Précis de décomposition coloniale - La Semaine Vétérinaire n° 1771 du 06/07/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1771 du 06/07/2018

FILM

DITES-NOUS TOUT

Auteur(s) : MICHEL BERTROU 

Le goût des auteurs latino-américains pour transgresser les limites entre réalité et imaginaire donne à leurs récits une tonalité sensorielle qui leur est propre. Figure de proue du nouveau cinéma argentin, Lucrecia Martel adapte ici le roman1 d’Antonio di Benedetto et réalise une fresque minimaliste et magistrale qui, pour la citer, « va vers le passé avec la même irrévérence que nous allons vers le futur ». Dans un coin reculé du Paraguay à la fin du xviiie siècle, Diego de Zama, fonctionnaire de la Couronne espagnole, mène un quotidien désœuvré dans l’attente d’une mutation qui ne vient jamais. Entre ses rencontres officielles, le bordel et les berges du fleuve, le magistrat se morfond dans la frustration, au sein d’une absurde communauté coloniale aux habits éliminés et aux perruques ridicules. Consumé par l’attente, il rejoindra une expédition en quête d’un improbable bandit. Détournant le récit héroïque et viril de conquête, la cinéaste invente un réalisme à la torpeur subtilement étrange, très précisément détaillé, toujours surprenant. Le travail magnifique de l’image et de la bande-son, les ellipses, la violence hors champ, tout participe à une perte de repères qui nous fait partager l'état d’hébétude du personnage de plus en plus enlisé dans un espace-temps qui le dépasse. Un portrait existentiel halluciné qui questionne un monde désaccordé, entaché par le racisme, le sexisme et les rapports de classe et confirme un des plus brillants esprits du cinéma contemporain.

1 Zama (1956) a été publié en français en 2011 aux éditions Corti (collection “Ibériques”).

Zama de Lucrecia Martel, avec Daniel Giménez Cacho, Lola Dueñas, Matheus Ne, 1 h 55, sortie le 11 juillet.

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