Activités accessoires : un périmètre spécifique - La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1773 du 24/08/2018

DOSSIER

Le vétérinaire n’est pas un commerçant. Mais il lui est possible, sous certaines conditions, d’effectuer de la vente et du conseil accessoirement à son activité de médecine ou de chirurgie des animaux. La doctrine ordinale et la jurisprudence en ont précisé les contours.

L’article R.242-33-XVIII du Code de déontologie cite de nombreux devoirs et obligations du vétérinaire. Parmi ses dispositions : « Le vétérinaire ne peut pratiquer sa profession comme un commerce, ni privilégier son propre intérêt par rapport à celui de ses clients, ou des animaux qu’il traite. » Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), rappelle à ce sujet que « l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux est une activité libérale réglementée, par nature civile, elle ne peut pas être assimilée à une activité commerciale ni s’exercer à la façon d’une activité commerciale », avant de souligner que « la santé, y compris celle de l’animal, n’est pas un bien marchand. » Il est aussi expressément interdit au vétérinaire de faire du courtage en matière de commerce d’animaux et toute intermédiation d’assurance. Dans ces deux cas, il ne peut faire office d’intermédiaire contre rémunération. Mais cette interdiction est-elle absolue ? À y regarder de plus près, le Code de déontologie prévoit des exceptions. Le vétérinaire peut, dans certains cas, effectuer des activités commerciales1. Mais le lieu où elles sont exercées a son importance. L’article R.242-62 du même code interdit en effet toute activité commerciale sur le lieu d’exercice, à l’exception de certaines activités2. Paradoxalement, ces quelques dérogations peuvent par définition être considérées comme des actes de commerce, mais le Code de déontologie ne les définit pas comme tels. Qu’est-il alors possible de faire ou de ne pas faire ? Quelles sont les activités autorisées ? Ce dossier présente les apports de la doctrine et de la jurisprudence dans ce domaine.

À l’origine, l’interdiction ?

Il y a les activités autorisées et celles interdites. Selon les dispositions du Code de déontologie, un vétérinaire peut exercer une autre activité en plus de son exercice professionnel, mais celle-ci doit être compatible, d’une part, avec la réglementation et, d’autre part, avec l’indépendance et la dignité professionnelle. Un vétérinaire passionné par la photographie ou encore la pâtisserie peut être photographe ou pâtissier en plus de son exercice professionnel. Mais à condition que ces activités ne soient pas faites sur son lieu d’exercice et qu’elles n’entrent pas en conflit avec ses devoirs déontologiques, notamment en lui fournissant des moyens de concurrence déloyale vis-à-vis de ses confrères. Et puis, il y a aussi ce que le Code de déontologie considère comme des activités accessoires. Il n’est pas toujours évident pour un vétérinaire de distinguer ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire lorsqu’il s’agit d’effectuer ces activités. Les plus prudents appliqueront à la lettre les dispositions du Code de déontologie à ce sujet. Le législateur a posé un cadre strict à travers les dispositions de l’article R.242-62 du même code. Pour rappel, il cite parmi les activités accessoires autorisées : l’hospitalisation, la délivrance des médicaments, des aliments physiologiques ou diététiques et, d’une façon générale, celle des produits, matériels et services en rapport avec l’exercice de la médecine vétérinaire. Ces activités sont autorisées, car elles sont accessoires à l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux. Dans les faits, il s’agit d’actes de commerce admis au sein du lieu d’exercice, mais que le Code de déontologie ne considère pas comme tels. Le CNOV, à travers sa doctrine, a donné à ses dispositions une réalité concrète pour le vétérinaire.

Une activité par essence civile

Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) souligne que l’activité vétérinaire est par essence civile. « Le contrat de soins tel que défini par la jurisprudence consiste pour le vétérinaire à “donner des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et de la technique”. La recherche de rentabilité du professionnel libéral doit être modérée par sa formation, son expérience et sa responsabilité professionnelle et déontologique », indique le CNOV. Il rappelle toutefois qu’il est permis à un vétérinaire d’effectuer des actes de commerce tels que prévus à l’article R.242-62 à condition qu’ils restent accessoires à l’activité principale du vétérinaire qui est l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux. En effet, le vétérinaire est amené à effectuer, dans le cadre de son activité libérale, des actes de commerce par nature tels que l’achat d’aliments pour les revendre. « Ces actes de commerce ne font pas pour autant du vétérinaire un commerçant, car ces actes sont l’accessoire de l’activité libérale, qui par essence est civile. Les vétérinaires peuvent vendre des aliments ou produits à leurs clients dès lors que cette activité reste bien l’accessoire de l’activité du vétérinaire qui est l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux. Il ne faut donc pas que cette activité devienne le cœur de l’activité du vétérinaire : par exemple, un site internet professionnel d’un vétérinaire peut comporter une partie “boutique” , mais celle-ci ne doit pas être la page d’accueil du site. De la même manière, un vétérinaire ne peut pas installer, par exemple, un cabinet vétérinaire dans une structure commerciale », ajoute-t-il.

Le CNOV veille au grain

Le CNOV a d’ailleurs été amené à se prononcer sur la définition précise des activités dites accessoires. Une demande d’avis lui a en effet été soumise en décembre 2017 au sujet des sites de ventes en ligne. Dans quel cadre la vente de produits pour animaux via ces plateformes peut-elle être considérée comme une activité accessoire ? Le CNOV pose comme principe qu’il est permis aux vétérinaires de délivrer des aliments pour animaux dans la mesure où cette délivrance est une activité accessoire à l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux. Toutefois, il rappelle, dans un avis déontologique rendu en juin 2011, que « l’exception permettant de délivrer des services ou produits en rapport avec l’exercice de la médecine vétérinaire devait s’interpréter strictement. » Le CNOV considère que les ventes de produits pour animaux doivent « nécessairement être en rapport avec le bien-être physique ou psychique de l’animal ». Il pose de façon plus précise un principe doctrinal qui stipule dans quel cadre la délivrance d’aliments et de compléments alimentaires peut être considérée comme une activité accessoire selon les critères suivants :

- elle reste en lien avec une activité de médecine ou de chirurgie des animaux ;

- elle est exercée dans le cadre de l’activité vétérinaire (la gestion des marchandises est rattachée à l’exercice de l’activité vétérinaire) ;

- le vétérinaire n’est pas dépendant des revenus tirés de la délivrance d’aliments pour animaux.

L’Ordre ajoute que, dans le cadre d’un contrat de partenariat, les parties doivent s’assurer du caractère accessoire de la cession des produits à l’acte de soins. Pour ce faire, elles doivent acquérir la certitude que le contrat de partenariat prévoit le conseil au client sur l’achat des produits et qu’une obligation est faite au vétérinaire de refuser les commandes passées par des personnes qui ne sont pas ses clients. Sans ces dispositions, l’activité peut être qualifiée d’actes de commerce. En plus de ce cadre doctrinal, les juridictions administratives se sont prononcées à de nombreuses reprises sur le caractère accessoire ou non d’une activité effectuée par un vétérinaire.

Le juge administratif aussi

La jurisprudence a également permis de définir les contours des dispositions du Code de déontologie, comme le rappelle Isabelle Lucas-Baloup, avocate spécialisée dans le droit des professionnels de santé. « L’activité accessoire est autorisée dans le cadre défini par l’article R.242-62 du Code rural et de la pêche maritime, sinon elle est considérée comme une activité commerciale non autorisée », souligne-t-elle. Elle renvoie également à la jurisprudence dans ce domaine. Me Lucas-Baloup évoque notamment la vente de médicaments sur ordonnance considérée comme une activité accessoire par la cour administrative d’appel de Nantes dans son arrêt du 30 septembre 1997. « La profession de vétérinaire, outre les soins qu’il prodigue, fournit des médicaments à ses clients. Les ventes qui sont faites sur ordonnance doivent être regardées à la différence de celles réalisées en l’absence de toute prescription, comme ayant un caractère d’opérations accessoires nécessairement liées à l’activité non-commerciale de vétérinaire. » Dans un autre arrêt rendu le 18 mai 2006, la cour administrative d’appel de Lyon précise que cette vente doit être considérée comme accessoire, même si celle-ci est à l’origine de 95 % des recettes du vétérinaire3. À noter que si un vétérinaire peut proposer des produits sans autorisation de mise sur le marché (AMM) ou encore des antiparasitaires externes (APE), seules les activités exercées à titre accessoire sont admises. Ne serait donc pas dans les clous de la loi le praticien dont le site internet ferait la promotion, de façon « trop commerciale », de la vente d’APE. En revanche, rien ne lui interdit de présenter le travail de sa clinique ou encore des informations générales sur la réglementation, la profession, et d’ajouter, en complément, un onglet pour la vente de produits sans AMM. De son côté, le Conseil d’État a également été amené à se prononcer sur le caractère accessoire d’une activité effectuée par un vétérinaire. Dans un arrêt du 1er février 1989, l’autorité administrative a estimé que la vente de médicaments est une activité accessoire autorisée, bien que celle-ci s’effectue dans le cadre d’une mission de surveillance et de prophylaxie d’élevages industriels dans plusieurs départements. Par ailleurs, les missions qui relèvent d’un mandat sanitaire sont également logées à la même enseigne. La cour administrative de Nantes a en effet récemment rappelé, dans son arrêt du 21 juillet 2017, que le montant des rémunérations perçues par les vétérinaires libéraux au titre du mandat sanitaire revêt un caractère accessoire en sus de leurs activités libérales.

Les activités explicitement interdites

La jurisprudence a également donné des exemples d’activités accessoires, mais qui sont considérées comme commerciales. Il s’agit notamment de la vente de médicaments sans ordonnance, comme le rappelle la cour administrative de Nantes dans son arrêt du 30 septembre 1997. Il a également été dit que l’activité consistant à filmer une opération chirurgicale et à permettre de la visionner sur internet contre rémunération présente un caractère commercial. Cette jurisprudence émane d’un arrêt du Conseil d’État rendu le 23 septembre 2013. Dans cette affaire, une clinique vétérinaire équine avait proposé au propriétaire d’un cheval que l’intervention pratiquée sur son animal soit filmée. Une vidéo aurait ensuite été accessible pendant une durée de deux mois sur le site internet de la clinique. Il était également prévu que son visionnage soit payant. Les recettes accumulées seraient ensuite déduites du coût supporté par le propriétaire pendant la durée de l’hospitalisation du cheval, le surplus restant au bénéfice direct de la clinique. Au moment des faits, le CNOV avait considéré que cette pratique allait à l’encontre des principes déontologiques et avait porté l’affaire devant la justice administrative. Confirmant la décision ordinale, le Conseil d’État a indiqué dans sa décision que l’activité proposée revêt un caractère commercial, bien qu’une partie des recettes auraient été versée au propriétaire de l’animal, afin de lui permettre de financer l’opération chirurgicale pratiquée. Le juge administratif rappelle par ailleurs que cette activité ne peut être regardée comme étant en rapport avec les soins vétérinaires, ni avec la santé ou l’entretien des animaux.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1734 du 6/10/2017, pages 40-41.

2 bit.ly/2BTtlII.

3 bit.ly/2PHul5q.

CE QU’IL FAUT RETENIR


•Le vétérinaire n’est pas un commerçant.Le Code de déontologie est très clair : « Le vétérinaire ne peut pratiquer sa profession comme un commerce, ni privilégier son propre intérêt par rapport à celui de ses clients ou des animaux qu’il traite » (article R.242-33 XVIII). Le Code interdit formellement au praticien d’agir en commerçant. Cela signifie clairement qu’il ne doit pas entreprendre des démarches ou utiliser des moyens qui seraient attribués à un commerçant.

•Toutefois, le Code de déontologie autorise certaines activités considérées comme accessoires et non principales. Par conséquent, « la délivrance des aliments pour animaux visant des objectifs nutritionnels particuliers » est acceptée. Et, de façon générale, la vente « des produits, matériels et services en rapport avec l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux est autorisée en tant qu’elle constitue une activité accessoire à l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux ». Ainsi, ne sont pas considérées comme des activités commerciales, tant qu’elles ne sont pas exercées à titre principal, l’hospitalisation et la délivrance des aliments physiologiques ou diététiques. Tant qu’elle rêvet un caractère accessoire, la vente par le biais du site internet d’une clinique vétérinaire rentre bien dans le cadre des produits et services, sans pour autant être appréhendée comme une activité commerciale.

•Le Conseil national de l’Ordre (CNOV) insiste sur le lien entre l’activité accessoire et l’activité de médecine ou de chirurgie des animaux.

•Le vétérinaire n’est pas dépendant des revenus tirés de la délivrance d’aliments pour animaux.

CONSEILS

« Lorsque l’activité n’a pas un caractère prohibé et n’atteint pas l’image de la profession, le Conseil national de l’Ordre envoie d’abord en général une lettre d’avertissement. Dans ce cas, l’activité doit être arrêtée. Si, en revanche, le vétérinaire choisit de la poursuivre, il risque une suspension d’exercice. Il n’est pas judicieux de continuer l’activité visée malgré une alerte de l’Ordre. L’important est de savoir arrêter en temps voulu et d’apporter la preuve que l’activité a été arrêtée. En cas de doute sur la nature d’une activité, il est recommandé d’interroger l’Ordre. Il est à noter que la fin de l’activité se prouve par tous moyens. Il peut s’agir d’une lettre recommandée envoyée à un fournisseur qui précise que l’activité a été arrêtée. »
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