Médicaments : anticiper les ruptures - La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018

DOSSIER

L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a élaboré, avec les acteurs du marché, des bonnes pratiques pour la gestion de l’approvisionnement en produits et faire face au risque de pénurie. Objectif : prendre des dispositions le plus en amont possible.

En quelques années, les ruptures de stock de médicaments vétérinaires sont devenues de plus en plus fréquentes. Une problématique quotidienne à laquelle de nombreux vétérinaires sont confrontés. Dans une enquête publiée en septembre 2017 par La Semaine Vétérinaire 1, 91 % des praticiens interrogés déploraient en effet le manque de certains médicaments tels que des vaccins (majoritairement pour les volailles), des antibiotiques ou encore des antiparasitaires. Un phénomène qui pénalise tout aussi bien les vétérinaires que les laboratoires et les centrales d’achat. Lors de sa première journée d’échanges avec les parties prenantes, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), adossée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), s’est dite à l’écoute des acteurs du marché du médicament vétérinaire afin de trouver des solutions. Lors d’un atelier sur les ruptures de stocks, industriels, vétérinaires, distributeurs en gros, éleveurs, ont pu exprimer leurs attentes et leurs difficultés. Les vétérinaires participants ont notamment souhaité la création d’un observatoire des ruptures. À l’issue de la rencontre, Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV, retenait la nécessité d’une plus grande transparence sur ce sujet via la diffusion d’informations sur le site de l’agence, la mise en place d’un guide de bonnes pratiques afin de gérer au mieux les ruptures de stock et des solutions alternatives à adopter dans ces situations. Un peu plus d’an après cette rencontre, l’heure est déjà à un premier bilan. Début 2018, un groupe de travail, composé de représentants d’industriels (Syndicat de l’industrie du médicament et réactif vétérinaires, SIMV), de distributeur en gros (Fédération de la distribution du médicament vétérinaire, FDMV), de vétérinaires (Société nationale des groupements techniques vétérinaires, SNGTV) et de l’agence, a été mis en place pour « réfléchir à l’amélioration de la communication dans les situations de rupture, afin d’en assurer une gestion optimale, d’anticiper et d’orienter, le cas échéant, vers des solutions alternatives. »

Une situation critique

La centrale d’achat Alcyon notait, en juin 20162, qu’en « l’espace de 7 ans, le nombre de ruptures liées à des incidents laboratoire a presque doublé ». Face à l’augmentation des cas de pénurie, l’Anses-ANMV a mis en place, en mars 2015, une fiche permettant aux industriels de déclarer à l’agence une rupture ou un risque, pour l’ensemble des présentations d’un médicament. En 2017, l’ANMV a recensé 60 cas de rupture, principalement des vaccins (46 %) et des antibiotiques. Ces problèmes d’approvisionnement concernent majoritairement les filières d’élevage : volailles-lapins (63 %) et bovins-ovins-caprins (22 %). Une tendance identique à l’année 2016 qui confirme l’augmentation significative déjà constatée en 2015. Les vétérinaires ruraux sont donc plus touchés que les praticiens canins. Pour gérer au mieux ces situations, devenues trop fréquentes, l’ANMV passe à l’action. À noter que l’article L.5142-3-1 du Code de la santé publique prévoit qu’un industriel doit informer l’agence, au préalable ou en cas d’urgence de manière concomitante, de tout risque de rupture de stock sur un médicament vétérinaire sans alternative thérapeutique disponible ou en raison d’un accroissement significatif et imprévisible de la demande. Selon l’article R.5142-51 du même code, les centrales d’achat doivent disposer d’un stock de spécialités vétérinaires équivalent à au moins deux semaines de consommation de sa clientèle habituelle. Les bonnes pratiques3 élaborées par les acteurs du marché du médicament vétérinaire vont un peu plus loin. L’efficacité de ce dispositif repose avant tout sur la communication entre les acteurs et le partage d’informations. « L’idée de ces bonnes pratiques est d’établir une sorte de contrat entre tous les acteurs de la chaîne du médicament vétérinaire sur la marche à suivre en cas de rupture critique avérée. Les industriels déclarent à l’agence les ruptures et nous devons en évaluer la criticité. Il a été décidé que ces informations seront prochainement diffusées sur le site internet de l’Anses. Il est envisagé à moyen terme de proposer des solutions alternatives possibles lorsqu’elles sont identifiées », indique Flore Demay, chef de l’unité surveillance du marché (Anses-ANMV). Nouveauté qui a son importance, l’agence communiquera sur son site internet lors de rupture avérée critique.

Anticiper les risques de ruptures critiques

Les bonnes pratiques s’articulent en trois volets : un rappel des définitions de ce qu’est une rupture, les engagements de chaque acteur dans ce cas de figure, et enfin comment mieux communiquer à ce sujet. Elles ne concernent que les ruptures avérées liées à un défaut d’approvisionnement au niveau du laboratoire exploitant et non les défauts de disponibilités localisés au niveau d’un distributeur en gros. « Une rupture est évaluée critique lorsqu’elle est susceptible d’induire un risque pour la santé humaine, la santé et le bien-être des animaux. » Le laboratoire, en tant que fabricant, joue un rôle déterminant puisqu’il déclare à l’agence, le plus en amont possible, les ruptures susceptibles d’être critiques. Il réalise, si nécessaire et s’il le peut, une allocation de produits lors de l’identification d’un risque de rupture avérée critique et lors du retour du médicament dans le circuit de distribution. Il lui communique des informations précises, notamment sur le délai prévisionnel de retour du produit chez les distributeurs en gros ou encore le motif de la rupture. Il recherche, par ailleurs, avec l’ANMV, des solutions pour prévenir ce phénomène ou y faire face. Il informe également les centrales d’achat des risques dès qu’il en a connaissance. « Les laboratoires nous contactent pour nous avertir des ruptures qu’ils pensent être critiques. Nous menons une enquête afin de déterminer s’il s’agit effectivement d’une rupture critique avérée. Pour ce faire, nous centralisons les informations communiquées par les industriels et en évaluons la criticité. Nous pouvons interroger d’autres laboratoires », souligne Flore Demay. En cas de risque critique avéré, les distributeurs en gros réalisent, si possible, un contingentement de produits, y compris lors du retour du médicament dans le circuit de distribution, et adaptent leur stock à la consommation habituelle de sa clientèle. Ils communiquent également avec les différents acteurs du marché, dont les vétérinaires. Les bonnes pratiques prévoient que les laboratoires, ainsi que les centrales d’achat doivent adapter une communication responsable afin d’éviter d’amplifier la situation de pénurie par sur-stockage.

Faciliter les demandes d’ATU

Des solutions sont également mises en avant pour faire face aux ruptures critiques avérées. L’agence peut envisager des plans de substitution tels que des alternatives thérapeutiques non disponibles habituellement dans la pharmacopée vétérinaire française. Le laboratoire a ainsi la possibilité de proposer aux ayants droit des médicaments sous autorisation temporaire d’utilisation (ATU). L’agence peut également, dans la mesure du possible, délivrer des demandes d’ATU de la part des ayants droit. Les vétérinaires ne sont pas en reste. Les bonnes pratiques prévoient qu’ils adaptent leur stock au prévisionnel de délivrance, utilisent les médicaments vétérinaires jusqu’à péremption et évitent toute pratique de sur-stockage qui pourrait entraîner un déséquilibre du marché.

1 La Semaine Vétérinaire n° 1733 du 29/9/2017, pages 40 à 44 : bit.ly/2UvNFFk.

2 Dossier « Gestion des stocks et ruptures : un casse-tête grandissant pour les vétérinaires et leur centrale », Alcyon, juin 2016.

3 bit.ly/2EnqxUK.

« NOUS NE PRÉTENDONS PAS TOUT RÉSOUDRE AVEC CE PROJET »

Pourquoi avoir uniquement ciblé les ruptures critiques avérées ?
Lors de la journée de l’ANMV le 21 septembre 2017, a eu lieu un atelier sur les ruptures d’approvisionnement qui a conclu à la nécessité de réfléchir de façon plus approfondie à ce sujet avec l’ensemble des acteurs. Un groupe de travail a ainsi été composé avec les principaux acteurs du marché du médicament vétérinaire. Notre objectif n’était pas de trouver des solutions sur les origines des ruptures, bien que ces sujets soient critiques et tout aussi importants pour l’agence, mais ils sortaient du champ d’action de notre groupe de travail actuel. Cette thématique pourra être traitée dans le cadre d’un autre groupe de travail. Pour l’instant nous avons souhaité cibler sur les ruptures critiques qui posent de réels problèmes sur le marché et travailler notamment sur la circulation de l’information. Aussi nous nous sommes plutôt concentrés sur les bonnes pratiques que chaque acteur pourrait mettre en place afin de gérer au mieux ces ruptures. De nombreuses rencontres ont été organisées au premier semestre 2018 afin de nous mettre d’accord sur ces bonnes pratiques à adopter. Le document que nous avons élaboré rappelle ce qu’est une rupture. Sur le marché, il est possible que nous soyons confrontés à des micro-ruptures de quelques jours. Nous avons fait une distinction entre une rupture d’approvisionnement, une rupture critique et une rupture avérée critique. La rupture est avérée critique lorsqu’il n’y a plus de produit en stock dans l’ensemble du réseau de distribution, ni chez le laboratoire exploitant et que cette rupture est susceptible d’induire un risque pour la santé humaine, la santé et le bien-être des animaux. En effet, toutes les ruptures ne sont pas critiques mais toutes les catégories de médicaments peuvent faire l’objet d’une rupture critique avérée. Le groupe de travail sera pérennisé afin d’aider un maximum le secteur. Nous espérons améliorer notre système de communication pour gérer au mieux ces ruptures critiques et proposer des solutions alternatives. Un point d’étape devrait être fait tous les 6 mois ou tous les ans pour voir comment améliorer les choses.

Ce projet répond-il aux attentes des praticiens ?
Le sujet des ruptures est un sujet critique en médecine vétérinaire comme en médecine humaine. Nous ne prétendons pas tout résoudre avec ce projet. Mais je pense que ces bonnes pratiques pourront répondre en partie aux difficultés rencontrées par les praticiens notamment quant à leur bonne information. Les bonnes pratiques accentuent le rôle de chacun des acteurs. L’idée était de se mettre d’accord sur la marche à suivre et poursuivre nos actions. Le fait de communiquer sur les ruptures critiques avérées sur le site de l’Anses permettra d’informer un plus grand nombre d’acteurs dont les vétérinaires. Les vétérinaires sont des acteurs de la bonne gestion des ruptures et doivent s’approprier ces bonnes pratiques, ils doivent notamment éviter de faire des stocks supérieurs à la normale lors de suspicion de rupture. Seule une bonne gestion au niveau national permet de gérer au mieux la pénurie de façon équitable.

DEUX QUESTIONS À OLIVIER FORTINEAU

Qu’est-ce que ces bonnes pratiques changent pour le vétérinaire ?
Le document ne s’intéresse qu’aux ruptures critiques avérées, déterminées par les laboratoires et validées par l’ANMV. Une grille pour établir la criticité a d’ailleurs été construite par ces deux acteurs. Ces bonnes pratiques posent un cadre de collaboration entre les acteurs du marché du médicament vétérinaire. Cette démarche est une première étape intéressante. Elle permettra de fluidifier le partage d’informations, en cas de ruptures critiques, entre les laboratoires et l’ANMV. Cela permettra de répondre en amont à une demande des vétérinaires. L’agence s’engage en effet à trouver des solutions à ces situations. Les praticiens pourront alors consulter sur son site internet la liste des médicaments en rupture avérée critique, avec, le cas échéant, une proposition de plan de substitution. Il est également prévu que l’agence facilite la délivrance d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) et/ou l’importation d’alternatives thérapeutiques non disponibles habituellement dans la pharmacopée vétérinaire française. Mais cela ne révolutionnera pas le quotidien des praticiens. À partir du moment où les origines des ruptures seront connues, il devrait être plus efficace de les prévenir, mais, aujourd’hui, il n’est pas prévu de corriger leurs causes. Le document ne s’intéresse pas à la racine du mal, ni même à toutes les ruptures temporaires qui nous empoisonnent la vie tous les jours. Cependant, il n’est pas exclu que le champ d’application de ces bonnes pratiques soit étendu à d’autres formes de ruptures.

Quelles sont les actions à mener par la SNGTV ?
Nous diffuserons les bonnes pratiques auprès de nos adhérents. En tant que praticiens, nous ne pouvons pas nous engager sur grand-chose : nous ne nous pouvons pas intervenir sur les causes des ruptures. Mais nous encouragerons nos adhérents à mettre en place les bonnes pratiques qui les concernent. Il s’agit notamment de ne pas stocker inconsidérément, d’utiliser les produits jusqu’à péremption et d’éviter le sur-stockage avant ou après la rupture.

LES CAUSES DES RUPTURES

L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) cite quatre causes de rupture :

L’approvisionnement en matières premières, principes actifs ou excipients
Les matières premières sont de plus en plus produites en Asie, parfois sur un site unique de production. Toute difficulté politique, informatique, industrielle, climatique, de transport a des répercussions.

Les procédés de fabrication et de libération des lots
La fabrication d’un médicament vétérinaire est un processus long (18 mois pour certains vaccins) et d’une grande technicité. Un problème de panne de matériel d’une chaîne de production conduit à un arrêt immédiat de la production ou limite momentanément la capacité/productivité, ce qui devra être compensé par la suite, avec des conséquences potentielles sur le fonctionnement des autres chaînes de production.

Les causes réglementaires
Tout changement au niveau de la formulation ou du procédé de fabrication d’un médicament doit faire l’objet d’une demande de modification d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Les délais des procédures réglementaires sont variables, mais peuvent également prendre plusieurs mois.
Les augmentations non prévisibles de la demande
Les outils de production sont utilisés au maximum de leur capacité, les productions, particulièrement de vaccins, étant complexes, techniques et coûteuses au regard du marché. De plus, les flux sont aujourd’hui organisés au niveau mondial. Il suffit d’une épizootie dans une région du globe pour déstabiliser l’ensemble d’une chaîne d’approvisionnement, surtout en vaccins. Des phénomènes de sur-stockage de la part des distributeurs ou des ayants droit, par anticipation à la suite d’une rumeur de rupture, peuvent également déstabiliser localement le marché et conduire à une rupture

ENTRETIEN AVEC ARNAUD DELEU 

« LES BONNES PRATIQUES PERMETTENT D’ÉVITER LA DIFFUSION DE RUMEURS »

Pourquoi avoir choisi de participer à l’élaboration de ces bonnes pratiques ?
Les bonnes pratiques permettent de définir des situations parfois diverses, dont la résultante est que l’ayant droit ne peut plus s’approvisionner en médicament vétérinaire. La rupture est notamment avérée lorsqu’il n’y a plus de produit en stock dans l’ensemble du réseau de distribution ni chez le laboratoire exploitant. Elles ont également pour objet de déterminer quand l’ANMV procédera à une information officielle des ruptures sur son site internet. Dès qu’un exploitant a connaissance d’un risque de rupture, il en informe l’agence en fournissant les paramètres nécessaires à une analyse de risque. La procédure retenue est similaire à celle du traitement des défauts qualité qui a fait ses preuves depuis plusieurs années. Le site de l’ANMV permettra de connaître les médicaments en rupture avérée critique, et surtout le délai et les alternatives thérapeutiques non habituellement disponibles dans la pharmacopée française. La recherche de solution fait l’objet d’échanges entre le laboratoire exploitant et l’ANMV.
Ces bonnes pratiques permettront-elles de pallier la pénurie de médicaments vétérinaires ?
Les bonnes pratiques permettent d’éviter la diffusion de rumeurs à l’origine de comportements d’achat “de couverture” qui désorganisent le marché et peuvent même engendrer des ruptures vraies lors de situations tendues. Elles renforcent également la relation entre les exploitants et l’ANMV lors de risque de rupture, afin de rechercher des solutions réglementairement acceptables. Il peut s’agir, par exemple, de libération de lots destinés initialement à un autre pays, d’importation venant de pays tiers, etc. Elles rappellent que la lutte contre les ruptures est l’affaire de tous les acteurs, y compris les vétérinaires, avec, par exemple, la nécessité d’utiliser les médicaments jusqu’à leur date de péremption. Enfin, l’information diffusée sur un site officiel est nécessaire pour que les acteurs puissent procéder à un éventuel contingentement ou à une allocation pour servir au mieux les ayants droit. Rappelons que le marché du médicament vétérinaire est soumis à la libre concurrence

Faudrait-il, comme en santé humaine, renforcer la responsabilité des exploitants ?
Une telle disposition serait contreproductive. L’exploitant est également victime des ruptures. Les mesures en santé humaine visent des médicaments remboursés par les régimes obligatoires de sécurité sociale considérés comme critiques. Établir une liste de médicaments indispensables vétérinaires est très complexe et nécessite une actualisation permanente. Nous avons préféré nous concentrer sur la notion de situation critique, avec des recherches de solutions efficaces pour chaque cas. Dans le même temps, les entreprises du médicament vétérinaire continuent d’investir sur de nouveaux sites de production (Virbac, Ceva BI, Biové, etc.) qui viendront augmenter la capacité de production globale.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr