Loi alimentation et agriculture : des points de clivage persistent - La Semaine Vétérinaire n° 1778 du 21/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1778 du 21/09/2018

LÉGISLATION

ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et de l’alimentation saine et durable, issu des États généraux de l’alimentation, a fait son grand retour le 12 septembre à l'Assemblée nationale, sur fond d'inquiétudes et d’attentes fortes des secteurs agricole et alimentaire.

Depuis la présentation, en janvier dernier, du projet de loi issu des États généraux de l’alimentation (EGA), les votes des projets de loi provisoires se sont enchaînés au sein des deux assemblées, avec l’adoption de certains amendements (encadré). Cependant, en juillet, les parlementaires n’étaient toujours pas parvenus à s’accorder sur un même texte de loi, c’est pourquoi une seconde lecture a débuté à l’Assemblée nationale le 3 juillet. Cette dernière a conduit à une nouvelle proposition de texte de loi, comportant de nouveaux amendements, votée par les 45 députés présents le 15 septembre. Quelques mesures concernent le bien-être animal, mais la plupart portent sur la rémunération des éleveurs, qui cristallise actuellement de fortes inquiétudes parmi les acteurs du monde agricole.

Un gouvernement intangible

En effet, selon les syndicats agricoles, le projet de loi actuel ne permet pas de garantir un revenu agricole correct, car l’État devrait intervenir dans la définition des indicateurs de prix. Or, comme l’a indiqué en conférence de presse, le 18 septembre, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, l’État maintient sa position. « Nous avons fait de belles avancées dans la construction législative, afin que, demain, les agriculteurs aient des outils solides à leur disposition pour dégager des prix corrects et vivre », a-t-il indiqué, ajoutant qu’il était maintenant de la « responsabilité des interprofessions de s’en servir et de s’accorder sur un consensus pour les indicateurs à utili ser ». Selon le ministre, « l’État est allé au bout de ce que l’on pouvait faire en droit », mais « le travail est en cours et progresse. Il reste des réglages à faire pour trouver un accord sur la pertinence des indicateurs (…), mais mon rôle est que les négociations réussissent ». Les organisations professionnelles agricoles ont dès lors précisé qu’elles resteraient vigilantes quant aux avancées de ces négociations. Seuls deux sujets ne font donc plus polémique à l’heure actuelle, car ils doivent faire l’objet d’ordonnance dans les trois mois suivants la loi : l’encadrement pour une période de deux ans du relèvement du seuil de revente à perte et celui des promotions.

De nouvelles mesures pour le bien-être animal

Concernant le volet bien-être animal du projet de loi, l’article 13 comporte plusieurs dispositions permettant de renforcer les outils de poursuite et de sanction des mauvais traitements aux animaux, dont certaines ont déjà été votées. Le délit de mauvais traitement exercé sur les animaux est ainsi étendu aux activités de transport et d’abattage, avec un doublement des sanctions pour les professionnels (un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende contre six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende actuellement). Les salariés qui signaleraient un manquement grave à la loi bénéficieront du statut de “lanceur d’alerte” leur permettant d’être protégés dès lors qu’ils signaleraient un délit de maltraitance. Les services de l’État pourront également engager des opérations de contrôles visant à la recherche spécifique de ce type d’infractions. En parallèle, le droit de se constituer partie civile a été donné à certaines associations de défense et de protection des animaux. Cette seconde relecture du texte de loi par les députés a aussi permis le vote de trois nouveaux amendements : l’interdiction, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, de la mise en production de tout bâtiment d’élevage (nouveau ou réaménagé) de poules pondeuses élevées en cage (amendement n° 957–39), un amendement (n° 837) concernant les couvoirs industriels et un dernier (n° 937) portant sur les conditions de transport des animaux depuis le territoire national à destination des pays membres et des pays tiers de l’Union européenne (UE). En effet, 90 millions de poussins sont produits actuellement en France chaque année en couvoirs industriels, afin de sélectionner des poules de races pondeuses (amendement n° 837). Or, un arrêté1 autorise qu’à l’éclosion les poussins mâles soient broyés vivants (50 millions par an). Ce procédé n’étant actuellement plus éthiquement acceptable ni rentable, le texte prévoit de financer des recherches permettant de sexer les œufs2 et donc de les détruire avant leur éclosion. De même, alors que la Cour de justice de l’UE a confirmé3 que la législation européenne s’applique aux animaux exportés même une fois les frontières de l’espace européen franchies, de nombreux manquements persistent aujourd’hui (12,6 % des bovins français exportés contre 8,3 % en Europe4). Encore récemment, fin juillet 2018, plus de 50 bovins d’origine française sont restés enfermés dans un camion pendant 10 jours à la frontière turque. L’amendement voté prévoit donc de renforcer cette surveillance. Autre mesure présente dans le projet de loi initial : la mise en place d’une vidéosurveillance obligatoire en abattoir. Pour le moment, seule son expérimentation a été actée et le ministre a indiqué, le 18 septembre, « avancer encore actuellement avec les professionnels du secteur pour [la] mettre en place ». De même, l’expérimentation de dispositifs d’abattoirs mobiles pour identifier les éventuelles difficultés d’application de la réglementation européenne (viabilité économique et impact sur le bien-être animal) est prévue pour une durée de quatre ans.

Dernière étape, le rejet du dernier projet de loi par les sénateurs, le 25 septembre, qui déplorent « des désaccords profonds sur le fond et sur la méthode » avec le gouvernement, notamment sur le revenu agricole. Il restera donc maintenant au Conseil constitutionnel d’évaluer les différents amendements proposés et de trancher sur un texte de loi définitif.

1 L’arrêté du 12/12/1997 autorise l’utilisation de ces dispositifs mécaniques de broyage.

2 Travaux de recherche de l’université de Leipzig (Allemagne).

3 Arrêt du 23/4/2015.

4 Taux de lots de bovins exportés présentant des non-conformités en matière de bien-être des animaux (direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne en 2016).

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