Une fleur connectée pour pister les abeilles - La Semaine Vétérinaire n° 1776 du 07/09/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1776 du 07/09/2018

NOUVELLES TECHNOLOGIES

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL 

Éthologue au centre de recherche sur la cognition animale à l’université de Toulouse, Mathieu Lihoreau a mis au point une fleur connectée destinée à décrypter les comportements de butinage des insectes pollinisateurs.

Malgré plusieurs millénaires de domestication et plus d’un siècle de recherches sur le comportement et la cognition des abeilles, on connaît très mal leur façon de sélectionner les fleurs disponibles dans leur environnement et les déplacements de l’une à l’autre », explique Mathieu Lihoreau, éthologue au centre de recherche sur la cognition animale à l’université de Toulouse Paul-Sabatier. Or, pour lui, ces données pourraient apporter une contribution à la compréhension du déclin des abeilles. « Si l’on sait qu’une abeille peut parcourir jusqu’à 10 km, on ignore leurs critères de choix. Pour y remédier, on avait donc besoin d’un outil nourrissier automatisé », explique le chercheur. Sollicité il y a deux ans par le lycée Julliot-de-la-Morandière de Granville, en Normandie, pour aider à un projet de ruche connectée, il convainc le corps enseignant d’abandonner l’idée, déjà très convoitée, au profit de la fleur connectée. Enseignants et lycéens acceptent le deal. Le chercheur leur fournit un cahier des charges, les esquisses et les objectifs du produit final, et vient présenter ses travaux.

Équiper les abeilles

Soutenus par la fondation Dassault Systèmes, les lycéens ont pu financer l’acquisition d’une imprimante 3D, du logiciel de conception assistée par ordinateur en 3D SolidWorks, d’une caméra et le matériel nécessaire à la réalisation du prototype. Le principe consiste, d’un côté, à attirer les abeilles en diffusant des nectars et des pollens, et de l’autre, à poser sur le dos de l’insecte, un code barre, genre QR code, qui peut être lu et identifié par une mini-caméra. « Par mesure de sécurité envers les lycéens, on a préféré “tagger” une trentaine de bourdons terrestres, des abeilles sauvages moins agressives que les abeilles domestiques », explique-t-il. Ainsi identifiées les abeilles peuvent être suivies d’une fleur à l’autre. « On a les temps de départ, les temps d’arrivées, les lieux de butinage… », se félicite Mathieu Lihoreau.

Mesurer le véritable impact des monocultures

« On parle beaucoup des effets des monocultures sur la malnutrition, or, pour l’instant, on ne possède pas vraiment de preuve tangible, affirme ce spécialiste, par ailleurs engagé dans le cadre du programme européen EuroFrelon, qui met à contribution des amateurs pour multiplier les sources d’observations du frelon asiatique. Imaginez quand vous aurez une centaine de fleurs connectées, sur lesquelles, on va pouvoir faire varier les paramètres de couleur, de forme, changer les parfums, les types de pollens et de nectars, modifier l’effet visuel, la disposition spatiale, la qualité nutritionnelle, etc. Une fois lancée, la récolte et l’exploitation des données, à l’échelle individuelle et collective, pourraient aller très vite et j’espère que nous pourrons obtenir des résultats dans un an. » Et de rajouter : « Mieux comprendre les comportements de base des abeilles va nous aider à appréhender leur déclin. » Estimée à 200 €, la production du prototype doit être revue à la baisse et le process optimisé pour permettre une industrialisation et l’installation de champs de fleurs connectées. Ce projet pourrait nécessiter un budget de 300 000 €. « Nous cherchons des financements et à nous rapprocher des entreprises de l’Internet des objets pour voir ce qui est possible. La fleur connectée peut, peut-être, permettre de faire sauter des verrous technologiques. Ce serait dommage, en tout cas, que le prototype vieillisse dans une armoire », souligne le chercheur.

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