Un appel pour une transition agroécologique - La Semaine Vétérinaire n° 1777 du 14/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1777 du 14/09/2018

AGRICULTURE

ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Le projet Tyfa, piloté par l’Institut du développement durable et des relations internationales, démontre qu’un système agroécologique est techniquement viable pour nourrir les Européens. Le scénario, qui repose sur la prise en compte simultanée des enjeux de santé publique, de biodiversité et climatique, impliquerait une baisse des productions végétale et animale.

Comment nourrir l’Europe de manière saine, tout en préservant l’environnement ? C’est la question à laquelle répond le think tank Iddri, Institut du développement durable et des relations internationales. Le 18 septembre, ce dernier publiait les résultats du projet Tyfa1 (Ten years for agroecology in Europe), qui a testé la viabilité agronomique d’un système agroécologique à l’échelle européenne, nourrissant la population tout en protégeant la santé du consommateur, le climat, la biodiversité et l’environnement. Ainsi, dans le scénario proposé, l’agriculture européenne de 2050 n’emploie ni pesticides ni engrais chimiques ; les prairies naturelles, couverts végétaux (haies, arbres, etc.) et autres installations agroécologiques parsèment les paysages ; et l’Européen consomme moins de produits d’origine animale, au profit des fruits et légumes. Utopie ? Pas selon l’étude, qui confirme la faisabilité du modèle. La performance écologique et la sécurité alimentaire s’accompagnant d’une baisse de 30 % de la production végétale et de 46 % des produits animaux, tout en maintenant des capacités d’exportation des céréales, des produits laitiers et du vin. « Tyfa dresse un projet pour l’agriculture de demain, que l’on pourrait mettre en place à l’échelle d’une génération. Il a finalement une ambition, sinon un contenu, similaire a ce qui avait été fait au milieu des années 1940 », explique Xavier Poux, chercheur au bureau d’études AScA (Applications des sciences de l’action) et associé à l’Iddri pour cette étude.

L’élevage extensif, une hypothèse clé du scénario

Parmi les postulats de départ, l’élevage extensif des ruminants prédomine. Plusieurs raisons à cela. Les prairies permanentes extensives aident à la préservation de la biodiversité. De plus, elles participent au « rebouclage territorial du cycle de l’azote », en évitant l’emploi d’apports azotés minéraux de synthèse. Ainsi, l’élevage ruminant extensif permet-il « les transferts de fertilité », via le fumier. Le stockage de carbone n’est pas en reste, puisque les prairies permanentes sont maintenues. En outre, ce postulat s’inscrit dans la volonté de « reconquête de l’autonomie protéique européenne associée à un arrêt des importations de protéines végétales ». Comme le souligne le rapport, ces importations pour l’alimentation animale représentaient, en 2008, 44 % de la déforestation importée dans l’Union européenne. Avec pour conséquence, des pertes de biodiversité et des émissions de gaz à effet de serre. Enfin, l’alimentation à l’herbe augmente la teneur en oméga 3 du lait et de la viande, au bénéfice de la santé humaine. En parallèle, les élevages de monogastriques sont décrits comme des « variables d’ajustement ». « Il faut être conscient que l’essor des élevages de volailles et de porcs va de pair avec l’intensification céréalière et l’importation de soja, gros consommateurs de fertilisants de synthèse et de pesticides », souligne Xavier Poux. Incompatible donc avec le scénario, d’autant plus que restreindre ce cheptel permettrait par la même occasion de limiter la « compétition feed/food » 2.

Produire une alimentation et des emplois durables

Face à la croissance démographique, l’Organisation des Nations-Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) recommande d’adopter le principe de la sustainable intensification ou intensification durable. Il s’agit de « produire plus avec moins », en optimisant l’utilisation et la gestion des ressources et des intrants. Une vision en totale opposition avec celle du projet Tyfa, dans lequel les auteurs dénoncent « les dynamiques d’agrandissement, de concentration et de spécialisation des exploitations », associées au principe d’intensification durable : « On constate qu’elles sont une cause majeure de la dégradation de la biodiversité et des paysages agricoles ». De plus, les auteurs notent que cette politique « laisse d’autres questions ouvertes sur le volet socio-économique quant à l’intensité en emplois et en capital de l’agriculture ou encore sa résilience économique ». Mais la baisse finale de la production animale ne signifierait-elle pas moins d’éleveurs ? « Notez que l’intensification des élevages n’est pas favorable en matière d’emplois. Les facteurs en sont connus : augmentation de la productivité par une substitution du travail par de l’équipement et course sans fin à la recherche d’économie d’échelle, précise le chercheur. Donc statistiquement, il n’y a pas de preuve scientifique du lien entre volume de production et emplois, c’est plutôt l’inverse que l’on constate ».

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2 Actuellement, près de 60 % des céréales et 70 % des oléagineux disponibles en Europe sont utilisés pour nourrir les animaux.

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