De la “viande de laboratoire” bientôt commercialisée aux États-Unis ? - La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1788 du 30/11/2018

ALIMENTATION

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Les États-Unis ont ouvert la voie à la commercialisation de “viande” conçue in vitro à partir de cellules animales, proposée comme une « alternative éthique » à l’élevage industriel.

Bientôt de la “viande de laboratoire” dans les assiettes ? En France, rien n’est moins sûr, mais aux États-Unis sa commercialisation semble programmée, comme l’ont indiqué, le 16 novembre, l’Agence américaine en charge de la sécurité alimentaire (FDA)1 et le ministère de l’Agriculture américain (USDA)2 qui devraient se partager le contrôle de sa production quand elle sera disponible3.

Déjà des entreprises sur le marché

Après la mise sur le marché en 2013 du “Frankenburger”, premier prototype de steak élaboré in vitro, l’équipe néerlandaise qui l’avait conçu s’est donnée pour mission d’en produire en masse en réduisant ses coûts de production qui étaient alors très élevés (250 000 $ pour le “Frankenburger”) et en améliorant sa recette pour répondre aux attentes organoleptiques des consommateurs. Et même si aucun produit n’est pour l’instant prêt à être vendu, les perspectives de commercialisation, notamment aux États-Unis, se dessinent.

Une régulation partagée

En effet, dans ce pays, la question de l’autorisation de la mise sur le marché de tels produits alimentaires ne semble pas se poser, car, comme l’indique leur communiqué3, les deux agences américaines (FDA et USDA) estiment avoir les autorisations réglementaires nécessaires : « L’Administration ne pense pas qu’une loi spécifique sur le sujet soit nécessaire ». Par conséquent, seuls les organismes de contrôle « nécessaires pour encourager ces produits alimentaires innovants et maintenir les normes de sécurité sanitaire des aliments les plus strictes » devaient être définis. C’est chose faite maintenant : après un débat public, il a été décidé que la supervision serait partagée entre les deux organismes. Les détails doivent encore être affinés, mais il a été conclu que la FDA serait chargée de contrôler la collecte des cellules, leur conservation, ainsi que les protocoles permettant la croissance et la différenciation cellulaire. L’USDA, quant à elle, aura pour mission de superviser la production et l’étiquetage des produits issus de ces cellules destinés à la consommation humaine.

Une alternative intéressante ?

Mais si les enjeux techniques parviennent à être résolus, faudra-t-il encore convaincre les consommateurs qui, comme l’indiquait en 2015, Jean-François Hocquette, directeur de recherche sur les herbivores à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Clermont-Ferrand et coordinateur d’une revue scientifique internationale sur le sujet4, « d’après des études d’acceptabilité menées en France (…), avaient pour l’heure majoritairement une réaction de l’ordre de la répulsion en raison de son artificialité ». Pour y parvenir les partisans de la “viande de laboratoire” avancent divers arguments : avantage écologique par gain d’énergie, meilleur respect du bien-être animal (élevage et abattage), solution à l’explosion démographique. Cependant des études scientifiques restent néanmoins à mener sur le bilan environnemental de cette technique. Ainsi, dans une publication de 2013, des chercheurs de l’Inra expliquaient que la viande artificielle présentait « un intérêt modéré pour réduire les gaz à effet de serre et la pollution par les nitrates ». De même, selon Jean-François Hocquette, « les seuls avantages indiscutables de la viande in vitro seraient de libérer des terres cultivables et d’éviter de tuer les animaux d’élevage. Or, c’est par là même la logique de l’élevage qui est remise en question, avec toutes les répercussions économiques, sociales, culturelles, environnementales que l’on a tendance à sous-estimer ». De plus, il ajoute que « d’autres solutions plus accessibles à court terme existent (valorisation des protéines végétales, promotion des formes d’élevage à haute valeur environnementale) ».

Pourra-t-on appeler cela de la viande ?

Au-delà des interrogations quant à l’intérêt de ces produits, un point reste encore à éclaircir. En effet, dans son communiqué, l’Administration américaine n’a pas indiqué si l’on pouvait qualifier ces produits de “viande”, or il s’agit d’un point de contentieux important entre certaines associations représentant les agriculteurs qui se battent pour que le mot “viande” soit réservé à la chair d’un animal né, élevé et abattu de façon traditionnelle et les partisans de produits alternatifs.

1 fda.gov.

2 usda.gov.

3 bit.ly/2OQ96g6.

4 Journal of Integrative Agriculture 2015, 14(2):206-294.

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