Tentative ratée de découplage à l’hémicycle - La Semaine Vétérinaire n° 1766 du 01/06/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1766 du 01/06/2018

MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL  

Dans le cadre de l’examen du projet de loi issu des états généraux de l’alimentation par l’Assemblée nationale, des députés ont tenté sans succès de remettre en cause le couple prescription-délivrance. Une tentative opportuniste vite désamorcée.

Le vétérinaire n’est pas qu’un vendeur d’antibiotiques ! » C’est entre autres en ces mots que Jean-Baptiste Moreau, député-éleveur et rapporteur du projet de loi issu des états généraux de l’alimentation (EGA), s’est positionné contre le découplage face à quelques députés qui ont tenté de mettre fin au couple prescription-délivrance. L’examen du projet de loi post-EGA, débuté le 22 mai dernier, est venu avec son lot de surprises, dont des amendements qui ont fait planer une nouvelle fois le spectre du découplage. Il s’agit précisément d’amendements qui visent à supprimer l’alinéa 2 de l’article L.5143-2 du Code de la santé publique, disposition qui permet aux vétérinaires de délivrer des médicaments. L’objectif visé est clair : interdire la délivrance de médicaments par les vétérinaires. Après une tentative infructueuse en 2015 lors des débats sur la loi de modernité du système de santé, les partisans du découplage ont inséré des amendements opportunistes qui ont finalement été retirés ou rejetés lors des discussions devant l’Assemblée nationale. Ces propositions ont pourtant été retoquées par les députés devant la commission des affaires économiques de la même assemblée. Mais des députés pro-découplage sont revenus à la charge en déposant des amendements identiques devant les représentants de la nation. Mais pour Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et Jean-Baptiste Moreau, député rapporteur du texte, il n’est pas question de revenir sur le dispositif actuel.

Une tentative ratée

Ce mardi 29 mai, en séance publique à l’Assemblée nationale, il n’a fallu que quelques minutes pour que l’offensive des partisans du découplage soit stoppée. Une tentative ratée donc. Entre autres, face au ministre de l’Agriculture, Mathilde Panot, députée La France insoumise du Val-de-Marne, a tenté de défendre son amendement 2296 en faveur du découplage. Lors des débats, elle indique l’avoir travaillé avec l’association Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que choisir1. Son argumentaire est similaire en tout point à celui présenté en 2015 devant le Sénat lors des discussions sur la loi de modernisation du système de santé. Il repose notamment sur l’usage des antibiotiques critiques en médecine vétérinaire et la présence de bactéries résistantes dans la viande fraîche. Des arguments non recevables pour Jean-Baptiste Moreau, rapporteur du texte et éleveur dans la vie civile, qui rappelle que tous les indicateurs vont dans le sens de la réduction de l’exposition des animaux aux antibiotiques. « Je pense que vous ne vous rendez pas bien compte de la portée d’un tel amendement », rétorque le député-éleveur.

Une initiative de pharmaciens ?

Même son de cloche du côté du ministre de l’Agriculture, qui s’étonne que de tels amendements soient portés au regard de l’importance de la conservation du maillage vétérinaire. « Je veux souligner le rôle essentiel des vétérinaires dans la lutte contre l’antibiorésistance et les résultats exceptionnels en France du plan ÉcoAntibio », souligne-t-il, avant d’indiquer que ces amendements ne sont pas adaptés aux situations que vivent les vétérinaires en milieu rural. Pour Jean-Baptiste Moreau, le débat est ailleurs. Il rappelle en effet l’implication de certains pharmaciens qui ont tenté à plusieurs reprises de voter des textes entérinant le découplage au niveau tant européen que national. « Les vétérinaires ne sont pas que des vendeurs d’antibiotiques. Mais je voudrais quand même préciser que je sais à peu près d’où viennent ces amendements, c’est-à-dire de l’Ordre des pharmaciens. Quand on se présente en chevalier blanc, on ne donne pas de leçon de morale aux autres ! » Il faut encore attendre l’examen du texte par le Sénat. Pour le député-éleveur, même présentés devant la chambre du Palais du Luxembourg, ces amendements ont peu de chance d’être suivis.

1 bit.ly/2IUo9qY.

POINT DE VUE DE JEAN-BAPTISTE MOREAU

À l’image de ce qui va être fait pour les produits phytosanitaires, cet amendement envisage de découpler la prescription et la délivrance de médicaments vétérinaires. Selon moi, cette proposition est une aberration complète. Je suis complètement opposé à cet amendement et ce pour plusieurs raisons. D’une part, les produits ne sont pas comparables et d’autre part, nous avons vu avec les plans ÉcoAntibio que la réactivité [NDLR : notamment de la profession vétérinaire] a été très bonne. Nous avons considérablement réduit la consommation d’antibiotiques en médecine vétérinaire. Il n’y a donc pas besoin de passer par le découplage. Par ailleurs, cette proposition me paraît complètement illusoire. Si nous faisons cela [NDLR : découplage de la prescription et de la délivrance], nous n’aurons plus de vétérinaires ruraux. C’est un métier difficile et il faut leur permettre de gagner leur vie. Ce n’est certainement pas en découplant la prescription de la délivrance que nous y parviendrons.

QUATRE QUESTIONS À ÉRIC LEJEAU 

« DES ÉLÉMENTS FACTUELS PERMETTENT DE DÉMONTRER QUE LE DÉCOUPLAGE N’EST PAS UNE SOLUTION »

Que contiennent exactement ces amendements ?
Il s’agit d’un amendement visant à supprimer l’alinéa 2 de l’article L.5143-2 du Code de la santé publique. Celui-ci permet aux vétérinaires de délivrer des médicaments vétérinaires sans toutefois tenir officine ouverte. Le texte vise tout simplement à supprimer le vétérinaire de la liste des ayants droit. L’amendement contient par ailleurs une seconde disposition visant à interdire aux vétérinaires de prescrire les antibiotiques d’importance critique. L’objectif ici est de limiter le droit de prescription des vétérinaires.

Y a-t-il un risque qu’ils soient adoptés ?
Dans le cadre du projet de loi faisant suite aux états généraux de l’alimentation (EGA), cet amendement a été déposé deux fois. Il a d’abord été soumis à la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, avant le passage de la loi devant les députés. Nous avons très vite identifié que le ministère de l’Agriculture a émis un avis défavorable sur cette proposition. Cette position a eu pour conséquence le rejet de cet amendement devant la commission des affaires économiques. Il a ensuite été présenté une nouvelle fois en séance. Il y a peu de chance qu’il soit adopté par l’Assemblée nationale. Toutefois, il faut rester vigilant car la lecture du texte se fait dans un protocole d’urgence. Il ne sera examiné qu’une seule fois par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le risque peut donc revenir au Sénat, même si le gouvernement a rejeté cet amendement à l’Assemblée nationale. En effet, l’exécutif n’y bénéficie pas d’une majorité et cet amendement est défendu par des élus Les Républicains (LR).
S’agit-il d’un remake de ce qui s’est passé en 2013 ?
Le contexte n’est pas le même que celui de 2013. À cette période, nous n’avions pas le recul nécessaire pour évaluer l’impact du couplage prescription-délivrance sur la lutte contre l’antibiorésistance. En 2018, nous avons des éléments factuels qui permettent de démontrer que le découplage n’est pas une solution pour lutter contre l’antibiorésistance. Nous avons en effet les résultats du plan ÉcoAntibio 1 et la baisse de l’exposition des animaux aux antibiotiques de - 37 %. Par ailleurs, nous sommes, avec les Pays-Bas, le pays européen qui a le plus réduit sa consommation d’antibiotiques avec ce système. Nous constatons aussi que les pays qui ont opté pour le découplage (Espagne, Italie, entre autres) ont une augmentation permanente de leur consommation d’antibiotiques. De plus, le système de santé français en humaine fonctionne sur le système du découplage et pourtant la consommation d’antibiotiques augmente. La démonstration de l’efficacité du système couplage prescription-délivrance a donc été faite. Il permet l’implication des acteurs à tous les niveaux et c’est une clé majeure pour lutter contre ce fléau.

Quelles seront les actions menées par le SNVEL pour éviter que le couperet tombe ?
Le SNVEL poursuit sa participation à l’action et à l’investissement de la profession dans la réduction de l’antibiorésistance à travers le plan ÉcoAntibio 2. Nous maintenons notre étroite collaboration avec les services de l’État et utilisons les bons résultats du plan ÉcoAntibio 1. Nous sensibilisons notamment les élus politiques de tout bord à ce sujet afin de leur faire comprendre l’engagement de la profession. À travers cette démarche, nous souhaitons les convaincre que le découplage ne sera jamais la bonne solution. Notre action ne se limite pas à la France, nous menons également des actions au niveau européen. Un amendement du Parlement européen dans le cadre du projet de règlement sur le médicament vétérinaire prévoyait en effet la fin du couplage. Nous avons beaucoup œuvré auprès des représentants français à Bruxelles afin de leur démontrer que le couplage était important si l’objectif est bien de lutter contre l’antibiorésistance. Le texte est en phase final de négociation et cet amendement ne devrait pas être retenu.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr