L’art délicat du classement - La Semaine Vétérinaire n° 1779 du 28/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1779 du 28/09/2018

PALMARÈS INTERNATIONAL DES ÉCOLES

ACTU

Auteur(s) : RENAUD TISSIER 2

Depuis son apparition en 2003, le classement académique des universités mondiales par l’université Jiao Tong de Shanghai a profondément questionné l’organisation de l’enseignement supérieur et la recherche mondiale. Les systèmes d’évaluation se sont multipliés (classements dit de Shanghai, Times, QS, Leiden, U-Multirank, etc.), avec pour chacun un modèle et des objectifs différents et plus ou moins transparents. Éclairage.

L’un des outils d’évaluation les plus prégnants dans la plupart des classements est l’analyse des publications scientifiques produites par les personnels impliqués dans la recherche, une évaluation assez simple comparée à celle de la formation proposée aux étudiants. Les activités de recherche sont mises en valeur, alors que la qualité de la formation initiale et l’innovation pédagogique peinent à être reconnues. Loin de nous de dénigrer ces classements, notre propos ne vise qu’à donner les clés de leur lecture et de leur compréhension.

Des particularités de l’enseignement vétérinaire français

L’enseignement vétérinaire français, souvent en retrait dans ces classements, présente des particularités qui rendent cette reconnaissance difficile au regard du modèle anglo-saxon dominant, que les universités asiatiques ont fait leur. Dans la plupart des pays du monde, la formation et la recherche vétérinaires publiques sont dispensées dans des facultés vétérinaires sises dans des universités, là où la France a conservé une structuration en écoles rattachées à un ministère technique en charge de la santé et de la protection animales, ainsi que de la santé publique vétérinaire. Cela conduit à des établissements de tailles très différentes ; une école nationale vétérinaire est une entité de petite taille comparée à une université. Ainsi, les publications dans le domaine vétérinaire sous le sceau des quatre écoles vétérinaires ne correspondent pas à l’ensemble de la production scientifique française du domaine. D’autant que nos écoles sont elles-mêmes souvent de petites tailles comparativement aux facultés vétérinaires étrangères.

Une autre particularité française : la présence des grands organismes de recherche dont l’efficacité est internationalement reconnue et visible (CNRS, Inra, Inserm1, etc.). Là où, dans le modèle dominant, la politique scientifique est centrée sur les universités et la production valorisée directement dans les classements, les universités et les grandes écoles françaises interviennent dans le dispositif de recherche dans un second plan. Une école vétérinaire française percevra très peu de moyens financiers, directement, pour mener des recherches et elle cherchera à s’appuyer sur ces grands organismes pour structurer ces activités. La conséquence en est évidente : un enseignant-chercheur d’une école vétérinaire française sera porté à travailler sur les thématiques soutenues par ces organismes et aura plus de difficulté à étudier des sujets plus proches de la clinique des animaux de compagnie et de sports, non liés à l’élevage, à la santé publique ou à la médecine humaine.

À côté de cela, la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, puis des communautés d’universités et d’établissements, n’est pas étrangère au souhait de rassembler les établissements français sous une même “marque”, dont les chances de visibilité internationale seraient accrues. Néanmoins, les classements ne reconnaissent généralement que des établissements “juridiquement” autonomes et refusent le plus souvent de faire apparaître des regroupements “associatifs”, parfois conçus principalement dans cet objectif.

Des classements thématiques

Depuis les années 2010, des classements thématiques sont apparus (sciences vétérinaires, sciences agricoles, etc.) parallèlement au classement général des universités. Les établissements d’enseignement ou de recherche vétérinaires ont ainsi figuré dans deux des classements thématiques. Le premier d’entre eux est le classement QS, dans lequel aucune école vétérinaire française n’est présente puisque ses modalités favorisent les facultés au sein d’universités. On peut d’ailleurs noter que certains établissements y sont entrés alors qu’ils ne forment pas de vétérinaire, montrant certaines incohérences dans le système de classement. Le second classement propre aux sciences vétérinaires est le classement “thématique” de Shanghai. Sa première apparition date de 2017, dans laquelle l’ENVA arrivait en 49e position, ainsi que l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT). En 2018, ces deux établissements étaient toujours présents dans le top 100, avec l’ENVT devant l’ENVA. L’université de Gant occupe la première position. Cela signifie-t-il que les vétérinaires formés en Belgique à Gant sont de meilleurs praticiens ? Cela n’est certainement pas le propos du classement, qui ne fait que classer la production scientifique dans le domaine des sciences vétérinaires. Par ailleurs, ce palmarès ne prend en compte que la production dans le domaine des sciences vétérinaires. Ainsi, toute publication dans d’autres domaines (médecine humaine, agronomie, biologie, etc) est exclue. Or, seuls 25 % de la production scientifique des écoles vétérinaires françaises concernent véritablement le domaine des sciences vétérinaires. Les relations structurantes et essentielles avec les organismes de recherche (CNRS, Inra, Inserm, etc.), ainsi que la structure de la recherche française avec des agences de financement (Agence nationale de la recherche, ANR) et d’évaluation (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, Hcéres) incitent les établissements à conduire des travaux répondant aux politiques publiques et aux attentes sociétales. Les travaux dans ce domaine ne dominent donc pas dans nos politiques scientifiques. Un axe de développement pourrait d’ailleurs être la création d’une fondation qui financerait les recherches spécifiquement vétérinaires. L’utilisation récurrente du concept One Health dans les recherches biomédicales (hors infectiologie) illustre d’ailleurs aussi notre volonté de faire ruisseler les avancées médicales vers le bien-être et la santé des animaux domestiques.

Ainsi, il est tout à fait possible qu’une école qui cherche à accroître la qualité de sa recherche, selon les critères d’évaluation actuels des unités de recherche en France, puisse sortir du classement de Shanghai. Un article dans la prestigieuse revue Nature est inutile dans ce classement, alors qu’il est bénéfique dans Equine Veterinary Research.

In fine, il convient de suivre ces classements avec intérêt et sens critique. Il serait malhonnête de signifier qu’ils n’impactent pas nos politiques.Néanmoins, il faut comprendre leur complexité sans céder à toute tentation de simplification. Les classements continueront à se multiplier, il conviendra de les analyser avec précaution, tout en acceptant l’idée qu’une évaluation, sous toute ses formes, est un élément structurant qui doit aider à améliorer les pratiques et la faculté de réponse aux attentes de notre société.

1 Centre national de la recherche scientifique , Institut national de la recherche agronomique, Institut national de la santé et de la recherche médicale.

2 Professeur à l’école vétérinaire d’Alfort.

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