Rôle des examens complémentaires dans la gestion des mammites - La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1780 du 05/10/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE 

Les infections mammaires constituent la première cause de pertes économiques dans les élevages laitiers et leur traitement consiste encore principalement en une antibiothérapie. Or, l’identification d’une infection mammaire n’est pas évidente, car ces atteintes sont protéiformes. Ainsi, alors que, dans les cas de mammites cliniques, des modifications de l’aspect du lait (bénigne), une inflammation du quartier (modérée), voire une atteinte de l’état général (sévère) sont constatés, lors de mammites subcliniques, seule une élévation des concentrations en cellules somatiques du lait est notée. Et leur étiologie n’est pas forcément prédictible : les mammites sévères sont dues dans 50 à 75 % des cas à des coliformes1, tandis que pour les mammites non sévères (bénignes ou modérées), trois agents pathogènes aux traitements très différents sont principalement en cause (Streptococcus uberis, Escherichia coli et Staphylococcus aureus). Il en est de même pour les mammites subcliniques (staphylocoques ou streptocoques majoritairement). Dans tous ces cas, seuls des examens complémentaires adaptés permettront donc de connaître l’agent responsable de l’infection et le traitement antibiotique le plus adapté (dans le cadre d’une prévention permanente de l’apparition d’antibiorésistance). Pour cela, les vétérinaires peuvent avoir recours au cabinet à deux techniques principales : l’identification bactérienne et l’antibiogramme (“méthode des disques”), qui ont des applications pratiques intéressantes (facilité d’utilisation, coût limité).

Identification bactérienne simplifiée du lait : une méthode robuste

En effet, l’identification bactérienne simplifiée du lait est une technique simple et rapide qui nécessite peu d’investissement et qui permet d’identifier les 12 agents pathogènes mammaires principaux. Elle consiste en l’ensemencement systématique de trois géloses (une non-spécifique, une spécifique pour les bactéries Gram + et la dernière pour les entérobactéries), avec 30 µl de lait par gélose. Complétée de quelques tests rapides (catalase, coagulase, Lancefield) et de l’ensemencement d’autres géloses, cette méthode est particulièrement robuste, car le risque d’erreurs est limité. Elle constitue ainsi une solution alternative intéressante aux tests rapides du commerce (gélose unique multicompartimentée de type VétoRapide®, Kitvia®, AccuMast®), dont les résultats sont moins fiables. Enfin, elle permet d’isoler une culture bactérienne pure sur laquelle un antibiogramme pourra être pratiqué.

L’antibiogramme, indispensable dans certains cas

Concernant l’antibiogramme, la technique adoptée est celle “des disques”, considérée encore comme référence en France, même si à l’échelle mondiale seul le test de microdilution en gélose est reconnu. Elle consiste à employer deux types de géloses : Mueller Hinton classique et Mueller Hinton au sang. Les disques utilisés sont fonction de l’espèce bactérienne isolée. Leur choix est fondé tout d’abord sur leur faculté à mettre en évidence une antibiorésistance, ensuite sur leur représentativité de la famille d’antibiotiques à laquelle ils appartiennent, et enfin sur leur usage en pratique. Par exemple, pour les staphylocoques, les disques suivants sont toujours utilisés : à la pénicilline G, à la céfoxitine (S. aureus) ou à l’oxacilline (staphylocoque à coagulase négative), à l’érythromycine et à la pirlimycine. Cependant, la prudence est de mise dans l’interprétation des résultats de ces antibiogrammes. En effet, peu de molécules antibiotiques ont leurs concentrations critiques validées dans le lait (pirlimycine, penicilline + novobiocine, céfalexine + kanamycine et pénicilline + framycétine2), car il existe peu d’études illustrant l’extrapolation des données in vitro sur les résultats cliniques in vivo. Il pourrait être par conséquent hasardeux de préjuger de l’efficacité d’un traitement sur le simple examen des résultats de l’antibiogramme, car ce n’est pas un bon témoin de l’efficacité in vivo de l’antibiotique. Toutefois, il garde un intérêt dans certains cas : pronostic des guérisons à S. aureus, choix de la pénicilline sur les infections staphylococciques, recours éventuel à des antibiotiques critiques (infections colibacillaires sévères). Ainsi, la gélose de Mueller Hinton classique est adaptée pour les staphylocoques, les entérocoques et les entérobactéries. En effet, S. aureus étant un germe invasif de la mamelle, son traitement nécessite des bons pouvoirs de diffusion, ce qui explique le choix de tous les antibiotiques testés dans l’antibiogramme. Et lorsque le diamètre d’inhibition est situé dans la zone charnière, un test à la nitrocéfine devra alors être réalisé pour mettre en évidence des S. aureus à résistance induite contre la pénicilline. C’est le disque à la céfoxitine qui permet d’identifier les S. aureus résistants à la méthicilline (Sarm), bien qu’encore très rares dans les cas d’infections mammaires. De plus, lors de mammites sévères ou d’infections chroniques affectant plusieurs vaches, pour confirmer leur sensibilité aux fluoroquinolones, les colibacilles font systématiquement l’objet d’un antibiogramme (amoxicilline + acide clavulanique, céfoxitine, acide nalixidique, marbofloxacine, gentamycine et sulfa-triméthoprime).

En ce qui concerne les streptocoques, la gélose de Mueller Hinton au sang pourrait être utilisée, mais en général aucun antibiogramme n’est entrepris, car ces germes sont normalement sensibles à la péniciline G, antibiotique de référence. Cependant, cela pourrait être amené à changer dans un futur proche au vu de la tendance à la dégradation des concentrations minimales inhibitrices (CMI) vis-à-vis de la pénicilline G observée dans les pays occidentaux3.

Des traitements sur mesure

Dans les cas de mammites sévères, un prélèvement est systématiquement réalisé, car même si bien souvent la vache est déjà sous traitement lorsque le vétérinaire intervient dans l’élevage, un germe peut quand même être isolé. Dans la majorité des cas, les entérobactéries sont alors dominantes et le risque de bactériémie associé est élevé4. Une thérapie antibiotique ciblée entérobactéries à visée générale doit alors être mise en place : pour des raisons fondées sur la littérature scientifique disponible, les fluoroquinolones constituent, et de loin, la meilleure option thérapeutique, d’où l’importance de la réalisation d’une culture bactérienne et d’un antibiogramme.

Concernant les mammites non sévères, les espèces bactériennes isolées sont diverses et la répartition étiologique est sensiblement la même entre les mammites bénignes et modérées. Or, la guérison bactériologique des infections mammaires responsables des mammites non sévères est très variable et dépendante du germe isolé (mais pas seulement, les facteurs liés à l’animal et à l’ancienneté de l’infection jouant également un rôle fondamental). S. aureus producteur de β-lactamase est, par exemple, le germe qui guérit le moins facilement et Streptococcus uberis est le streptocoque qui présente le taux de guérison le plus faible. Un autre facteur majeur qui intervient dans le pronostic de curabilité est l’antériorité de l’infection. Ainsi, lors de mammite clinique récente, la précocité du traitement est essentielle et l’examen bactériologique n’aura que peu d’intérêt, tandis que dans les cas d’infections plus anciennes, l’identification bactérienne est prioritaire avant toute tentative de traitement. Dans les cas où S. aureus ou Streptococcus uberis seraient mis en évidence, l’allongement de la durée du traitement est alors très indiqué.

Enfin, les mammites subcliniques guérissent généralement mal. Toutefois, au vu des demandes d’éleveurs, un traitement en lactation peut éventuellement être proposé, à condition qu’il soit ciblé (germe, âge de l’animal, nombre de quartiers atteints) pour envisager des chances raisonnables de guérison.

1 Poutrel et Fromageau 2008, Laumonnier et coll., 2010, Oliveira et coll., 2013.

2 Smith, 2010.

3 Jonk et coll. 2018

4 Cebra et coll. 1999, Wenz et coll. 2001, Laumonnier et coll. 2010.

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