Les Difficultés de recrutement des salariés - La Semaine Vétérinaire n° 1768 du 14/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1768 du 14/06/2018

DOSSIER

Auteur(s) : PAR CLOTHILDE BARDE 

Les structures peinent à embaucher des vétérinaires en salariat, comme l’indique l’enquête réalisée par La Semaine Vétérinaire et l’annuaire Roy . Face à cette problématique majeure, les explications ne sont pas toujours faciles à trouver. Synthèse des causes et solutions avancées à partir des réponses des praticiens.

Parmi les 11 514 vétérinaires français en exercice libéral, 6 635 sont inscrits au tableau de l’Ordre en tant que salariés (soit 36,6 % des vétérinaires)1 et ce chiffre est en constante augmentation (+ 2,8 % en 2016 par rapport à 2015)1. Cependant, les vétérinaires praticiens, sont très nombreux à déplorer les difficultés qu’ils rencontrent pour recruter des vétérinaires en salariat dans leurs structures.

« Horrible, long et stressant », voici les qualificatifs donnés, par bon nombre de vétérinaires praticiens interrogés dans le cadre de cette enquête, pour l’embauche de salarié. Et ce discours alarmant est le même quelle que soit la région d’activité. Le remplacement ou la recrue de nouveaux salariés est donc un des sujets de préoccupation majeur des vétérinaires praticiens en France actuellement et il semble s’amplifier avec le temps : « Ça va de mal en pis » a constaté un autre vétérinaire. Dans cette enquête, nous avons donc cherché à définir les difficultés rencontrées par les recruteurs, puis nous avons tenté de déterminer s’il existait un lien avec le profil des recruteurs et des annonces afin de chercher des pistes pour améliorer leur mode de recrutement.

Une pénurie de vétérinaires

Les 230 vétérinaires (89,1 % des vétérinaires interrogés, infographie 1) confrontés à des difficultés de recrutement dans cette étude regrettent majoritairement ne pas avoir de réponses à leurs annonces (67 % des cas) (infographie 2). Est-ce par inadéquation avec la demande ou tout simplement par manque de candidats vétérinaires ? En effet, beaucoup s’interrogent sur cette pénurie de vétérinaires sur le marché du travail : « Où sont passés les jeunes vétos qui sortent des écoles ? ». Or, dans les faits, 25,7 % des jeunes diplômés français ne sont pas praticiens dans l’année qui suit leur sortie de l’école2, même en intégrant les confrères qui viennent d’un établissement étranger (40 % des nouvelles inscriptions proviennent désormais d’écoles hors de France). Le constat des vétérinaires rejoint donc la réalité : il y a un déficit de demandeurs d’emplois par rapport à l’offre vétérinaire. Et, la même problématique se retrouve aussi pour des praticiens plus âgés. L’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire en 2017 a en effet révélé qu’en France la tendance observée est à l’arrêt prématuré de l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux par les professionnels âgés de moins de 40 ans. Tous ces faits semblent donc constituer un premier frein au recrutement de salariés vétérinaires.

Des recrutements “par défaut”

Pour les vétérinaires recruteurs qui parviennent finalement à recevoir au moins un candidat en entretien, la réponse à leur annonce est obtenue généralement dans un délai entre trois et six mois (40 %) ou supérieur à six mois (36,5 %), et seulement dans 22,2 % des cas au bout de un à trois mois (infographie 3). Dans ces situations, les candidatures sont souvent uniques ou très peu nombreuses et ne correspondent pas forcément aux attentes des recruteurs, qui se sentent quand même bien souvent obligés de les accepter : « On ne recrute pas, on prend celui qui veut bien venir ! », déclare un confrère interrogé.

Un manque de motivation des postulants, très souvent jeunes et inexpérimentés, est tout d’abord pointé du doigt. De plus, selon ces praticiens, les candidats manquent souvent de flexibilité (horaire, garde, lieu, vacances, salaires), de sérieux (nombreux désistements, « candidats irrespectueux ») et il existe une inadéquation totale entre la réalité du terrain et leur niveau d’exigences trop élevée. « L’entreprise doit s’adapter aux demandes du candidat, qui impose ses règles (et non l’inverse) ». Enfin, ils indiquent qu’il est très difficile pour eux de comprendre quelles sont les véritables attentes des salariés.

Des difficultés indépendantes de la région et du type d’activité

Parmi les vétérinaires qui peinent à recruter, on retrouve tous types de profils de praticiens. Ils exercent à proportions presque égales en zones rurale (34,9 %), semi-urbaine (34,9 %) et urbaine (30,2 %) (infographie 4).

Ainsi, une vétérinaire interrogée, que l’on pourrait croire située “idéalement”, en zone urbaine, déplore : « Personne ne répond aux annonces, alors que nous avons un cadre de vie idéal (sud, climat et vie peu chère) ». Le problème de recrutement dépasse donc le manque d’attrait bien connu des zones rurales. En effet, pour bon nombre de professions, tels que les médecins, le recrutement de jeunes diplômés et le renouvellement des retraités est souvent délicat dans ces régions rurales qualifiées de véritables “déserts médicaux”. Mais ici l’enquête semble montrer que d’autres régions plus citadines sont aussi concernées. Et le type d’activité rurale n’apparaît pas non plus comme un frein supplémentaire à l’embauche. En effet parmi les postes qui ont du mal à recruter, 60,9 % concernent une activité canine pure, 23,3 % mixte rurale-canine et 4,7 % rurale pure (infographie 5). Les chiffres du baromètre vétérinaire de 2016corroborent ce constat, avec des difficultés similaires à recruter un vétérinaire pour les structures mixtes (60 %) et canines (52 %). Une exception pourrait éventuellement être faite pour les structures ayant une activité qui nécessite une polyvalence telles que les cliniques « canines avec une faible activité rurale », qui semblent connaître davantage de freins à l’embauche. « Comment attirer les jeunes confrères ou consœurs dans une activité très majoritairement canine, mais dans laquelle persiste un peu de rurale ? », s’interrogent un grand nombre de praticiens.

Par ailleurs, les cliniques vétérinaires présentant le plus de difficultés ont principalement une activité généraliste (74,8 %) (infographie 6) et sont constituées d’une équipe de plusieurs vétérinaires (de 2 à 10) (infographie 7). Cependant, ce chiffre reste à nuancer, car les cliniques spécialisées sont aujourd’hui encore peu représentées (248 vétérinaires au 31 décembre 20161) et le nombre de vétérinaires travaillant seuls dans leur structure tend à diminuer de plus en plus chaque année1. L’exercice en solitaire est ainsi quand même évoqué comme étant un réel obstacle à l’embauche : un grand nombre de vétérinaires interrogés pensent que ce mode d’exercice n’attire pas les jeunes vétérinaires, car il ne correspond plus au modèle recherché actuellement.

Un profil type d’annonce peut être défini

Si l’on devait dresser un profil type des annonces qui ne rencontrent pas de succès, on distinguerait plus particulièrement celles des structures en quête de salariés remplaçants ponctuels (54,3 %) (infographie 8). Il est aisé de comprendre que les salariés hésitent dans ce cas à postuler, préférant trouver un emploi sur le long terme, même si certains confrères interrogés pensent à l’inverse que les candidats ne cherchent pas à s’impliquer sur le long terme dans leurs structures.

Cependant, même si les postes proposés sont en majorité des temps complets (en moyenne 35 heures par semaine) avec une formation continue possible, 69,6 % des cliniques concernées ont malgré tout des difficultés à recruter (infographie 9).

La rémunération pourrait être aussi un levier. Elle est conforme à la convention collective ou meilleure dans 66,5 % des cas (infographie 10), or les praticiens constatent que souvent les vétérinaires attendent un salaire encore supérieur (majoré en fonction du chiffre d’affaires notamment). « La nouvelle génération veut en faire un minimum et être payé un maximum », indique ainsi un confrère.

À l’inverse, on ne note pas de corrélations entre les difficultés de recrutement et les conditions de travail suivantes : gardes, astreintes, voiture de fonction, logement ou perspectives d’évolution (association en moyenne 1 à 2 ans) proposés, bien que les vétérinaires pensent souvent qu’elles sont à l’origine des difficultés rencontrées.

Des pistes d’évolution

Dans la majorité des cas (83 %), à l’exception des gardes (dont seulement 37 % envisageraient de les supprimer), les vétérinaires recruteurs sont prêts à faire évoluer leurs conditions de recrutement (rémunération, temps de travail, période d’essai, formations) (infographie 11). De même, si le salarié est diplômé à l’étranger et qu’il est motivé et maîtrise correctement le français, 84,3 % des recruteurs déclarent qu’ils l’embaucheraient (infographie 12).

En définitive, les recruteurs qui se trouvent dans une telle situation estiment que « le choix est un luxe, le diplôme est peu important ». « Je prendrais ceux qui voudrons bien travailler !!! », insiste un autre.

Une piste pour remédier à ce problème pourrait-elle être de faire évoluer le mode de recrutement ?

La principale méthode de recrutement utilisée actuellement par les vétérinaires en difficulté était les annonces web, payantes dans 69,6 % des cas ou gratuites (51,7 %) (infographie 13). Et, même si, selon la majorité d’entres eux (70 %), les outils mis à disposition sont satisfaisants, d’autres pistes de recrutement sont envisagées. Ainsi, parmi les remarques les plus fréquentes des recruteurs, une formation à l’embauche est souhaitée, mais aussi une communication améliorée avec les étudiants nouvellement diplômés. Pour cela, ils évoquent notamment la création de sites d’annonces centralisés pour toutes les écoles vétérinaires et universités délivrant des diplômes reconnus. Enfin, ils désireraient mieux cerner les attentes des futurs salariés. Une enquête destinée aux vétérinaires salariés à la recherche d’emploi pourrait-elle être une solution pour évaluer ces besoins ?

En outre, de nouvelles initiatives voient peu à peu le jour.

1 Observatoire national démographique de la profession vétérinaire 2017.

2 Conseil national de l’Ordre vétérinaire 2016.

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