Phytothérapie : Comment dénouer l’impasse ? - La Semaine Vétérinaire n° 1781 du 11/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1781 du 11/10/2018

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Herbes, pommades naturelles… Le retour en force du “naturel” en France concerne de nombreux secteurs, dont celui de la santé animale. À l’heure où la réduction de l’antibiorésistance, par les actions des plans ÉcoAntibio, et la quête du bio sont devenues les mots d’ordre, le vétérinaire se retrouve au-devant de plusieurs enjeux importants.

Si le cadre réglementaire du recours à la phytothérapie et à l’aromathérapie chez les animaux de compagnie est clair, cela n’est pas le cas pour les animaux de rente. Pour ses derniers, se pose la question de la sécurité du consommateur final. La réglementation actuelle est un entre-deux, qui finalement ne satisfait ni les vétérinaires ni les éleveurs. Et pour cause, elle reste encore floue. Pour l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), toute substance ou produit utilisé dans un but thérapeutique doit être considérée comme un médicament. Il lui paraît alors réglementairement justifié qu’une plante soit considérée comme un médicament dès lors qu’un effet préventif ou curatif est revendiqué. Comme pour les médicaments chimiques, la question des limites maximales de résidus (LMR) se pose aussi pour les produits à base de plantes. Sur ce terrain, deux visions s’opposent. Là où certains prônent la nécessité d’une approche différente sur cette question et demandent notamment l’adoption d’une liste de plantes sans LMR requises, d’autres penchent pour une application stricte de la réglementation en vigueur (existence d’une LMR et fixation d’un délai d’attente). En l’état, la réglementation serait-elle source de désordre ? D’abord, pour les vétérinaires qui réclament que la prescription de ces produits leur soit réservée. Il y a aussi les éleveurs qui demandent plus d’autonomie et militent pour la légalité de l’automédication. Un juste milieu est-il possible ? Rien n’est moins sûr. Quelles évolutions réglementaires attendre ? La réglementation n’est-elle que la partie émergée du problème ?

Le point bloquant LMR

Ces questions interviennent alors que le point bloquant est identifié : les LMR. Selon les autorités sanitaires, cet élément est indispensable pour garantir l’innocuité et assurer au consommateur l’absence de résidus à un taux supérieur à la LMR. Cette question avait d’ailleurs fait l’objet d’une réponse en mai 2016 du ministère de l’Agriculture alors interpellé par le sénateur Philippe Bas1. Le ministère avait rappelé que « le droit européen en vigueur dispose que les médicaments vétérinaires à base de plantes sont également soumis à l’obligation de disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) fondée sur des données de qualité, d’efficacité et d’innocuité. » Lors d’une présentation à ce sujet au Space 2018, l’ANMV a réaffirmé que le statut LMR est obligatoire pour toute substance active présente dans un médicament vétérinaire destiné à des animaux de rente. Mais le problème également soulevé par l’agence est que cette disposition peut constituer un frein pour le développement de la phytothérapie. Afin de dépasser cet obstacle, l’autorité sanitaire avait minoré, en 2015, le montant de la contribution versée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour une demande d’AMM pour un produit à base de plantes, la faisant ainsi passer de 14 000 à 5 000 €. Malgré ces avancées, seules 120 substances végétales disposent d’une LMR et les huiles essentielles en ont encore moins (uniquement 21). Le ministère de l’Agriculture reconnaissait sur ce point que « déterminer une LMR a un coût important qu’un producteur de médicament ne choisit d’assumer que s’il est assuré d’un retour sur investissement. »

Une multitude de molécules

Au final, peu de médicaments vétérinaires à base de plantes ont été mis sur le marché. Des voix s’élèvent pour dénoncer le statu quo. Des vétérinaires pointent du doigt une réglementation qui, selon eux, n’est pas adaptée à l’utilisation des produits à base de plantes chez les animaux de rente. « Il est clair qu’en l’état actuel de la science personne ne peut donner un résidu quelconque à une multitude de molécules, issues d’une plante, consommées tant par l’homme que par l’animal. La plupart des publications scientifiques sur le sujet abordent en effet la question de l’efficacité des molécules ou d’associations de molécules sur un mécanisme physiopathologique précis, souligne Claude Faivre, vétérinaire phytothérapeute et directeur scientifique du laboratoire Wamine. C’est à l’industriel extracteur de donner des garanties sur l’origine de la plante, son procédé d’extraction et la composition chromatographique de son extrait de plantes. Cela lui permettra de justifier des molécules qui le composent. C’est la surveillance de la qualité de l’extrait qui permettra également d’attribuer à ces produits un statut juridique adéquat. Par ailleurs, ces produits ne deviennent des médicaments qu’aux mains du praticien qui a fait son diagnostic. Pour faire un phytomédicament, il faut un phytovétérinaire. Ces deux axes sont complémentaires. »

Un problème aussi européen

Mais selon Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV, les principes actifs des plantes sont des molécules chimiques parfois non dépourvues de toxicité pour l’homme ou l’animal. Ces produits ne sont pas sans risque. « Il existe plusieurs plantes toxiques bien connues (ciguë, belladone, if, etc.). Ces substances peuvent être dans diverses parties de la plante (feuilles, racines, fruits, etc.). Le règlement n° 470/2009 relatif à la fixation des limites de résidus des substances pharmacologiquement actives dans les aliments d’origine animale s’applique également aux médicaments à base de plantes et aux substances contenues dans les celles-ci », rappelle-t-il. Les arguments des opposants aux LMR dans le cadre de la phytothérapie semblent faire mouche. « La LMR ne dépend pas de la fonction de la substance, mais de sa déplétion en résidus dans le corps de l’animal lors de son métabolisme et de la toxicité de ces résidus. » À ce stade, seule l’Europe peut trancher. La question du statut des produits à base de plantes est en effet porté au niveau européen par l’ANMV. Initialement non prévu dans le projet de règlement sur les médicaments vétérinaires, le sujet est finalement entré par la petite porte. « La Commission a accordé une attention particulière aux médicaments vétérinaires à base de plantes dans le prochain règlement sur les médicaments vétérinaires. Il est reconnu qu’à l’heure actuelle il n’y a pas suffisamment d’informations sur les produits utilisés pour traiter les animaux afin de leur permettre de disposer d’un statut spécifique », reconnaît un interlocuteur de la Commission européenne. Concrètement, le sujet ne sera pas traité au niveau européen dans l’immédiat, puisque la Commission doit rédiger un rapport sur la phytothérapie dans les cinq ans suivant la date d’entrée en application du texte, puis prendre des mesures réglementaires si nécessaires. De son côté, l’ANMV poursuit ses actions afin de sensibiliser l’institution et les autres États membres. « L’ANMV prépare une note à destination de la Commis sion pour la sensibiliser sur les problèmes liés à l’usage de produits à base de plantes utilisées à des fins thérapeutiques sans AMM ni fixation de LMR. Pour cela, une enquête auprès des agences en charge du médicament vétérinaire des autres États membres européens a été réalisée, complétée par une enquête auprès des vétérinaires via la Fédération vétérinaire européenne ( FVE), pilotée par la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Nous poursuivons par ailleurs notre réflexion pour faciliter le développement de LMR pour de nouvelles plantes. Il est cependant certain que le Brexit et le déménagement de l’EMA sur Amsterdam ralentissent les travaux au niveau européen de façon significative », poursuit Jean-Pierre Orand.

Signaler pour dénoncer

Mais les freins au développement de la phytothérapie chez les animaux de rente ne se limitent pas à une question de LMR. À l’instar de la santé humaine il y a quelques années, le vétérinaire est confronté à ce qui pourrait être qualifié de concurrence déloyale. « Les vétérinaires restent les seuls professionnels reconnus en santé vétérinaire et l’utilisation de traitements à base de phytothérapie ne fait pas exception à ce principe », martèle le SNVEL, avant d’ajouter que l’automédication a ses limites.

Certains estiment néanmoins se faire lentement (mais sûrement) évincer de ce marché par des acteurs qui ne sont pas des professionnels de santé. « Le vétérinaire se rend compte que chez son éleveur il peut trouver des sceaux avec une forte odeur d’eucalyptus ou d’ail (pour du vermifuge). Il n’y a souvent pas de composition là-dessus. On n’est pas sur du médicament ! Le concept d’hygiène va loin, car certaines allégations frôlent avec le thérapeutique (hygiène intramammaire, par exemple) », dénonçait un vétérinaire lors d’une table ronde sur la phytothérapie organisée pendant les journées nationales des groupements techniques vétérinaires, en mai dernier. Des sites internet proposent en vente directe des huiles essentielles accompagnées de recette pour fabriquer chez soi des répulsifs contre les insectes, concocter une huile antidouleur ou encore soigner la gale de boue. D’autres sites, parfois basés à l’étranger, proposent des matières premières végétales. Face à cet engouement pour la phytothérapie, le marché est incontrôlable. « Il y a vraiment un deux poids deux mesures dans le monde de la phytothérapie. Les vétérinaires doivent respecter une réglementation européenne très stricte, bien plus stricte que celle des compléments alimentaires en médecine humaine, pour utiliser telle plante ou telle huile essentielle. Ils sont beaucoup plus surveillés. Alors que des sites internet publics peuvent vendre en ligne tout et n’importe quoi, sans aucun contrôle ! », alerte Pierre May, vétérinaire phytothérapeute. Le vétérinaire dénonce, mais est-il écouté ? Sollicitée sur le rôle des autorités de contrôle du ministère, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) n’a pas donné suite. À la question de savoir comment mettre fin à des démarchages visant à sensibiliser l’éleveur à l’automédication, l’Administration encourage toutefois les praticiens à faire des signalements. Signaler est-il le moyen le plus efficace de permettre au vétérinaire de conserver son rôle de prescripteur ? Il semblerait que ce soit l’une des pistes à envisager.

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Source : compte rendu des GTV mai 2018.

LES EXPLICATIONS D ’ARNAUD DELEU 

POURQUOI L’INDUSTRIE NE DÉPOSE-T-ELLE PAS PLUS DE DEMANDES D’AMM POUR DES PRODUITS À BASE DE PLANTES ?

Pour notre industrie, mettre un produit sur le marché n’est pas anodin. Cela nécessite un cadre réglementaire qui soit clair, mais aussi un marché et une concurrence loyale entre les différents acteurs. Aujourd’hui, la réglementation doit être précisée. Depuis plus de 10 ans, nous avons créé, au sein du Syndicat de l'industrie du médicament et réactif vétérinaires (SIMV), un groupe de travail consacré à la problématique des produits à base de plantes. En parallèle, nous collaborons avec l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) pour envisager des allégements appliqués aux dossiers de demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM), notamment sur la partie efficacité, pour ces produits. En revanche, sur la partie qualité, nous avons des dossiers quasiment complets.
Pour les produits à base de plantes, il subsiste une difficulté à avoir un médicament qui soit reproductible du fait de la complexité de la composition des matières premières. Le rôle de notre industrie est de mettre sur le marché des médicaments efficaces avec des allégations pharmaceutiques qui soient sûres pour le consommateur. Nous devons en effet proposer des produits efficaces avec une promesse de résultat. Cela nécessite une régularité quant à leur qualité. Selon nous, la phytothérapie est une science dont les produits doivent être considérés comme des médicaments. Ils supposent un usage bien établi, conforté par une bibliographie sur des essais terrains. En l’état actuel de la réglementation, ce qui pose problème est la question des LMR. Pour dépasser cet obstacle, nous avons soutenu tous les rapports qui ont été faits à ce sujet. Nous sommes mobilisés lors des discussions sur le projet de règlement européen afin que la problématique des médicaments à base de plantes soit abordée. Mais malheureusement, le texte issu du trilogue, entre la Commission, le Parlement et le Conseil européens, ne contient aucune disposition sur les produits à base de plantes. La question a été renvoyée à la Commission européenne, qui devra émettre un avis sur le sujet, mais pas avant 2027. Nous apportons par ailleurs des pistes de réflexion pour avancer sur le sujet : reprendre les bibliographies sur le médicament à usage humain, intégrer les plantes qui sont traditionnellement utilisées dans l’alimentation animale ou humaine, proposer des consortiums qui pourraient soutenir des dossiers de LMR, soutenir des thèses sur le sujet ou encore évaluer différemment les médicaments à base de plantes. Toutes ces pistes peuvent garantir la sécurité du consommateur, mais aussi de l’utilisateur.


DEUX QUESTIONS À CATHERINE EXPERTON 

« LA RÉGLEMENTATION N’EST PAS ADAPTÉE »

Selon vous, faudrait-il sortir du cadre réglementaire du médicament vétérinaire ?
Nous partons du constat que la réglementation n’est pas adaptée. Que ce soit en agriculture biologique ou conventionnelle, les plantes sont aussi utilisées à des fins thérapeutiques. Le cahier des charges de l’agriculture biologique recommande d’ailleurs, de préférence, un recours à l’aromathérapie ou encore à la phytothérapie plutôt qu’aux traitements allopathiques chimiques de synthèse. Or aujourd’hui, s’il y a allégation thérapeutique, le recours à ces produits n’est pas autorisé. Ce problème se pose aussi pour le vétérinaire. Car même si l’usage de la phytothérapie se fait dans le cadre de la cascade, il faudrait démontrer qu’une autre solution thérapeutique n’était pas disponible. Par ailleurs, la majorité des plantes employées n’ont pas de statut de limites maximales de résidus (LMR). Au final, la réglementation actuelle limite aussi l’action de l’éleveur et du vétérinaire. Pour sortir de cette impasse, l’approche doit être différente de celle des molécules chimiques. Face à cette situation, nous avons élaboré une liste positive de plantes fréquemment utilisées en élevage, dont nous proposons que des LMR ne soient pas requises. Sauf que l’allégation thérapeutique reste un obstacle à leur usage en toute légalité. Nous considérons qu’il serait pertinent de sortir cette liste du cadre réglementaire du médicament vétérinaire, car celui-ci vise l’action d’une molécule. Or les plantes ont plusieurs molécules et il est difficile de caractériser leur usage. Elles peuvent avoir plusieurs fonctions, telles que le soutien à l’immunité, être utilisées comme antibiotiques ou anti-inflammatoires. Nous souhaitons que la recherche avance sur le sujet et travaillons notamment avec des pharmacologues et des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) est-elle réceptive à vos propositions ?
Nous en sommes encore au stade de la réflexion. Le principe d’une liste positive de plantes sans LMR requises n’est pas un point de blocage. C’est plutôt le fait de parler d’automédication. Selon nous, ces plantes doivent rester un moyen de soin employé par les praticiens. Pour autant, nous estimons que les éleveurs peuvent avoir un rôle d’infirmiers et être responsabilisés et autonomes. Mais cela ne signifie pas qu’ils doivent être indépendants de leur vétérinaire. La discussion porte surtout sur le moment où le diagnostic reste indispensable. Nous sommes convaincus qu’il existe une complémentarité entre le vétérinaire et l’éleveur.

DES VÉTÉRINAIRES S’EXPRIMENT  

« IL NE FAUT PAS SE METTRE DES BÂTONS DANS LES ROUES »

Le problème de fond de la phytothérapie, est qu’il s’agit d’une pratique qui se développe un peu partout. Les propriétaires, ainsi que les éleveurs n’attendent pas la profession pour s’y mettre. De plus en plus de publications sur ce sujet apparaissent sur Internet. La phytothérapie, comme toute thérapeutique, demande une vraie démarche scientifique. Mais la profession vétérinaire, à vouloir trop réglementer, en invoquant notamment des problématiques de santé publique, risque de passer à côté de ce phénomène. Le vétérinaire, avec son raisonnement déductif et sa capacité à établir un diagnostic, peut se baser sur les données actuelles de la science pour trouver sa place. La profession vétérinaire doit pouvoir commencer à proposer des essais cliniques pour valider les effets des produits à base de plantes. Sur le terrain la réglementation actuelle est inapplicable. Il ne faut pas se mettre des bâtons dans les roues. La communauté scientifique se heurte en effet à une incapacité à raisonner sur le multimoléculaire, alors que cela fait 50 ans que l’on raisonne sur le monomoléculaire. J’ai confiance en l’avenir et je pense que des solutions vont être trouvées. Nous avons tous les atouts pour y parvenir.

« LES CADRES ACTUELS SONT INADAPTÉS »

Le plan ÉcoAntibio a contribué à faire évoluer le regard des vétérinaires ruraux sur les méthodes alternatives de santé, en particulier sur la phyto-aromathérapie. Cette tendance est nette et très positive, surtout chez les jeunes diplômés. Le succès de ces méthodes auprès des éleveurs soulève la question de l’automédication, face à la prescription réservée au vétérinaire. Celui-ci n’est pas toujours compétent, convaincu ou disposé à prescrire des plantes. Les éleveurs souhaitent plus d’autonomie dans ce domaine. Pour cela, il est nécessaire qu’ils soient formés pour respecter les bonnes pratiques, les normes d’utilisation et la sécurité alimentaire. La réglementation leur interdit de pratiquer une automédication simple et peu préoccupante, même à la suite des formations. C’est la remise en question d’une pratique immémoriale qui passe mal chez les éleveurs. Face à leurs revendications, la profession doit considérer la réalité du terrain et envisager la façon dont le vétérinaire peut collaborer avec l’éleveur, sans faire de la prescription un point bloquant. C’est par la compétence reconnue du vétérinaire qu’il pourra affirmer son rôle de conseil en phytothérapie en élevage, et non par des règlements caractérisés par une absence de concertation et de consensus des intéressés. Les cadres actuels sont inadaptés à l’évolution des pratiques de terrain et au développement de l’agriculture biologique, ils doivent être renégociés.

« AUCUN CONTRÔLE N’EST EFFECTUÉ »

La législation actuelle n’est pas adaptée à l’utilisation de produits à base de plantes chez les animaux de rente. Cela explique l’arrivée massive d’acteurs sur le marché, qui sensibilisent les éleveurs à l’automédication. Cette pratique constitue un énorme danger. Face à cette situation, le vétérinaire phytothérapeute n’entre pas dans un cadre facile. S’il prescrit des matières premières à usage pharmaceutique, il est obligé d’appliquer des délais forfaitaires (lait 28 jours et 28 jours viande, délais doublés en agriculture biologique). Les vétérinaires peuvent fixer un délai qui relève de leur propre responsabilité, et cela pose un réel problème. Il est donc nécessaire de faire évoluer la réglementation, car nous faisons face à une situation ubuesque. Nous avons initié, en mars dernier, une première table ronde avec tous les partenaires de la profession. À l’issue de cette rencontre, nous avons convenu d’attendre l’avis de l’Académie vétérinaire de France sur la question de la phytothérapie. Celui-ci constituera un premier fondement pour réfléchir à cette problématique et à la place du vétérinaire. Les autorités ont parfaitement conscience que l’automédication est une catastrophe pour la profession, mais surtout pour le consommateur final. Sous prétexte que la loi est trop contraignante, on laisse à l’éleveur la possibilité de se procurer librement des produits. Aucun contrôle n’est effectué. Cela n’est pas tolérable. Il faut un cadre réglementaire clair, afin que la prescription de la phytothérapie relève du vétérinaire. Il appartient également à la profession de mettre en place un réseau de pharmacovigilance qui intègre les produits à base de plantes.

« LE VÉTÉRINAIRE EST TOTALEMENT DÉFAVORISÉ »

TROIS QUESTIONS À JACQUES GUÉRIN 

« JE ME SOUCIE PLUS DE LA QUALITÉ DES MATIÈRES PREMIÈRES »

Il existe un vrai engouement des propriétaires et des éleveurs autour des médecines complémentaires comme l’aromathérapie et la phytothérapie. Quel est votre avis sur ce succès ?
Est-ce un succès, une mode ou un attrait immodéré de nos sociétés modernes pour tout ce qui est alternatif ? Je n’ai pas à trancher ce débat dès lors que ces médecines vétérinaires complémentaires sont construites sur des bases scientifiques solides et qu’elles sont en capacité de démontrer ce qu’elles allèguent. Je suis plus soucieux de la sécurité de ces pratiques vis-à-vis de l’animal et de sa santé, de la santé publique pour ce qui concerne les résidus et la toxicité des produits administrés, ainsi que les rejets dans l’environnement.

La profession ne semble avoir pris ce tournant que récemment. Comment expliquez-vous ce retard ?
Les vétérinaires sont de formation scientifique, ils ne peuvent se contenter d’allégations, de convictions, de traditions séculaires. Il faut aux vétérinaires des certitudes scientifiques pour intégrer la phytothérapie dans leur approche raisonnée des soins aux animaux. Force est de constater, selon un rapport récent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), que les publications relatives à la phytothérapie ne sont pas encore actuellement d’un niveau scientifique probant pour convaincre un esprit cartésien. Les vétérinaires savent faire la part des choses. Il revient à la communauté scientifique d’augmenter la qualité de ses travaux de recherche pour asseoir la crédibilité et la sécurité de la pratique de la phytothérapie. Je salue d’ailleurs la forte implication des organisations professionnelles vétérinaires techniques dans la formation continue des vétérinaires, ainsi que l’existence d’un diplôme Interécoles de phytothérapie vétérinaire.

L’automédication par des produits à base de plantes est interdite, mais certains éleveurs ont recours à la phytothérapie sans passer par leur vétérinaire. Des naturopathes se lancent également sur ce créneau et proposent à des éleveurs des recettes à base de plantes pour soigner leurs animaux. Selon vous, s’agit-il, dans les deux cas, d’un exercice illégal de la médecine vétérinaire ? Si oui, comptez vous mener des actions pour faire arrêter ces pratiques ?
Il s’agit bien là de l’envers du décor d’une pratique qui, par certains aspects, relève de la définition de l’acte vétérinaire. Par moments, les actes sont bien loin d’une médecine fondée par les sciences, mais s’assimilent à une recette, voire à un discours de charlatan. La question de la formation des éleveurs est une chose ; je me soucie plus de la qualité des matières premières, de la toxicité des préparations extemporanées à base de plantes, ainsi que des résidus persistant dans les denrées alimentaires (absence d’étude sur les LMR) ou rejetés dans l’environnement. Où sont les études d’impact et les analyses bénéfices/risques d’écotoxicité que les médicaments vétérinaires doivent fournir lorsqu’une autorisation de mise sur le marché est sollicitée ?
Il convient aussi de se soucier des allégations thérapeutiques de ces préparations extemporanées à base de plantes qui en font des médicaments vétérinaires par présentation soumis au respect des bonnes pratiques de fabrication, des règles de prescription à la suite d’un diagnostic vétérinaire et d’administration. Ces questions relèvent avant tout des services de contrôle de l’État et d’une autorisation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses)/Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV).
L’Ordre des vétérinaires en ce qu’il est garant de la qualité du service rendu par les vétérinaires et de la qualité de leur exercice professionnel agira sous couvert de disposer d’éléments tangibles, récurrents, démontrant un exercice illégal de la médecine vétérinaire ou la couverture d’un exercice illégal de la médecine vétérinaire.

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