotte, président du groupe d’étude et de recherche en management de l’Afvac, le digital va révolutionner la pratique canine. « Demain, le rendez-vous sera pris en ligne. Si cela se fait par téléphone, il y a fort à parier qu’un chatbot gérera le client », a-t-il souligné. à l’arrivée en clinique, l’identité du propriétaire pourrait être instantanément connue grâce à des dispositifs de reconnaissance faciale. En consultation, le praticien devra intégrer les données collectées par les objets connectés (IoT). De plus, l’interprétation de l’imagerie médicale sera probablement l’affaire de l’IA. D’autres outils d’examens complémentaires pourraient voir le jour, comme les gilets diagnostics, les caméras infrarouges, les capteurs embarqués… pouvant mener à la création du métier de technicien en santé animale. L’IA pourrait aussi établir un diagnostic différentiel. « L’humain étant faillible, les propriétaires seront fortement demandeurs d’une confirmation du diagnostic via un tel système. » L’IA pourrait aussi proposer des plans de traitement Smart, en fonction de différents paramètres, dont l’attachement du propriétaire à son animal et ses moyens financiers. Des lunettes de réalité augmentée affichant en direct des plans d’anatomie pourraient faciliter les interventions chirurgicales, tout comme le développement d’automates de chirurgie. Côté élevage, la révolution numérique est déjà en cours. Pour exemple, Hélène Esquiral, vétérinaire en filière avicole dans les Landes, a présenté les outils existants de l’élevage de précision en aviculture, dont le principe est l’automatisation complète et continue du suivi d’un groupe d’animaux. Pour ce faire, des outils connectés suivent le poids des animaux, leur consommation d’aliments et d’eau, ainsi que des paramètres d’ambiance. Des dispositifs de vidéosurveillance sont aussi testés en élevage de poulets de chair, et permettent de détecter actuellement 95,3 % de tous les problèmes rencontrés et notés par les éleveurs. « L’avenir du vétérinaire sera dans le développement de logiciels d’interprétation », a estimé la conférencière. Pour cela, il lui faudra s’associer aux data scientists.

Un développement de la télésanté

Comme l’a rappelé Bob Grisel, praticien équin en Géorgie (états-Unis), la pratique de la télémédecine existe depuis longtemps. Le problème réside dans l’insuffisance de son encadrement juridique. Ainsi, il a cité l’exemple d’un confrère qui avait donné à un propriétaire son opinion par téléphone sur l’état de santé de son cheval. L’animal meurt cependant, et le vétérinaire est poursuivi. S’il finit par être relaxé2, ce cas rappelle l’importance d’élaborer une plateforme pour sécuriser les échanges clients. Aux états-Unis, c’est chose faite : la télémédecine y est autorisée et l’American Veterinary Medical Association (AVMA) a publié en 2016 des recommandations pour sa pratique3. En France, si elle n’est pas encore encadrée réglementairement, l’Ordre national des vétérinaires travaille à l’élaboration de textes législatifs pour y remédier. D’autres pratiques de télésanté sont, pour autant, déjà bien établies, notamment au sein de la société de téléradiologie Vedim, créée en 2007, qui interprète des examens d’imagerie médicale envoyés par des praticiens généralistes. « Nous sommes présents dans la plupart des pays européens, et nous traitons environ 13 000 examens par an, dont 80 % de scanner, 10 % d’IRM et 5 % de radiologie, a expliqué Paul Barthez, son fondateur. Notre progression est constante depuis la création, et nous prévoyons d’étendre notre activité. » Si la télémédecine modifie la vision habituelle de la consultation, l’examen clinique n’étant plus effectué au chevet de l’animal, les IoT participent aussi à sa transformation. Ainsi, selon Timothée Audouin, il faudra probablement en finir avec « le sacro-sain examen clinique », qui pourrait être remplacé dans certains cas. En cause : les IoT qui permettent aussi de récolter des informations utiles. « En pratique rurale, cela se fait déjà depuis longtemps. »

De nouvelles opportunités

En élevage, le praticien est amené à être un garant de la traçabilité alimentaire, comme l’a expliqué Karine Correia, consultante spécialiste dans le digital en agro-alimentaire. « Actuellement, nous sommes dans une phase clé de l’alimentaire », a-t-elle expliqué. En témoignent les différentes initiatives d’industries agro-alimentaires : Casino et son étiquetage bien-être animal, Carrefour et ses caméras dans ses abattoirs fournisseurs ou encore Leclerc, qui lance une gamme intégrant des critères de bien-être animal, les consommateurs étant en effet devenus des consom’acteurs. « Le vétérinaire a une vraie valeur ajoutée dans la traçabilité alimentaire en tant qu’apporteur de preuves dans la blockchain 4 , a-t-elle poursuivi. Cela passe par l’émission des ordonnances et des protocoles de santé, des attestations du praticien de formation bien-être animal, ou des rapports d’audits de suivi et d’évaluation de la qualité du process. » L’e-santé, via les IoT, permettrait aussi d’aider le praticien à évaluer le bien-être des animaux d’élevage. Face à ces nouvelles opportunités, se profile le besoin pour la profession de s’associer à d’autres compétences, comme les data-scientists 5. Et, dans ce cadre, pourquoi ne pas, comme l’a proposé Timothée Audouin, soutenir toutes les initiatives utiles au progrès de l’e-santé animale, en lançant un grand concours de l’entreprenariat ? « Nous pourrions créer un fonds d’investissement afin d’apporter de l’argent pour le démarrage de l’entreprise. » Malgré tout, une question d’importance reste en suspens : comment se fera la rémunération du vétérinaire dans ce nouvel écosystème ?

1 Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, Association vétérinaire équine française et Société générale des groupements techniques vétérinaires.

2 Un cheval a écrasé le portable du praticien qui avait fait l’objet d’une plainte. La disparition des preuves d’échanges avec le client a contribué à la relaxe du vétérinaire.

3 bit.ly/2v3KcjG.

4 La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations infalsifiables. Elle contient l’historique de tous les échanges.

5 Actuellement, en France, deux vétérinaires sont des data scientists.

LE TROPHÉE E-VET RÉCOMPENSE LA PÉDAGOGIE IMMERSIVE ET PARTICIPATIVE

E-vet s’est terminé par un vote du public pour récompenser la meilleure solution de médecine vétérinaire connectée présentée lors de cette journée. Et le grand gagnant est… Wolf Learning Consulting, une agence créée en 2015 proposant d’élaborer des formations en santé animale, à destination des laboratoires, des écoles et des sociétés savantes comme l’Afvac, le SIMV1 ou l’Ordre. Son plus : des formations au cours desquelles l’apprenant est immergé dans un univers virtuel, devant son ordinateur ou dans un casque de réalité augmentée.

1 Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires.
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