Rôle des brebis lors de l’allaitement artificiel des agneaux - La Semaine Vétérinaire n° 1793 du 13/01/2019
La Semaine Vétérinaire n° 1793 du 13/01/2019

ANALYSE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

L’absence de la mère peut avoir des répercussions négatives sur le comportement et sur la santé des agneaux, car la relation mère-jeune chez les mammifères est un élément essentiel pour leur survie et leur développement. Or, en élevage ovin il est commun, surtout pour les agneaux issus de portées nombreuses1, de les séparer précocement de leurs mères, afin de les élever en allaitement artificiel. Les agneaux font alors face à deux éléments perturbateurs : l’alimentation avec un lait reconstitué2 et un stress émotionnel lié à la privation maternelle3. C’est pourquoi, les chercheurs4 ont tenté d’évaluer dans cette étude l’intérêt de mettre au contact des agneaux en allaitement artificiel avec des brebis adultes non allaitantes.

Tests de préférence et propreté de l’arrière-train

Pour cela, trois groupes d’agneaux de race Île-de-France ont été examinés de leur naissance jusqu’à l’âge de 5 mois : des agneaux maternés (AM), élevés en allaitement artificiel standard (AAS) et élevés en allaitement artificiel en présence de brebis adultes non allaitantes (AAB). Le sevrage a été effectué par un arrêt de l’alimentation lactée et le retrait des brebis pour les groupes AM et AAB. À l’âge de 1 et 2 mois, les agneaux de ces groupes ont été soumis individuellement à des tests de préférence dans un parc de forme triangulaire : vers leur mère ou une brebis maternelle issue du parc adjacent (AM) ou vers deux brebis familières ou deux autres du parc adjacent (AAB). De plus, la propreté de l’arrière-train a été notée visuellement toutes les 3 semaines et les principaux agents à l’origine de maladies digestives (rotavirus, Escherichia coli, Clostridium perfringens, C. difficile, Cryptosporidium parvum) ont été recherchés dans les fèces collectées à J7, J30 et J50 (antigènes spécifiques par Elisa). La réponse immunitaire des agneaux, à la suite d’une vaccination par voie sous-cutanée à 3 mois (vaccin Ovilis® Chlamydia, Intervet), a aussi été évaluée par dosage des anticorps dirigés contre Chlamydophila abortus (positifs si le taux d’anticorps est ≥ 60%). Enfin, les poids des agneaux ont été mesurés tous les 10 jours au cours du premier mois et plus sporadiquement jusqu’à l’âge de 130 jours.

Des résultats univoques

Dans cette étude, les contacts entre les agneaux et les brebis se sont révélés fréquents dans les groupes AAB et AM, certains agneaux AAB allant même, comme dans le groupe AM, jusqu’à se coucher auprès des brebis. De même, au cours des tests de choix, les agneaux de ces deux groupes ont rejoint leur mère ou les brebis familières plus rapidement que les brebis étrangères. En parallèle, les chercheurs ont constaté que les épisodes de diarrhées concernaient seulement les agneaux AAS, qui étaient d’ailleurs plus sales à J21. Cependant les agents pathogènes (principalement C. perfringens et C. difficile) ont été généralement retrouvés dans les fèces des agneaux du groupe AM en début d’allaitement, même si ensuite l’infection a persisté seulement chez les agneaux en allaitement artificiel. Concernant la croissance, les observations ont montré qu’elle est supérieure chez les agneaux maternés en début d’allaitement, mais qu’à partir de J30 la tendance s’inverse. Enfin, les taux d’immunité observés après la vaccination n’ont pas permis de mettre en évidence un éventuel impact favorable des brebis adultes sur l’intensité de la réponse immunitaire des agneaux.

Impacts positifs de la présence de brebis

Au vu des résultats obtenus, cette étude confirme donc que, même s’il convient de rester prudent compte tenu des faibles effectifs, l’allaitement artificiel a des conséquences délétères sur les agneaux. Néanmoins, la présence de brebis adultes semble temporiser certains effets. En effet, même si les liens entre agneaux et brebis adultes n’atteignent pas le niveau d’expression de l’attachement à la mère des agneaux maternés, ils sont encourageants et pourraient influencer d’autres aspects du comportement des petits. De plus, la présence de brebis adultes a été bénéfique pour la santé des agneaux, car l’indice de propreté de la toison (indicateur de diarrhées) est meilleur chez les groupes AAB et AM que chez les sujets du groupe AAS.

Des pistes à explorer

Si les mécanismes impliqués sont inconnus, trois hypothèses complémentaires sont avancées par les chercheurs : la transmission de microbiote intestinal par les brebis adultes, la structuration du microbiote des agneaux sous l’influence d’une relation affiliative stable avec les brebis (par diminution du stress) ou, enfin, un comportement alimentaire plus adapté (équilibre alimentation lactée et solide) lié à une imitation du comportement des adultes. Le fait que les pathogènes retrouvés soient plus nombreux dans les fèces chez les agneaux AM sans que leur état de santé soit amoindri confirme cela : ces bactéries sont sans doute surtout transmises aux agneaux lors des tétées. En ce qui concerne la courbe de poids, les meilleurs résultats obtenus dans les groupes AAS et AAB s’expliquent, selon les chercheurs, par le fait que les agneaux en allaitement artificiel ont certainement un apport alimentaire plus important, car nourris à la louve qui offre du lait à volonté.

En définitive, il semblerait qu’outre le fait que la présence de brebis non allaitantes offre un enrichissement social l’effet le plus saillant de ces brebis soit observé au niveau de l’incidence des diarrhées, même si les pistes d’explication restent à explorer. Cette pratique semble donc intéressante à mettre en place pour obtenir une amélioration de l’état de santé et du bien-être des agneaux.

1 David et coll., 2014.

2 Mialon et coll., 2016.

3 Napolitano et De Rosa, 2008.

4 Inra Val-de-Loire: Nowak R., Kraimi N., Chaillou E., Cornilleau F., Devaux M., Levy F., Parias C.

Inra VetAgro Sup: Boissy A., Boivin X., Mialon M. M.

Inra Val-de-Loire : Bouvier F.,

Inra Val-de-Loire : Guilloteau L.A.

Article rédigé d’après une présentation faite lors des journées 3R (rencontres recherches ruminants) à Paris, les 5 et 6 décembre 2018.

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