Pourquoi y a-t-il du turnover dans les cliniques ? - La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018

MANAGEMENT

ÉCO GESTION

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD 

Sur un marché du travail caractérisé par la difficulté à recruter de nouveaux vétérinaires, les entreprises ont tout intérêt à fidéliser au maximum leur personnel. Et à se poser les bonnes questions en cas de turnover trop élevé…

Si t’es pas content dans ton bassin d’emploi, tu en changes, sinon, ta vie, elle va être pourrie ! » Ce propos, tenu par un jeune dans le cadre d’un salon étudiant, lance d’emblée le débat sur le turnover : phénomène de société, mal nécessaire, ou encore, situation “normale” d’un marché du travail dynamique ? En fait, tout dépend de son niveau et de ses circonstances explicatives. Selon le dernier baromètre régional de l’Observatoire des métiers des professions libérales (OMPL), en Île-de-France, ce turnover est en tout cas très élevé pour les avocats, les architectes mais aussi pour les vétérinaires. Ce sont en effet les cabinets vétérinaires qui ont le taux francilien le plus élevé, à 24,22 %. Soit quatre points de plus que le taux national pour la profession vétérinaire, et près de neuf points de plus que le turnover national, toutes branches professionnelles de l’OMPL confondues !

Un tour d’Île-de-France pour les jeunes

« Ce chiffe ne me surprend pas, analyse Charles Johannsen, actuellement praticien dans les Hauts-de-Seine. A ma sortie de l’école vétérinaire, j’ai d’abord recherché un poste à temps plein en Île-de-France. Mais comme la région est attractive, si l’on a peu d’expérience, pas de formation en plus (en internat ou en assistanat), on trouve soit des temps partiels, soit des gardes, dont certaines sont uniquement en soirées. Et plus on se rapproche du centre-ville de Paris, plus la concurrence est forte ! D’ailleurs, j’ai pu constater que les autres étudiants de l’école bougeaient pas mal aussi. Cer tains ont même fait, non pas un tour de France, mais un tour d’Île-de-France ! »

Quand ce « nomadisme » prend-il généralement fin ? « Cela dépend des caractères, poursuit Charles Johannsen. Mais souvent, au bout de cinq ans, beaucoup ont envie de se stabiliser dans une clinique, en retrouvant des horaires habituels de clientèle, durant la journée. » C’est le cas de ce praticien qui travaille depuis trois ans et demi à Colombes (92) où il est même en phase d’association. « Je suis en train de m’apercevoir de ce que le turnover représente aussi comme tension potentielle dans une structure vétérinaire ! Mes futurs associés viennent en effet de me déléguer le côté recrutement. C’est un peu angoissant de se dire qu’il ne faut pas avoir de “trou” dans le personnel, car autrement, cela se répercuterait sur les activités des autres vétérinaires. Qui seraient alors obligés de prendre moins de repos ou moins de vacances. »

Fidéliser grâce à un management de proximité

« Le plus difficile pour nous, ce n’est pas de pérenniser les emplois, mais bien de recruter !, analyse pour sa part Émilie Beciani, directrice des ressources humaines au groupe Mon Véto. Nous avons une trentaine de cliniques, dont une dizaine en Île-de-France. Les autres sont en Bretagne, en Haute et en Basse-Normandie. » Quel est le niveau de turnover du groupe ? « Il reste bas, aux alentours de 5 %. Ce turnover est un peu plus important en province, notamment en raison des gardes et des astreintes à effectuer. Pour fidéliser nos collaborateurs, nous avons mis en place des procédures. Cela passe d’abord par un management de proximité : nos cliniques sont organisées en grappes. Comme elles sont proches les unes des autres, nous favorisons des réunions entre elles, des échanges d’expérience entre salariés, ainsi que des offres de formation en interne. Et puis, dans chaque clinique, il y a un responsable et dans chaque région, il y a un directeur régional. Car pour garder ses salariés, il faut être à leur écoute quotidienne, pour résoudre leurs possibles frustrations et leur donner des réponses rapides ! Souvent, quand un vétérinaire fait la démarche de se plaindre, c’est déjà trop tard… Et il lui est généralement très facile d’être recruté ailleurs. »

Que faire contre le turnover ?

Qu’est-ce qui, à l’inverse, donne envie de demeurer dans une clinique ? D’après Charles Johannsen, « il y a effectivement des régions plus attractives que d’autres… On s’investit davantage dans une clinique aérée, possédant du matériel récent, où il n’y a pas trop de gardes. Et où l’ambiance entre associés, salariés, ASV est convenable. S’il n’est pas possible de dialoguer, de s’épanouir, c’est là que le turnover s’installe ».

Sortie de l’Ecole vétérinaire d’Alfort (ENVA, dans le Val-de-Marne) en 2012, Sandra Marsac s’est pour sa part « stabilisée » en canine à Montfermeil (93). Elle pense que les jeunes générations « sont davantage en attente de méthodes de management de la part de leurs employeurs. C’est dynamisant si l’on a des objectifs de fixés. La récompense, ce peut être une prime. Mais pourquoi pas aussi l’offre d’un repas à l’ensemble de l’équipe, au restaurant, si un objectif collectif est atteint ? Ou bien une participation à un escape game, un jeu ludique au cours duquel on doit communiquer… ».

« Il faut parfois savoir créer des occasions pour récompenser ou souder son équipe, renchérit François Dommanget, membre du Groupe d’étude et de recherche en management (GERM). En organisant un atelier cuisine ou un week-end dans un zoo, par exemple. Ce peut être plus simplement un goûter lors d’un anniversaire. Les jeunes générations revendiquent plus que leurs aînés la volonté d’être heureux dans leur travail. Pour ceux de la génération Z, nés après 1995, qui commencent tout juste sur le marché du travail, on sait déjà qu’ils sont davantage “zappeurs”, plus fonceurs, quelque part aussi plus entrepreneurs. Mais ils hésitent aussi moins à changer d’employeurs ou même de domaine d’activité. » Le turnover, subi ou voulu, véritable phénomène de société, n’a sûrement pas fini de faire parler de lui…

PORTRAIT DU PATRON VÉTÉRINAIRE « IDÉAL »

« J’attends d’un patron d’être reconnue pour le travail que je lui donne. De me sentir intégrée aux projets de l’équipe. D’avoir une marge de progression dans la structure. De pouvoir ponctuellement profiter d’une organisation de travail un peu souple. Que l’on respecte aussi ma façon propre de pratiquer. Et que l’équipe suive des formations, de manière à ne pas pratiquer comme au Moyen Âge ! »
Quant au boss idéal, qui forcément n’existe pas, il montre le chemin à suivre, c’est un compagnon un peu « protecteur » de formation sur le terrain : « Il sait dialoguer, et recadrer intelligemment l’équipe quand il le faut. En cas de problème avec un client, il reste solidaire de ses employés. Le patron idéal sait aussi “donner des ailes”, en laissant une part d’autonomie, en faisant confiance. Il montre le bon exemple, sans tomber dans une hiérarchie trop autoritaire. Il règne dans la clinique une bonne ambiance, avec une solidarité, une cohérence dans le travail, qui passe par une même manière de s’organiser et de travailler médicalement parlant. Surtout, on évite les “on-dit”, les bruits de couloir, en étant dans une vérité des échanges ».
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