L’intérêt du traitement antiparasitaire ciblé sélectif chez les vaches laitières - La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Depuis de nombreuses années, des études ont montré que les strongles gastro-intestinaux (SGI) peuvent induire des baisses de production laitière (PL) en élevage bovin laitier ; une augmentation de la PL est donc souvent attendue après un traitement anthelminthique. Toutefois, il a été démontré que les effets bénéfiques de ce type de traitement sur la PL sont très variables entre les troupeaux et entre les individus. De plus, leur utilisation systématique est de plus en plus controversée au vu de la hausse des résistances constatée en élevage et de leurs impacts sur l’environnement et sur l’immunité anti-SGI des bovins. Des méthodes alternatives sont donc actuellement recherchées.

L’importance de conserver une population refuge

Comme l’a indiqué notre consœur Nadine Ravinet, enseignante-chercheuse à Oniris, la résistance aux antiparasitaires, qui se transmet entre générations de parasites, est une conséquence de la pression de sélection exercée par des protocoles de traitements insuffisamment raisonnés (systématiques, avec des molécules de la même famille, souvent rémanentes, en pour on et/ou sous-dosées). Les parasites résistants survivent alors à des doses d’antiparasitaires normalement létales. Pour limiter ce phénomène et garantir un système durable, il convient de préserver une population refuge de parasites (sous-population qui n’est pas exposée aux anthelmintiques et dans laquelle les résistances ne peuvent pas émerger, soit les parasites des animaux non traités et les parasites présents sur les parcelles lors des traitements). De plus, pour permettre aux jeunes bovins de développer correctement leur immunité, il est recommandé de mettre en place un traitement vermifuge raisonné permettant d’avoir un temps de contact effectif (TCE1) suffisant (minimum 8 mois) avec les parasites tout en limitant la charge parasitaire pour éviter toute expression zootechnique ou clinique. C’est pourquoi, l’équipe de chercheurs de l’unité mixte de Recherche Bioepar (Inra-Oniris) tente de développer des stratégies de traitement ciblé et sélectif chez les bovins. Leur dernier essai, réalisé en collaboration avec le laboratoire Ceva Santé animale, a été mené durant l’hiver 2016-2017 et visait à évaluer la variabilité de l’effet de l’éprinomectine injectable sur la PL.

123 troupeaux de bovins analysés, 70 vétérinaires impliqués

L’étude a été réalisée sur 123 troupeaux (soit 6 228 vaches laitières) dans cinq zones de production laitière françaises, représentatives d’une diversité géographique et de conduite. Dans chacun des troupeaux, un essai contrôlé randomisé a été mis en place par un vétérinaire dans les jours suivant la rentrée en stabulation 2016. Comme l’a indiqué Nadine Ravinet : « L’objectif de ce projet était d’élaborer une stratégie de tri des bovins en identifiant les troupeaux pouvant subir des pertes de production laitière (en l’absence de traitement anthelminthique) et en sélectionnant ensuite les vaches ayant une forte probabilité de gain de production laitière post-traitement anthelminthique ». Les chercheurs se sont basés sur la grande variabilité de réponse en PL des vaches et des troupeaux traités par des vermifuges pour réaliser un ciblage qui permettait de « maîtriser la pression de sélection exercée sur les populations de parasites et de contrôler l’apparition de la résistance aux anthelminthiques. » Au cours de cet essai, la moitié des vaches ont été traitées par une injection d’éprinomectine, seul traitement sélectif utilisable en lactation (temps d’attente de 0 jours et produit injectable). L’évaluation du gain de PL moyen mesuré sur les 123 troupeaux était de 300g/v (vache)/j. Les chercheurs ont alors tenté de déterminer quels étaient les troupeaux et les vaches contribuant le plus à cet effet.

Une combinaison prometteuse d’indicateurs

Le dispositif s’est établi sur trois niveaux d’étude, afin de pouvoir identifier, pas à pas, les critères de sélection. À l’échelle du troupeau, trois critères ont été identifiés pour trier progressivement les troupeaux répondant le mieux au traitement. Tout d’abord, le pourcentage d’herbe pâturée (HP) dans la ration des vaches (seuil de 75 % minimum pendant 2 mois au printemps et de 50 % en été-automne), jamais étudié dans les études précédentes, a été très discriminant : si l’HP était bas, aucune augmentation de la PL des vaches n’était observée, mais s’il était moyen ou élevé, un gain de PL post-traitement était visible (en moyenne 1 kg/v/j). Ce critère serait donc un bon révélateur de l’exposition d’un troupeau aux parasites. Ensuite, pour affiner le tri dans les troupeaux ciblés au niveau 1 (HP moyen ou élevé), les chercheurs ont montré que le TCE pouvait être intéressant (niveau 2) : dans les troupeaux à TCE faible (conduite des génisses moins favorable au développement de l’immunité anti-SGI), le gain de PL post-traitement était encore meilleur (en moyenne 1,4 kg/v/j). Enfin, le critère du RDO (Ratio densité optique), niveau d’anticorps anti-Ostertagia dans le lait de tank, exploité au niveau 3 de l’étude, s’est avéré très discriminant dans la sous-population de troupeaux à HP moyen ou élevé et à TCE faible (en moyenne 1,8 kg/v/j quand le RDO ≥ 0,9). Cependant, l’effectif étant faible à ce niveau 3, les chercheurs restent très prudents quant à l’interprétation de la valeur de la DO. Cette sélection a donc permis d’identifier les troupeaux qui seraient les plus à risque de perdre en PL s’ils ne sont pas traités : HP moyen ou élevé et TCE faible (et DO élevée). Puis, les critères permettant ensuite de sélectionner les vaches sensibles dans ces troupeaux ont été identifiés. Au niveau 0 (aucun tri à l’échelle troupeau), il a déjà été possible d’identifier une catégorie de vaches répondant mieux au traitement : il s’agissait des vaches ayant vêlé en cours de saison de pâturage et/ou ayant eu un début de lactation décevant (par rapport aux autres vaches du même troupeau et de la même parité). Puis, au niveau 1 (troupeaux à HP moyen ou élevé), les vaches qui répondaient le mieux au traitement (+ 1,3 kg/v/j) étaient aussi celles qui avaient vêlé en cours de saison de pâturage et qui avaient une PL décevante au pic. Ensuite, au niveau 2 (troupeaux à HP moyen ou élevé et TCE faible), les vaches avec le meilleur gain de PL post-traitement (+ 1,5 kg/v/j) étaient toujours celles qui avaient vêlé en cours de saison de pâturage avec une production au pic moyenne ou faible.

Ce protocole de tri a, par conséquent, permis de mettre en évidence que les vaches à sélectionner en priorité pour le traitement anthelminthique seraient celles ayant vêlé en cours de saison de pâturage avant d’être traitées à la rentrée en stabulation et qui étaient des productrices décevantes dans leur troupeau (a priori, les moins résilientes). En moyenne, dans cette étude, 30 % de vaches dans les troupeaux de l’échantillon ont répondu à ces critères, laissant donc les 70 % restants constituer une taille de refuge de parasites importante et intéressante à ce stade de recherche.

Un arbre décisionnel opérationnel ?

L’intérêt du traitement ciblé sélectif des vaches laitières contre les SGI à la rentrée en stabulation a ainsi été confirmé dans cette étude. Cela devrait permettre d’élaborer un arbre décisionnel opérationnel de traitement reposant sur la combinaison de critères simples d’utilisation.

Il est apparu que la DO lait de tank est un critère insuffisant pour décider de traiter les VL, tandis que la part d’herbe pâturée dans la ration des vaches serait un bon critère pour estimer si le troupeau est ou non à risque. De plus, il est intéressant de mesurer le TCE chez les génisses et de bien raisonner les traitements vermifuges avant le premier vêlage. Cependant, comme l’a conclu Nadine Ravinet : « Il s’agit ensuite d’adapter cet arbre décisionnel aux spécificités géographiques (élevage des génisses, accès à l’herbe, conditions météorologiques, conduite de pâturage, etc.). » De plus, cette stratégie de traitement, qui repose essentiellement sur une analyse de la conduite d’élevage, peut être adaptée au cas par cas : l’éleveur peut s’arrêter au niveau de tri souhaité en fonction du type de décision qu’il souhaite prendre. S’il veut maximiser les chances d’avoir effectivement un gain de PL sur les vaches traitées, il sera nécessaire d’affiner le tri en ciblant les troupeaux pour lesquels la probabilité de réponse en PL croît, mais quelques vaches qui auraient pu avoir un gain de PL post-traitement peuvent être “oubliées”. Tandis que si l’éleveur veut sécuriser les productions et ne passer à côté d’aucune vache susceptible d’avoir un gain de PL post-traitement, il conviendrait de s’arrêter au niveau 0 (ou au niveau 1), mais sont traitées des vaches en trop, qui ne vont pas avoir de gain de PL après traitement.

1 Durée des saisons de pâturage cumulées (avant le 1er vêlage) à laquelle on retranche les périodes de sécheresses et celles de traitement rémanent administré en cours de saison de pâturage.

Nadine Ravinet Vétérinaire, enseignante-chercheuse à Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique). Article rédigé d’après une présentation faite à Oniris, le 19 novembre.

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