L’objet connecté entre dans la ruche - La Semaine Vétérinaire n° 1767 du 08/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1767 du 08/06/2018

APICULTURE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL 

En vogue depuis une dizaine d’années, la ruche connectée s’installe doucement sur le territoire apicole. Outil d’aide à la décision pour les apiculteurs, l’objet connecté contribue à l’amélioration des conditions de travail de la profession.

La ruche connectée se démocratise. En Europe, une vingtaine d’acteurs (Capaz, Hostabee, Label Abeille, Beezbee, Connected Beekeeping, Beeguard, Honey Instruments, Beebox World, Optibee, Citizen Bee, Mine Not, Smart Hive, etc.) mettent sur le marché des dispositifs plus ou moins sophistiqués. À défaut de véritablement lutter contre le déclin des abeilles, ils proposent aux apiculteurs des outils d’aides à la décision et améliorent aussi les conditions de travail quand la surveillance de ruchers peut contraindre à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en plaine ou en montagne. « La mesure du poids des ruches à distance représente un vrai intérêt pour le suivi des périodes de miellées. Et, d’un point de vue médical, en période hivernale, ça permet de veiller à l’affaiblissement des ruchers et d’éviter les risques de famine », indique Christophe Roy, apiculteur et vétérinaire dans le Cantal. Si pour la plupart des 1 700 apiculteurs professionnels, l’outil indispensable demeure la balance, l’arrivée de nouvelles générations d’apiculteurs, le déclin des abeilles et l’introduction du numérique dans la société amènent à de nouvelles pratiques, jusqu’à introduire un capteur à l’intérieur de la ruche pour en prendre le pouls.

Une surveillance rapprochée

La start-up Hostabee a imaginé un boîtier de quelques centimètres carrés, conçu à partir de plastique alimentaire, que l’on glisse à l’intérieur de la ruche pour en mesurer la température et l’hygrométrie. « Nous étions au départ partis sur le principe de la balance, et puis, on s’est dit qu’on pouvait le faire autrement. Notre approche, c’est d’alerter et d’équiper l’apiculteur à un coût abordable », explique Maxime Mularz, fondateur de Hostabee, qui a accouché d’une solution à 86 € HT (avec en plus l’abonnement téléphonique de 3 €/mois la seconde année). Les informations, transmises toutes les heures, sont croisées avec les données météo, et mises à disposition sur une plateforme web. « Pour l’instant, ça permet de voir si la ruche est en vie ou non et si la reine pond ou non », observe Jean-François Villaire, apiculteur à Chavignon dans l’Aisne, à la tête du complexe apicole Les Ateliers de l’abeille. « Nous sommes apiculteurs depuis quatre générations. Or, même avec de l’expérience, on est parfois démuni. La technologie nous permet d’anticiper les problèmes et d’aller vers telle ou telle ruche si besoin. Sans être trop complexe, cette solution va à l’essentiel », atteste-t-il. Lui s’est équipé de quatre appareils pour surveiller 50 à 100 ruches de son cheptel de 800 ruches, dont 500 sont en activité. « L’idéal serait d’en avoir partout, mais l’idéal a un coût. On trouve souvent des produits à plus de 300 , mais quand l’achat d’un essaim s’élève à 160 , ce n’est pas justifié. L’essentiel, c’est, derrière, de bien maîtriser la gestion de l’élevage, les techniques de reproduction, le croisement d’espèces si nécessaire, etc. »

Réduire les coûts d’acquisition

Chez Label Abeille, l’approche est radicalement différente. « Aller à l’intérieur des ruches n’apporte pas grand-chose », estime Laurent Laurentin, fondateur de l’entreprise apicole créé en 2015. « Ce qui nous intéresse, c’est l’environnement. » Le système repose sur une balance placée sous chaque ruche hyperconnectée, géolocalisée, non intrusive, fournissant en temps réel les données météo, l’orientation de la ruche, la pression atmosphérique, la luminosité, le sens et la vitesse du vent, etc. L’analyse de toutes ces données permet de fournir des recommandations aux apiculteurs, à travers « une solution clé en main dotée d’une interface simplifiée et prédictive », que le concepteur voudrait certifier avec un laboratoire indépendant pour satisfaire aux exigences du marché du développement durable. Le coût du dispositif atteint 640 € HT avec un forfait téléphonique par rucher. Là encore, l’équipement d’une partie des ruches suffirait à avoir une vision globale de l’état de santé des colonies. « Le gros avantage, c’est que l’on intervient plus vite sur place en cas de soucis. Alors que si un problème survient au lendemain d’une tournée de sept jours, je n’y retourne que huit jours plus tard et les dégâts peuvent être conséquents », souligne Florent Maugeais, à la tête des Ruchers de Normandie avec 800 ruches. Un temps engagé avec une start-up qui travaillait sur un concept de ruche connectée, il a abandonné. « Pas le temps de réinventer le fil à couper le beurre. » Apiculteur dans la Drôme, Jérôme Alphonse a lui, faute de trouver une solution à sa convenance, créé un dispositif simple baptisé Beescale 4® (Connected Beekeeping). Le système (315 € HT) permet de suivre simultanément les courbes de poids de quatre ruches. « Les données ne sont volontairement pas ultraprécises, mais ça donne une tendance, largement suffisante, et surtout à faible coût », assure l’inventeur.

Un regard scientifique dubitatif

Si l’Europe soutient jusqu’à 40 % le financement de tels équipements, du côté de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad), l’arrivée des nouvelles technologies laisse perplexe. « Beaucoup de littérature est écrite sur le sujet des ruches connectées, mais je me méfie des apiculteurs qui se lancent dans ce secteur, qui ne sont pas pathologistes et qui ne se posent pas forcément les bonnes questions, affirme Jean-Marie Barbançon, vétérinaire de formation et président de la Fnosad. Au-delà des données, ce qui manque c’est un diagnostic de précision. » Un sentiment partagé par Axel Decourtye, directeur scientifique de l’Itsap1 et Cédric Alaux, chargé de recherche à l’Inra2 (unité de recherche 406 abeilles et environnement), à Avignon. « On obtient des données certes, mais les mesures sont souvent difficilement interprétables, et rarement reliées à des données biologiques. Ce qui empêche toute détection précoce. Or, c’est justement que ce que l’on cherche. Et on n’en est vraiment pas là », s’accordent-ils. C’est d’ailleurs l’un des projets du groupement d’intérêt public franco-suisse Mind, spécialisée dans la mécatronique, qui à travers le projet One Bee, soutenu par l’Europe, tend à apporter à l’Inra, au CEA3 ou au CNRS4 des outils et des technologies de pointe. Ainsi sont nés, un compteur d’abeilles, un capteur olfactif… ou un cadre de ruche intégrant un millier de capteurs pour mesurer la température sur toute la surface et permettre un monitoring embarqué, non intrusif pour continuer de percer les mystères de l’abeille.

1 Institut technique et scientifique de l’apiculture et de la pollinisation.

2 Institut national de la recherche agronomique.

3 Commissariat à l’énergie atomique.

4 Centre national de la recherche scientifique.

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