Les libéraux : entre asphyxie et nouveau souffle - La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1789 du 07/12/2018

PROFESSION

ACTU

Auteur(s) : MARINE NEVEUX 

Le contexte national, les réformes difficiles à s’approprier, le poids des taxes et des charges, le manque de flexibilité, le maillage du territoire, l’innovation, l’indépendance, etc. : beaucoup de sujets brûlants étaient au cœur des échanges des libéraux lors du 26 e congrès national des professions libérales, à Paris, le 7 décembre.

La valorisation du capital humain et économique des entreprises libérales dans la transformation de la société » était le fil rouge du 26e congrès de l’Union nationale des professions libérales (Unapl), qui s’est tenu le 7 décembre à Paris. Une quête de solutions qui a tout son sens en cette période de grogne et de transformation de la France. Sans dresser de tableau noir, alors que l’actualité s’en charge déjà, les motifs d’insatisfaction sont prégnants pour les libéraux ces derniers mois dresse en bilan des actions du gouvernement, Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), « il fallait donner plus de souplesse aux libéraux ». « Dans les autres pays, on taxe moins les indépendants, en France, c’est trop, beaucoup trop. » Ces contraintes croissantes sont aussi bien la suppression du Régime social des indépendants (RSI vers le régime général, avec les cotisations alors sur la part employeur et salariée), l’iniquité dans la façon d’aborder le prélèvement à la source, le chômage, le sujet “hautement délicat” des retraites, les taxes, etc.

Les libéraux confrontés à un flot de réformes

Depuis 18 mois, « nous constatons un flot de réformes », ajoute Emmanuel Lechypre, économiste, rédacteur en chef, responsable du centre de prévision de L’Expansion : loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), réforme fiscale du travail, du prélèvement à la source, suppression du RSI, etc. « Certaines choses vont dans le bon sens, modère-t-il. La loi Pacte n’ajoute pas de contraintes pour les entreprises, la réforme du travail permet un plafonnement des indemnités prud’homales. » Mais plusieurs réformes ne vont pas assez loin, selon Emmanuel Lechypre, et plusieurs demandent une évolution des hautes administrations qui ne répondent pas aux attentes des Français. « Derrière ce qui pourrait être de bonnes intentions, apparaît un président de la République qui travaille de façon trop “haute technocratie” ». Autre reproche : sa verticalité. « Beaucoup de réformes sont mêmes ringardes, comme si la taxe était la réponse à tous les problèmes ! »

Alain Griset, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), évoque aussi l’insatisfaction autour des retraites : « Les professionnels libéraux ont une particularité. Passer à trois plafonds annuels de la Sécurité sociale (Pass) fait que le choix du professionnel indépendant va quasiment disparaître. » En outre, « si on bascule du système de trimestre au système de points, qui va déterminer ces points ? Quel sera le montant de la cotisation ? Nous avons souhaité que ce soit limité à 1,5 Pass. »

Philippe Gaertner, vice-président, délégué santé de l’Unapl, note aussi cette confrontation des libéraux à la multiplication des changements : « Il existe un problème d’appropriation, de pédagogie. Je pense qu’il y a un manque de dialogue, la volonté d’écarter les corps intermédiaires, avec le risque d’une rébellion intellectuelle par rapport à ce genre de considération. » Il identifie aussi « des mesures clairement favorables, avec une volonté de remettre la branche au cœur des entreprises, au lieu des interprofessions parfois non adaptées aux TPE ».

« Bercy ne connaît pas les entreprises libérales, c’est vraiment un sujet que le ministère ignore », insiste Denis Raynal, président de la commission économique et fiscale de l’Unapl.

Acteurs de l’innovation et du lien territorial

« Je pense qu’un bel avenir se profile, car vous êtes le lien pour apporter de l’innovation. Et il y a un besoin de rupture. L’âge du serviciel, c’est la déconcentration », assure Christophe Barbier, éditorialiste à L’Express. Il évoque le télétravail, la télémédecine pour pouvoir servir le patient. Et de bousculer l’auditoire : « N’ayez pas peur de la dérégulation, faites la vôtre ! Car vous finirez par être emportés, si ce n’est par le droit, ce sera par la technologie. Soyez les dérégulateurs de votre monde, sinon vous serez vaincus par le “disruptif” (quelqu’un qui viendra avec un autre monde). Vous avez une responsabilité par rapport à l’innovation, et aussi vis-à-vis de la solidarité. La pierre précieuse, le joyau, c’est l’indépendance. La reconquête de l’indépendance comme philosophie, c’est le défi des professions libérales. »

« Il existe dans les professions libérales une dimension humaine et de lien qui est importante », renchérit Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France et ancien ministre. Ce qui mine notre pays, ce sont les fractures. Quand on réussit à apporter le lien sur le territoire, il ne faut pas casser ces professions libérales qui en sont les acteurs. Les professions libérales, c’est toute la France ; cet ancrage, aujourd’hui, peu d’entreprises sont capables de le symboliser. »

Une relation de confiance via l’éthique et l’indépendance

« Nous vivons un moment fascinant. Notre rêve ne va plus être de repousser les limites, mais de les déterminer, estime Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites. Le monde de demain n’appartient pas au plus puissant, mais à celui qui sait s’adapter. On a tendance à condamner l’innovation pour préserver le confort de l’existant. L’adaptabilité est bien plus forte chez les libéraux que dans les autres structures collectives. »

« Beaucoup de professions libérales sont aussi réglementées et ont un code de déontologie. J’y suis très attachée, car c’est une relation de confiance avec les autres, répond Corinne Lepage, présidente de Cap21, ancienne ministre de l’Environnement. On nous fait confiance car nous sommes compétents, mais aussi parce que nous avons une déontologie. Nous avons besoin de nous adapter, mais aussi de règles déontologiques fortes. »

La question de la financiarisation est également abordée. « Les mots “secret professionnel”, “éthique”, etc. ont un sens : l’indépendance, et la certitude que l’on s’adresse à un professionnel indépendant. Cela devient rare, or c’est fondamental », déclare Michel Chassang, président de l’Unapl. Le professionnel apporte la garantie de disposer d’une couverture en responsabilité civile professionnelle, d’être formé, notamment. Jean-Paul Delevoye met aussi en garde : « Plus l’entreprise grandit, plus elle va privilégier l’actionnaire qui privilégie le court terme ».

« La démocratie, c’est l’écoute et le dialogue, non l’affrontement, déclare Michel Chassang. Davantage de valeur peut être apportée par les corps intermédiaires (élus, associations, etc.). Ils sont indispensables, or qu’est-ce que l’on en a fait ? ».

EXTRAITS DE TWEETS DIFFUSÉS DURANT LE CONGRÈS

- « Pourquoi la France est-elle première en taxes et 28e en enseignement ? »
- « On perd la main sur le financement de nos retraites, la formation de nos salariés et sur nous-mêmes. Les professionnels libéraux vont-ils perdre leur indépendance ? »
- « Comment renouer le dialogue social que l’on sent quasi inexistant aujourd’hui ? »
- « Des réformes à la hussarde… Quid de l’humanisme dans la politique aujourd’hui ? »
- « Comment aider les TPE et les PME libérales à passer les réformes sans les asphyxier ? »
- « La dérégulation, OK, mais à quel prix… Quid de la déontologie du client, du patient ? On tire surtout vers l’irresponsabilité, vers le bas ».
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