Oniris : le dialogue peut-il reprendre entre la direction et ses détracteurs ? - La Semaine Vétérinaire n° 1770 du 29/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1770 du 29/06/2018

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE

ACTU

Vingt-deux enseignants-chercheurs ont démissionné à Oniris de leurs fonctions de responsables et une lettre de défiance à l’égard de la direction de l’école, envoyée au ministère de l’Agriculture, a recueilli 63 signatures (émanant de différentes catégories de personnel). Tout l’enjeu est maintenant de savoir comment sortir de ce conflit, apparemment préjudiciable à tous…

Une équipe de direction qui arbitre, c’est son rôle. Mais à Oniris, il y a, depuis environ deux ans, une manière de prendre les décisions qui ne sont pas les bonnes : nous avons le sentiment que les choix stratégiques ne sont pas argumentés, encore moins expliqués, et qu’ils ne correspondent pas à ce que nous pensons être une évolution souhaitable pour notre établissement ». Tel est le constat que dressent plusieurs membres du Collectif un avenir pour Oniris (CAO), qui regroupe une vingtaine d’enseignants-chercheurs (EC). Signe d’un profond malaise, ces représentants ont accepté de répondre aux questions de La Semaine Vétérinaire, à condition de pouvoir garder leur anonymat, car « des menaces de sanction planent sur eux ».

Démissions et courrier au ministère

Mais que se passe-t-il donc à Oniris, l’école nantaise (Loire-Atlantique), qui compte 116 enseignants-chercheurs et 1 080 étudiants (320 ingénieurs et 760 élèves vétérinaires) ? Petit retour sur les événements récents : courant avril, 22 EC, qui souvent cumulaient des positions dans différentes instances représentatives, ont envoyé leurs démissions de leurs postes de responsabilité (dans les départements des sciences cliniques et celui de biologie, pathologie et sciences de l’aliment), d’unités pédagogiques, d’unités d’enseignement, mais aussi au sein du conseil d’administration (CA), du conseil des enseignants, du conseil scientifique, du conseil de l’enseignement et de la vie étudiante (Ceve), etc. Ce qui représente, en cumulé, les démissions de près d’une soixantaine de fonctions.

Et, pour couronner le tout, un courrier de défiance à l’égard de la direction de l’école a également été envoyé au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, comportant 63 signatures (qui émanent principalement des EC, mais aussi d’une partie des personnels Iatos1 et de quelques personnes dépendant de la filière des ingénieurs). Quant aux élus représentant les étudiants (qui souhaitent eux aussi rester anonymes…), ils ont également tous démissionné (du CA et du Ceve). Ils ont aussi signé, en parallèle, un autre courrier pour souligner leur « inquiétude grandissante sur la situation et l’évolution d’Oniris ».

Les principales doléances exprimées

C’est le département des sciences cliniques qui semble cristalliser le plus d’inquiétude. Avec pour crainte, côté étudiants, que ne s’y poursuivent, dans le futur, la baisse du nombre d’EC y exerçant, puisque, « depuis début 2016, il y a déjà eu dans ce département quatre postes en moins d’EC (…). Ce qui inquiète dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants par promotion (…). Certains services du centre hospitalier universitaire vétérinaire fonctionnent donc à flux tendus ou ne fonctionnent tout simplement plus, par manque de moyens essentiellement humains (augmentation du nombre d’étudiants dans les groupes de cliniques, baisse du ratio encadrant/apprenant…) ». En 2017, deux professeurs de ce département ont démissionné et quitté l’enseignement. Et en avril 2018, ce même département a enregistré une double démission (de la part de son responsable et de son adjoint).

Par ailleurs, la fermeture de plusieurs unités de recherche a également été très mal vécue. Le personnel concerné refuse d’être traité par la direction « comme une minorité cherchant uniquement à conserver ses avantages ». En outre, d’après le CAO, « la maltraitance concerne également les agents eux-mêmes, avec de multiples arrêts de travail et de nombreux départs, à la suite des démissions, des mutations… ».

Vers une possible sortie de crise ?

Le 18 octobre 2017 a eu lieu une audience des intersyndicales locales et nationales auprès du cabinet du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Depuis lors, deux médiateurs pour l’enseignement, mandatés par la DGER2, sont déjà venus sur place pour essayer de renouer le dialogue, en liaison avec les représentants des personnels et des étudiants signataires du contrat de médiation et avec l’intersyndicale d’Oniris. À l’issue de la séance du 15 juin dernier, leur première réaction ne semblait guère optimiste, puisqu’ils ont transmis le message suivant au ministre de l’Agriculture : « Nous exprimons notre souhait de suspendre temporairement le processus, tant qu’il n’y aura pas un changement d’attitude de la direction. » Oralement, plusieurs des membres du CAO qualifiaient, en outre, « la cohabitation avec l’exécutif de difficile, très usante, voire explosive. Nous faisons le triste constat que la crise ne pourra probablement se résoudre que grâce à un changement de l’équipe de direction ».

« Tout le monde se sent mal, mais personne ne veut bouger. Nous sommes tous fatigués de ne pas savoir et de ne pas être entendus », concluait un autre témoin… À l’heure où nous imprimons ces lignes, il apparaît cependant « que la médiation est suspendue temporairement… mais pas arrêtée », puisqu’une nouvelle séance avec les médiateurs devrait normalement encore avoir lieu courant juillet.

1 Ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers et de services.

2 Direction générale de l’enseignement et de la recherche.

LES ÉTUDIANTS RÉAGISSENT

« On nous répète sans arrêt que nous devons être acteurs de notre formation, mais lors des dernières assemblées générales, on avait vraiment l’impression que la communication ne se faisait que dans un sens, celui de la direction », commente-t-on du côté de certains étudiants. Leurs représentants ayant démissionné, de nouvelles élections devraient avoir lieu dès la rentrée prochaine. Certains étudiants se font également du souci concernant la refonte de la future maquette pédagogique. Un sondage, avec un retour de 250 étudiants (portant sur les relations avec l’exécutif, leur ressenti sur leur formation, etc.) vient aussi d’être réalisé, afin d’alimenter les futures discussions avec la direction.

UNE RÉACTION DE LA  DGER 

« UNE SITUATION FINANCIÈRE DÉSORMAIS CONSOLIDÉE »

La DGER1 commente ainsi la situation : « Dominique Buzoni-Gatel, directrice de recherche issue de l’Inra2, a été nommée directrice générale d’Oniris en juillet 2015, dans un établissement à la situation financière fragilisée et au climat social dégradé. Elle a œuvré au redressement de la situation financière de l’établissement, désormais consolidée. Sous son mandat, Oniris a récemment recouvré son accréditation européenne AEEEV3 et vient d’être réaccréditée par la CTI4. La dynamique qu’elle a impulsée a permis l’élaboration d’un projet d’établissement dont les thématiques sont “prévenir-soigner, produire-transformer, nourrir-consommer”. Quant à la signature avec l’État, en décembre dernier, d’un contrat d’objectif et de performance 2017-2021, il doit permettre à cet établissement de répondre aux enjeux démographiques en termes de formation (augmentation du nombre d’étudiants...), pédagogiques (formation par et pour le numérique, exposition des étudiants à des cas cliniques pour les vétérinaires, à une pratique en entreprise pour les ingénieurs, etc.) et scientifiques (moindre utilisation des antibiotiques, innovation dans les technologies alimentaires pour contribuer à la compétitivité…) ».
Et la DGER de conclure : « Les changements d’organisation et d’orientations, validés par les instances de l’établissement, sont indispensables pour assurer le développement d’Oniris et garantir aux étudiants une formation d’excellence. Ce changement ayant inévitablement engendré des tensions, une médiation est en cours, pour faciliter la compréhension mutuelle. Le ministère est attaché à ce que cette médiation soit menée à bien. Nous souhaitons que tous ceux qui sont attachés, comme nous, à cette magnifique école, contribuent à l’apaisement ».

1 Direction générale de l’enseignement et de la recherche.
2 Institut national de la recherche agronomique.
3 Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire.
4 Commission des titres d’ingénieur.

ENTRETIEN AVEC  DOMINIQUE BUZONI-GATEL ET MARC GOGNY 

« NOUS ATTENDONS DE LA MÉDIATION UN RETOUR À UN DIALOGUE APAISÉ »

Dominique Buzoni-Gatel, directrice générale d’Oniris, et Marc Gogny, directeur général adjoint, répondent à La Semaine Vétérinaire. Quel est l’événement ponctuel qui, mi-avril, a mis le feu aux poudres, alors que depuis environ deux ans il s’agissait d’un malaise plus diffus ?
Dominique Buzoni-Gatel : C’est l’attribution des postes pour l’année 2019, répartis entre les cinq départements d’enseignement vétérinaire. En effet, certains de nos arbitrages, effectués en présence des cinq responsables de ces départements, n’ont pas été acceptés et ont été suivis par des démissions à des postes de responsabilité. J’ai donc notamment dû nommer un nouveau responsable par intérim dans le département des sciences ciniques.

Certaines personnes vous accusent de trop axer votre stratégie sur les bovins et l’agroalimentaire ?
D. B.-G. : Partir dans “une guerre des espèces” serait absurde ! Non, les bovins ne sont pas en train de régler leur compte aux équins ni aux canins… Mais nos arbitrages sont faits en tenant compte des besoins d’un collectif. Nous avons aussi un vrai problème de gouvernance, avec quelques personnes qui n’acceptent pas qu’il puisse exister une hiérarchie au niveau N + 1. Je suis à l’écoute, mais nous ne sommes pas non plus une démocratie participative.

En raison de la fermeture d’unités de recherche, des enseignants-chercheurs, privés d’unité de rattachement, se trouvent de ce fait bloqués dans l’évolution de leur carrière, sans accompagnement de la part de la direction ?
D. B.-G. :Ce n’est pas vrai. Nous avons déjà formulé différentes propositions pour réorienter les collègues concernés. À ce jour, certaines ont été acceptées, d’autres pas. En cancérologie, par exemple, le personnel a été accueilli dans une unité Inserm1, partenariat que nous aimerions à terme voir évoluer jusqu’à la formation d’une unité mixte de recherche.
Quel bilan d’action défendez-vous ?
Marc Gogny : En 2014, un audit européen de l’établissement avait révélé trois déficiences majeures : la première était d’ordre managérial, avec une absence de plan stratégique partagé, la seconde concernait un problème de communication interne, et la dernière des failles de biosécurité, principalement au CHUV2. Dès 2016, Mme Buzoni-Gatel a formé une équipe qui a mis au point un réel projet d’établissement participatif (actuellement en cours de mise en œuvre). Les problèmes de biosécurité ont été gommés et font l’objet d’une amélioration permanente. Ainsi, l’école est à nouveau approuvée, et même accréditée par l’AEEEV3, grâce à la mise en place d’un processus qualité.

Néanmoins, nul ne peut nier qu’il existe des tensions (burn-out, démissions, etc.) ?
D. B.-G. : Oui, certaines assemblées générales ont même été violentes. Des personnels Iatos4 nous ont d’ailleurs fait part de leur exaspération et de l’expression d’une certaine souffrance devant l’impunité de certains comportements déplacés, qui durent parfois depuis très longtemps. Nous nous attelons à résoudre ces iniquités, mais cela commence par la poursuite du dialogue. Là où il y a eu des démissions, il y aura des élections anticipées dès la prochaine rentrée scolaire. Grâce à la venue des médiateurs mandatés par la DGER5, j’espère que nous parviendrons à créer les conditions pour la reprise d’un dialogue apaisé, pour retrouver des conditions de travail davantage pérennes et sereines, et pour donner d’Oniris une image positive et attractive pour de nouveaux talents.

1 Institut national de la santé et de la recherche médicale.
2 Centre hospitalier universitaire vétérinaire.
3 Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire.
4 Ingénieurs, administratifs, techniques, ouvriers et de services.
5 Direction générale de l’enseignement et de la recherche.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr