La f in annoncée de l’antibioprévention - La Semaine Vétérinaire n° 1777 du 14/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1777 du 14/09/2018

MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Après les antibiotiques critiques, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) recommande notamment la sortie des antibiotiques classiques du volet “prévention” du protocole de soins.

La fin de l’antibioprévention est-elle annoncée ? Il s’agit en tout cas d’un sujet qui mobilise les acteurs publics depuis quelques années, tant sur le plan européen que national. Le dernier épisode en date est certainement l’étude1 d’impact publiée le 12 septembre par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur la prescription des antibiotiques critiques. Dans ce rapport, l’autorité administrative revient en détail sur le contenu de la réglementation mise en place en 2016 sur ces produits et fait un point sur son efficacité. Le CGAAER reconnaît, chiffre du premier plan ÉcoAntibio à l’appui, que la profession a significativement modifié ses pratiques. « L’observation des pratiques montre que l’usage préventif des antibiotiques critiques est aujourd’hui quasiment abandonné, notamment chez les animaux de rente », indique le conseil. Une occasion aussi pour le CGAAER de revenir sur les mesures qui méritent encore d’être approfondies, autrement dit celles dont le bilan est mitigé. Il fait d’ailleurs des recommandations pour maintenir l’efficacité du dispositif mis en place. La première d’entre elles vise à exclure la prescription d’antibiotiques du volet “prévention” du protocole de soins. « Pour assurer la cohérence du dispositif réglementaire, il conviendrait au plan français d’exclure tous les antibiotiques du volet “prévention” du protocole de soins », souligne l’autorité administrative. Un débat qui ne date pas d’hier. La mesure 17 du second plan ÉcoAntibio engage d’ailleurs une réflexion à ce sujet. Le décret de 2007 sur la prescription hors examen clinique devrait être modifié en ce sens.

Un manque de cohérence réglementaire

En 2014, dans un de ses avis2, l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) recommandait d’« abandonner l’usage des antibiotiques en prévention », et ce chez toutes les espèces. Cette recommandation a notamment eu pour effet le retrait des antibiotiques de la liste dite “positive” des médicaments accessibles aux groupements agréés. Quatre ans plus tard, c’est le CGAAER qui préconise de faire disparaître les antibiotiques du volet “prévention” du protocole de soins (R1). Serait-ce la suite logique ? Concrètement, il s’agirait d’interdire le recours aux antibiotiques classiques dans ce cadre. Selon les constats de l’autorité administrative, ce changement ne devrait pas soulever de difficultés quant à son application. Elle note en effet qu’entre les années 2000 et 2010 les antibiotiques critiques étaient régulièrement utilisés en prévention, même sur des animaux sains. C’était notamment le cas au cours des interventions chirurgicales tant sur les animaux de rente que sur les chevaux et les carnivores domestiques. Aujourd’hui, elle constate que l’usage des antibiotiques critiques à titre préventif a presque disparu. Face à cette évolution de la réglementation, les praticiens auraient pu se tourner vers des antibiotiques classiques en remplacement des critiques. Mais le CGAAER relève que ces pratiques ne sont pas la règle générale, plutôt une exception. Dans ce contexte, il souligne le manque de cohérence réglementaire lié à la présence d’antibiotiques dans le volet “prévention” du protocole de soins. Le maintien des antibiotiques dans ce cas ne serait donc plus justifié. « Cette situation vide l’arrêté du 19 décembre 2014 3 d’une grande partie de son efficacité », souligne l’autorité administrative.

Des alternatives possibles…

Selon le CGAAER, il s’agit d’une évolution réglementaire à laquelle la profession s’est préparée. Les vétérinaires seraient donc prêts à digérer ce changement. L’action 17 du second plan ÉcoAntibio pose d’ailleurs le cadre de cette révision : « Sur la base d’une phase de consultation des parties prenantes, étudier l’opportunité et les adaptations souhaitables des conditions de prescription des antibiotiques dans les protocoles de soins. L’étude d’impact et la phase de consultation prendront en compte les spécificités de chaque filière. Le cas échéant, faire évoluer le cadre réglementaire. » Il n’y a pas que les orientations du plan ÉcoAntibio 2 qui préparent le terrain. Pour le CGAAER, les organisations professionnelles agricoles et vétérinaires se sont largement investies dans la mise au point de méthodes de prévention alternatives au recours aux antibiotiques. Le conseil cite d’ailleurs « des méthodes très diverses de prophylaxie médicale et/ou sanitaire » qui ont été développées au cours des 20 dernières années pour limiter ou éviter le recours à l’usage des antibiotiques critiques ou classiques. Parmi celles-ci, le rapport cite la vaccination, « le recours à des produits stimulant potentiellement les défenses de l’animal (vitamines, huiles essentielles, etc.) », les mesures de biosécurité, la maîtrise des conditions d’ambiance de l’élevage, la limitation du stress lié au sevrage des animaux et à leur transport ou encore la génétique.

… mais aussi des freins

Toutefois, des freins importants peuvent compliquer la tâche des vétérinaires. Le rapport cite, entre autres, la difficulté à mesurer l’impact réel des campagnes de vaccination, lancées dans le cadre du plan ÉcoAntibio, “Nourri, logé, vacciné” et “L’éleveur, vaccin’acteur de son troupeau”. « À ce jour, il n’a pas été établi de bilan de l’impact de ces opérations en matière de taux de couverture vaccinale chez les animaux », note le CGAAER. Autres facteurs qui pourraient décourager les vétérinaires et les éleveurs : le coût et la disponibilité des vaccins. Le coût élevé de certains produits est « un élément de poids dans la décision de l’éleveur dans le contexte de difficultés économiques récurrentes que connaît la quasi-totalité des filières de production », indique le rapport. Concernant la disponibilité des vaccins, l’autorité administrative déplore que certains produits commercialisés à l’étranger ne le soient pas en France. « C’est le cas, par exemple, d’un vaccin contre la rhodococcose du cheval qui est disponible aux États-Unis (…). On signale aussi l’existence d’un vaccin contre les mycoplasmoses chez le veau utilisé aux États-Unis et non commercialisé en France », précise le rapport. Il rappelle par ailleurs que les vétérinaires sont régulièrement confrontés à des ruptures d’approvisionnement en vaccins. Sur ce point, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) indique dans son rapport d’activité 2017 avoir élaboré, avec les fabricants de médicaments vétérinaires, les distributeurs en gros et les vétérinaires, une charte de bonnes pratiques de gestion des ruptures d’approvisionnement d’un médicament vétérinaire. Cette charte, qui devrait être déployée en 2018, a pour but d’améliorer la communication sur les ruptures critiques avérées et la gestion des stocks. Le rapport du CGAAER préconise par ailleurs aux pouvoirs publics de défendre au niveau communautaire l’intérêt de la promotion de la vaccination des animaux par l’intermédiaire de la publicité destinée aux éleveurs (R2). à noter qu’au niveau national un amendement adopté par l’Assemblée nationale dans le cadre des discussions sur la loi alimentation prévoit d’autoriser la publicité pour les vaccins vétérinaires à destination des éleveurs dans les publications qui leur sont destinées.

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2 Avis de l’Anses rendu en avril 2014 relatif aux risques d’émergence d’antibiorésistance liés aux modes d’utilisation des antibiotiques dans le domaine de la santé animale.

3 Arrêté du 19 décembre 2014 modifiant l’arrêté du 28 juin 2011 fixant la liste des médicaments vétérinaires prévue au deuxième alinéa de l’article R.5143-6 du Code de la santé publique.

LES AUTRES RECOMMANDATIONS DU CGAAER


• R3. Les organisations professionnelles vétérinaires doivent prendre les initiatives permettant au vétérinaire prescripteur d’avoir accès à l’ensemble des données technico-sanitaires de l’élevage.


• R4. Dans un délai qui ne devrait pas excéder deux ans, les filières devront mettre à disposition des éleveurs des références détaillant par espèce animale et par type de production l’utilisation des antibiotiques et fixant des objectifs quantitatifs de réduction de cette utilisation avec une priorité réservée aux antibiotiques critiques.


• R5. Les organisations techniques vétérinaires doivent achever la mise à jour des guides de bonne pratique, fiches techniques, schémas thérapeutiques et autres documents techniques en y intégrant les obligations relatives à la prescription d’antibiotiques critiques établies par le décret du 16 mars 2016 et l’arrêté du 18 mars 2016.


• R6. La Direction générale de l’alimentation doit apporter un soin tout particulier à la formation et à l’encadrement technique des personnels en charge des contrôles préalablement à la conduite de procédures administratives et/ou judiciaires.


• R7. Le ministère de l’Agriculture doit multiplier les initiatives visant à valoriser à l’international l’effort de réduction de l’usage des antibiotiques critiques de l’élevage français et à faire adopter des démarches comparables dans les pays de l’Union européenne.


• R8. Un partenariat entre les instituts techniques des filières animales et les organisations techniques vétérinaires doit être mis en place dans l’objectif de créer un observatoire technico-économique des pratiques sanitaires des élevages dont l’objet serait notamment le recueil et l’analyse des données relatives à l’usage des antibiotiques.
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