Maladie hémorragique virale du lapin : épidémiologie descriptive - La Semaine Vétérinaire n° 1765 du 25/05/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1765 du 25/05/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Les journées de la recherche cunicole, du 21 et 22 novembre 2017, ont été l’occasion de présenter une synthèse des connaissances sur la maladie hémorragique virale du lapin (rabbit haemorrhagic disease ou RHD). L’émergence de la RHD a été responsable d’importantes pertes économiques dans les élevages rationnels de lapins de chair ou de lapins producteurs de fourrure chinois et européens. Ainsi, 140 millions de lapins domestiques sont morts en Chine en 1984 et plus de 90 millions de lapins ont succombé en Italie au cours des deux années qui ont suivi son arrivée. Elle a également eu un impact écologique majeur dans les pays, dont la France, et notamment en péninsule ibérique, où les intérêts cynégétiques et l’équilibre de la faune sauvage se sont trouvés affectés du fait des fortes mortalités engendrées dans les populations de lapins de garenne, sensibles au virus RHD (RHDV). Par exemple, des espèces protégées prédatrices, tels le lynx pardelle ou ibérique (Lynx pardinus), l’aigle ibérique (Aquila adalberti), et dans une moindre mesure l’aigle de Bonelli (Hieraaetus fasciatus), ont connu un déclin drastique, le lapin constituant une espèce clé des écosystèmes d’Europe occidentale. Depuis 2010, un nouveau génotype a émergé en Europe, le RHDV2, et a remplacé dans certains pays les souches de RHDV classiques.

Le lapin et le lièvre sont deux espèces sensibles

Seuls le lapin d’Europe Oryctolagus cuniculus, incluant les deux sous-espèces O. c. cuniculus et O. c. algirus, est sensible au RHDV. Les essais d’infections croisées par les deux calicivirus des lagomorphes, le RHD et le syndrome du lièvre brun européen (European brown hare syndrome ou EBHS) n’ont pas permis de reproduire la RHD sur le lièvre brun et l’EBHS sur le lapin d’Europe. Parmi les espèces de lagomorphes implantées en Amérique du Nord et en Amérique centrale, Romerolagus diazzi ne montre pas de signe de la maladie, mais peut abriter le virus, tandis que les espèces Lepus californicus et Sylvilagus floridanus ne sont pas sensibles au virus. Bien que certaines espèces sympatriques1 puissent séroconvertir ou être des réservoirs (renard, rongeurs), tous les essais de transmission du RHDV à des espèces animales domestiques (porc, âne, cheval, chien, chat, hamster, etc.) ou sauvages (souris, rat, renard, furet, oiseaux et reptiles) se sont avérés infructueux.

À la différence du RHDV et du virus de l’EBHS (EBHSV) qui sont “hôtes spécifiques”, le RHDV2 passe la barrière d’espèce. Il infecte plusieurs espèces de lièvres du genre Lepus en causant une maladie proche de celle de l’EBHS, souvent avec un degré de mortalité comparable. Le RHDV2 infecte naturellement le lièvre sarde (Lepus capensis mediterraneus), ainsi que le lièvre corse (Lepus corsicanus), mais très sporadiquement et avec une virulence réduite. Des cas d’infection de lièvres d’Europe (Lepus europaeus) ont plus récemment été décrits en Italie, en Espagne, en Australie et en France, ainsi qu’un cas chez un lièvre variable (Lepus timidus) en Suède. En Italie et en Espagne, les cas décrits chez les lièvres d’Europe étaient sporadiques, tandis que les données australiennes n’indiquent pas si les cinq lièvres infectés correspondaient à une infection occasionnelle ou au début d’une épizootie. En revanche, les travaux menés en France après sa première détection (été 2010) montrent que le RHDV2 y est largement distribué dans les populations de lièvres puisqu’il a été responsable en 2015 de plus d’un tiers (37 %) des cas de mortalité dus à un lagovirus, le restant étant dû à l’EBHSV.

Une transmission horizontale

La transmission du RHDV est essentiellement horizontale, les voies d’entrée naturelles du virus étant la voie digestive et les voies respiratoires supérieures.

La contamination peut se faire par contact direct avec des animaux malades, le virus étant présent dans le sang, les organes, les sécrétions, sur la peau, au niveau des muqueuses. Le virus est excrété dans le milieu extérieur en très grande quantité via les urines et les matières fécales. Bien que résistants à la RHD classique, les jeunes lapereaux sont sensibles à une infection à faible dose et, même si l’excrétion virale observée est très faible, ils peuvent transmettre le virus avant leur séroconversion par contact direct aux autres lapins lors d’épizooties. La transmission se fait aussi par l’intermédiaire des cadavres d’animaux infectés, principale source de diffusion virale en milieu naturel. Des cas de RHD ont par ailleurs été décrits dans certains pays à la suite de l’importation de carcasses congelées de lapins infectés. La contamination peut également avoir lieu indirectement avec l’eau ou des végétaux contaminés, du matériel d’élevage souillé ou encore par le biais de vecteurs ayant été en contact avec du matériel virulent. Des études expérimentales ont mis en évidence le rôle des carnivores par l’intermédiaire de leurs déjections et celui des oiseaux nécrophages à la suite de l’ingestion de cadavres de lapins infectés. De même, des insectes, tels que les mouches, sont vecteurs par leurs sécrétions orales et anales, en se posant sur les conjonctives. Les moustiques et les puces sont des vecteurs mécaniques ou biologiques de la maladie. Comme cela a été mis en évidence en Australie, les insectes volants constituent d’importants vecteurs de dissémination sur de longues distances, au moins pendant l’établissement initial de la maladie, tandis que la transmission par contact est probablement le mode de transmission principal de l’infection pour maintenir la maladie dans les populations locales. Selon d’autres hypothèses, le virus pourrait également être véhiculé sous forme d’aérosol par l’air ou la pluie.

Une clinique variable suivant les conditions de vie

La gravité de la maladie dépend de plusieurs facteurs. Parmi les facteurs environnementaux, la température et l’humidité semblent être les plus importants. Ainsi, le taux de mortalité est supérieur chez les populations des pays ou des zones géographiques situés en climat chaud et sec (Espagne, Portugal, France) comparé aux populations des régions plus froides et plus humides (Grande-Bretagne et autres pays d’Europe du Nord). Il en est de même en Australie, où les mortalités sont plus élevées dans les régions arides et semi-arides de l’intérieur du pays qu’au niveau des régions côtières plus humides et tempérées. Dans ces dernières, la maladie est saisonnière, avec un pic de mortalité en automne, à la suite de la saison de reproduction. En Europe, la maladie se manifeste globalement de façon saisonnière. La majorité des animaux sont touchés et meurent en été et en automne Il s’agit surtout de jeunes animaux nés dans l’année, et devenus sensibles au RHDV du fait de n’avoir jamais été en contact avec le virus et de ne plus posséder d’anticorps maternels.

Cette saisonnalité et la gravité variable selon la zone géographique seraient dues à une survie du virus en lien avec l’abondance et l’activité des vecteurs (surtout des insectes) et non du fait d’une action directe de la température sur la pathogénie du virus. Le stress lié à la reproduction, ainsi que la myxomatose, maladie immunodéprimante, peuvent constituer des facteurs favorisant la multiplication des RHDV.

1 Espèces phylogénétiquement proches, vivant sur une même aire géographique, sans hybridation possible.

ABSENCE DE TRANSMISSION HUMAINE

En ce qui concerne la santé humaine, aucun cas de maladie consécutive à la manipulation d’animaux infectés par le RHDV ou le RHDV2 n’a été décrit parmi les populations les plus exposées, comme les éleveurs, les chasseurs ou les vétérinaires. Une analyse sérologique réalisée en Australie en 1996 sur 259 personnes travaillant en contact direct avec des lapins n’avait pas révélé la présence d’anticorps anti-RHDV chez ces personnes.

Ghislaine Le Gall-Reculé Chercheuse à l’Anses, laboratoire de Ploufragan-Plouzané (Côtes-d’Armor). Samuel Boucher Vétérinaire chez Labovet Conseil (réseau Cristal) aux Herbiers (Vendée). Article rédigé d’après une présentation faite lors des journées de la recherche cunicole au Mans (Sarthe), les 21 et 22 novembre 2017.

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