Y a-t-il des alternatives aux néonicotinoïdes ? - La Semaine Vétérinaire n° 1770 du 29/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1770 du 29/06/2018

DÉCRYPTAGE

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : TANIT HALFON  

L’Anses a publié un rapport sur les alternatives possibles aux pesticides néonicotinoïdes. Dans 78 % des cas analysés, des alternatives non chimiques sont possibles, les plus efficaces étant la lutte biologique à l’aide de micro-organismes, la lutte physique et les médiateurs chimiques.

Le 19 mars 2016, en plein débat sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le ministère de l’Agriculture a saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour évaluer les bénéfices et les risques des alternatives aux néonicotinoïdes, et analyser les conséquences économiques de leur interdiction. Le rapport complet1, publié en mai 2018, comprend trois parties. Dans la première, l’agence a identifié, pour chaque usage autorisé des néonicotinoïdes, les alternatives possibles et a estimé l’efficacité de chacune d’entre elles. Dans une deuxième partie, l’Anses a déterminé, pour chaque usage des néonicotinoïdes et des alternatives chimiques, des indicateurs de risque pour la santé humaine et l’environnement, à des fins de comparaisons. Enfin, la troisième partie s’est focalisée sur l’impact économique d’une interdiction des néonicotinoïdes sur la production agricole et l’évaluation des risques d’apparition de résistance chez les organismes nuisibles aux cultures. Revue de détails des principales conclusions de l’agence.

Pour près de trois quarts des usages, des alternatives existent

L’agence a analysé 154 cas d’étude2 des néonicotinoïdes au 1e janvier 2018. Pour 71 % d’entre eux, des alternatives chimique et non chimique, efficaces et opérationnelles, existent. La seule alternative est chimique et non chimique dans respectivement 28 et 10 cas (18 et 6 % de l’ensemble d’entre eux). Pour six cas (4 %), aucune méthode alternative, chimique ou non chimique, n’est envisageable, notamment pour le maïs (traitement de semences, mouches) ou encore les arbres et arbustes (traitements des parties aériennes, ravageurs divers de type coléoptères). Une alternative non chimique est jugée suffisamment efficace si elle combine une note de magnitude d’efficacité et d’opérationnalité de 2 ou de 3 (note de 0 à 3). Le premier critère, qui correspond au « niveau d’efficacité », évalue « la capacité de la méthode à réduire l’intensité et/ou la fréquence des dégâts infligés par les organismes nuisibles ». Le deuxième critère reflète « le niveau de disponibilité d’une technique » sur le marché.

Des méthodes non chimiques limitées

Dans près de 80 % des cas, au moins une méthode non chimique efficace est disponible. Parmi les plus efficaces, l’agence a identifié la lutte à l’aide de micro-organismes (virus ou bactéries entomopathogènes), la lutte physique via l’application d’une couche protectrice sur les organes de plantes (huiles, argile, etc.), les pièges colorés et les collants sous abri, notamment contre les pucerons, les filets antimoustiques, ainsi que la lutte par médiateurs chimiques via les phéromones de synthèse, qui provoquent une confusion sexuelle, et la méthode “attract and kill” 3. Les méthodes culturales de lutte ne présentent pas, en moyenne, une efficacité suffisante, même en combinant plusieurs d’entre elles. La faible proportion d’alternatives non chimiques efficaces identifiées dans le rapport s’explique par le fait qu’un grand nombre d’entre elles sont encore à l’étude dans les instituts de recherche et techniques. De plus, plusieurs méthodes potentiellement efficaces sont exclues des alternatives, du fait d’une difficulté dans leur mise en application. Enfin, certaines méthodes, n’apparaissant pas disponibles à court terme à défaut de dossier en cours de demande d’autorisation de mise sur le marché ou d’inscription au catalogue des variétés améliorées, ont été également exclues de l’analyse.

Utiliser des alternatives chimiques n’est pas sans risque

Dans 138 cas (89 %), d’autres produits phytopharmaceutiques sont disponibles pour remplacer les néonicotinoïdes. Cependant, parmi ces cas, 21 % reposent sur une même famille de substances actives, et 17 % sur une seule substance active. De plus, dans les 28 cas où la seule alternative possible est chimique, 7 ne disposent que d’une seule substance active disponible. Une situation identifiée comme problématique par l’agence pour plusieurs raisons : possibilité de cessation de commercialisation ou d’interdiction des substances, et risque accru de développement de résistance chez les organismes nuisibles cibles et non cibles, notamment aux pyréthrinoïdes s’ils sont employés comme méthode alternative. Cela concerne, entre autres, les cultures ornementales (traitement su sol, mouches des racines et des bulbes) et les arbres et arbustes (traitements de parties aériennes, ravageurs divers types cicadelles, cercopidés et psylles). De plus, les alternatives chimiques apparaissent plus techniques à mettre en œuvre, et impliquent un plus grand nombre d’applications sur une année. Enfin, l’usage de produits à spectre étroit pourrait favoriser la réémergence d’organismes nuisibles auparavant contrôlés indirectement par les néonicotinoïdes.

Une comparaison des indicateurs de risque non concluante

L’Anses a défini trois types d’indicateurs de risque : deux pour la santé humaine, dont un lié à l’exposition non alimentaire et un lié à l’exposition alimentaire, et six pour l’environnement, à savoir pour les organismes aquatiques, les vers de terre, les oiseaux, les mammifères, les abeilles et les eaux souterraines. La comparaison des indicateurs de risque associés aux néonicotinoïdes par rapport à ceux associés aux alternatives chimiques n’a pas permis de mettre en évidence des substances ou familles de substances avec un profil global moins défavorable. À noter que la construction des indicateurs ne prenait pas en compte certaines sous-populations (opérateurs, travailleurs, résidents, enfants et adultes), tout comme le risque chronique pour le consommateur.

Des conséquences agricoles difficiles à évaluer

Caractériser l’impact sur l’activité agricole de l’interdiction des néonicotinoïdes est complexe, du fait, par exemple, de la difficulté d’anticiper l’évolution de la pression des organismes nuisibles, ou encore des données insuffisantes ou peu fiables sur les coûts des alternatives non chimiques. Pour autant, les auteurs tirent un certain nombre d’« enseignements » des pratiques en agriculture biologique et des conduites agroécologiques. Il apparaît d’abord difficile de prévoir l’évolution des populations des ravageurs. De plus, les combinaisons de techniques à effet partiel s’avèrent le plus efficaces, impliquant obligatoirement une remise en question de la conception des systèmes de culture. L’organisation spatiale des champs est aussi à repenser, avec notamment une réflexion sur la diversification des cultures et l’usage de plantes dites de services. Le risque d’un approvisionnement en aval plus fluctuant, avec des matières premières plus hétérogènes, est à prendre en considération. Enfin, plus d’efforts sur le suivi des organismes nuisibles est à prévoir.

Les auteurs soulignent que « lorsqu’une solution de substitution est immédiatement disponible (traitements insecticides à l’aide d’autres familles chimiques, par exemple), un report massif sur cette solution est à anticiper. » Ainsi, sur le court terme, ils évoquent une probable augmentation de l’emploi des substances de la famille des pyréthrinoïdes pour les parties aériennes des plantes.

1 Anses : bit.ly/2MWYEE6.

2 Un cas d’étude correspond à un usage spécifique des néonicotinoïdes pour un type de culture, un type d’organe traité (partie aérienne, semence, etc.) et un groupe d’organismes nuisibles/ravageurs ciblés.

3 Cette méthode associe un médiateur attractif et un insecticide.

QUELQUES LIMITES NOTABLES DU RAPPORT

- L’analyse ne s’est portée que sur les organismes nuisibles majeurs.
- Le coût n’a pas été intégré à l’évaluation des méthodes non alternatives.
- Par manque de temps, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) n’a pas analysé les combinaisons de méthodes alternatives (lutte intégrée).
- Pour les méthodes de lutte alternatives, l’agence n’a pris en compte que celles « jugées suffisamment efficaces et opérationnelles pour contribuer à une solution de substitution à l’usage des néonicotinoïdes à l’horizon 2018 ».

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr