Les réseaux de cliniques vétérinaires : grandes manœuvres sur tout le territoire - La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR SERGE TROUILLET 

L’essor des réseaux de cliniques vétérinaires (incluant les cabinets) en France a été rendu possible au début des années 2010 par l’évolution de la législation. Très vite, le modèle de l’intégration financière des réseaux de compétences managériales, ou réseaux intégrés d’établissements de soins vétérinaires, essentiellement en canine, s’est imposé. Aujourd’hui, plusieurs groupes aux ambitions nationales développent des stratégies différentes partout sur le territoire.

Les modifications de la législation réglementant la profession vétérinaire, issues de la transposition de la directive “services” de 2006 (décret du 8 juillet 2010 et loi Ddadue1 du 16 juillet 2013), ont entraîné de nombreux changements dans la façon d’exercer. Des structures vétérinaires se sont développées, étendues, rapprochées, ont fusionné.

Des groupes se sont constitués sous la forme de sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), de sociétés de participation financière des professions libérales (SPFPL), sur plusieurs sites, avec 15 ou 20 associés, parfois davantage, notamment dans l’élevage spécialisé et parfois en mixte, avec une gouvernance globale fondée sur une délégation de pouvoir, et des chiffres d’affaires dépassant parfois 20 millions d’euros.

À l’instar de ce que l’on rencontrait déjà chez nos voisins européens, des réseaux ont également émergé ou se sont développés. Pour la plupart, des réseaux de compétences techniques : de garde à l’échelle locale, de spécialistes, de référencement, de négociation commerciale, de commercialisation en ligne, entre autres. Beaucoup moins nombreux sont les acteurs du développement des réseaux de compétences managériales, essentiellement en canine. Ces réseaux ont pour point commun la prise en charge des activités liées à la gestion d’entreprise au sein des cliniques membres. À la différence des réseaux de compétences, ils proposent une intégration plus forte, verticale.

Intégration financière

Certains acteurs de ces réseaux, les plus anciens, ont eu l’occasion d’éprouver leur modèle, de le recentrer, de le redéfinir. VetOne et Familyvets ont ainsi commencé par une sorte de joint-venture à l’anglaise, avant d’opter pour l’intégration financière (la mise en commun d’activités entre entreprises indépendantes) en prenant le contrôle total des cliniques de leur groupe. L’intégration financière, précisément, devient alors en France le modèle dominant avec des stratégies toutefois fort différentes, notamment sur le plan du financement. Certains réseaux s’adjoignent l’appui de fonds d’investissement (VetOne, Familyvets, Univet, Argos) ; les trois associés de Mon Véto qui, depuis sa création, ne font appel qu’aux banques, n’ont pas ouvert le capital de la SPFPL ; quant à Metavet, il dispose des capitaux fournis à 95 % par les vétérinaires associés.

La société par actions simplifiée (SAS) Univet est également détenue en majorité (60 %) par les vétérinaires associés. À VetOne, les associés vétérinaires sont minoritaires (10 %) dans le capital de la holding. Chez Argos, certains vétérinaires sont associés, et Mon Véto offre désormais aux responsables de région ou de clinique la possibilité de prendre des participations au sein de leur grappe locale (SELARL). À Familyvets, société d’exercice libéral par actions simplifiée (Selas), aucun vétérinaire autre que le dirigeant ne détient de parts.

Une réponse à des contraintes économiques et à des attentes humaines

Le développement de réseaux de cliniques vétérinaires reste néanmoins une source d’inquiétude pour de nombreux praticiens qui craignent une prise de pouvoir de groupes financiers au sein d’une profession jusqu’alors indépendante. L’avenir le dira. Les acteurs de ces réseaux construits sur le modèle de l’expansion se veulent rassurants. Ils mettent en avant les réponses que ces derniers apportent aux contraintes économiques et aux attentes humaines. À commencer par la prise en charge centralisée de la gestion administrative par des professionnels, ce qui permet aux vétérinaires de se concentrer sur leur métier et entraîne fréquemment une augmentation de la marge bénéficiaire nette.

Selon eux, les réseaux de compétences managériales permettent de libérer du temps aux vétérinaires, de leur faire profiter de la variété des statuts proposés (libéral, collaborateur libéral, salarié, temps partiel) pour choisir leur mode de travail et mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle, notamment grâce à la réduction, voire à l’absence de gardes. De l’appui technique à la culture d’un esprit de groupe, ces réseaux, disent-ils, favorisent les échanges entre leurs membres, peuvent permettre l’entrée progressive au capital, notamment pour les plus jeunes, et offrent plus aisément une solution de rachat des parts sociales de ceux qui souhaitent partir, notamment en fin d’exercice.

Plutôt complémentaires que concurrents des cliniques traditionnelles

D’autres réseaux sont en cours de structuration, notamment en Aquitaine et dans la région parisienne. « Certaines personnes ont de grandes capacités d’investissement et montrent un grand intérêt pour le monde vétérinaire », lance Michaël Silber, président de Familyvets. Le marché des cliniques vétérinaires est en pleine évolution. Quelles peuvent en être les tendances ? Pour Steve Rosengarten, président de VetOne, « il va se consolider et ne sera pas dominé par les groupes. Seuls deux ou trois d’entre eux feront globalement 25 à 30 % du marché d’ici 5 à 10 ans, et tous les types de structures coexisteront ». Jean-François Stein, créateur de Véto Access, voit plutôt se profiler « une double évolution vers le haut (avec de grandes structures) et le bas (avec de petites structures low cost) » et penche pour la « prospérité des chaînes vétérinaires couplant cabinets de petite taille et centres techniques haut de gamme ». David Beciani et Émeric Lemarignier, présidents respectivement de Mon Véto et d’Argos, partagent l’idée, avec des modèles différents, que « la structuration des cliniques s’opérera en grappes locales ».

Ces réseaux constituent-ils une menace pour les cliniques traditionnelles ? Aux États-Unis, malgré une présence de plus de 50 ans sur le territoire, moins de la moitié des vétérinaires américains travaillent au sein de ces réseaux.

1 Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

VETONE : À L’OFFENSIVE

Avocat de formation et spécialiste des fonds d’investissement, Steve Rosengarten a racheté VetOne fin 2013. Très vite, il transforme une société de services en une société par actions simplifiée (SAS) à intégration financière totale. VetOne est détenue à 90 % par son véhicule d’investissement, dont il est majoritaire, le reste étant détenu par des vétérinaires associés. La holding regroupe trois SAS à vocation régionale, elles-mêmes constituées de plusieurs domiciles professionnels d’exercice (DPE), où chacun des directeurs de site est associé. Les vétérinaires sont associés, collaborateurs libéraux ou salariés. Le groupe compte dorénavant plus d’une centaine de collaborateurs avec les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV). Son chiffre d’affaires, de 12 millions d’euros, a doublé entre 2017 et 2018.
L’objectif de Steve Rosengarten est de « faire de VetOne la première entreprise vétérinaire en France, positionnée sur un critère qualitatif, où chaque clinique détermine son projet d’action dans le respect des valeurs communes ». Se jugeant en phase avec Richard Branson lorsqu’il dit : « Formez vos gens de manière à ce qu’ils puissent partir, et traitez-les de manière à ce qu’ils restent », il travaille à faire passer VetOne de 15 cliniques à 20 ou 25 et son chiffre d’affaires à plus de 20 millions d’euros l’année prochaine : « La France est un marché qui peut justifier l’émergence d’un acteur de taille importante et avoir une pertinence sur le marché européen. »

FAMILYVETS : UNE MUTATION IMMINENTE

Michaël Silber, vétérinaire en exercice, est l’un des acteurs historiques des réseaux de cliniques en France. Leader dans l’âme, il a troqué son projet initial de forme mutualiste contre une société d’exercice libéral par actions simplifiée (Selas) à intégration financière totale recentrée sur la région parisienne : « Un groupe ne peut être tenu que par une seule tête. La logique d’entreprise, avec les notions de participation minoritaire des associés, de gestion déléguée, me semble encore antinomique avec l’esprit libéral individualiste des praticiens. » Familyvets compte aujourd’hui neuf établissements (domiciles professionnels d’exercice ou DPE), un effectif de 45 personnes (20 vétérinaires salariés et collaborateurs libéraux, 25 auxiliaires spécialisés vétérinaires ou ASV) et son chiffre d’affaires est de 3,5 millions d’euros.
Détenteur d’un master en administration des affaires (Sup de Co Paris), accompagné par un fonds d’investissement, Michaël Silber s’entoure d’une directrice générale, d’une social media manager et prépare l’étape suivante : « L’idée d’intégrer un réseau tout en continuant d’exercer fait son chemin. Quelques groupes vont poursuivre leur expansion, voire se rapprocher. Pour Familyvets, deux options sont à l’étude : une augmentation de capital avec un nouveau fonds d’investissement souhaitant accompagner notre développement, ou une fusion avec un autre groupe existant. L’une ou l’autre se concrétisera avant l’été 2018. »

MON VÉTO : RESTER LE PREMIER GROUPE DE CLINIQUES VÉTÉRINAIRES EN FRANCE

Mon Véto a été créé en 2010 par trois associés vétérinaires dont David Beciani, président et lui aussi acteur historique des réseaux de cliniques vétérinaires en France. Son modèle économique, toutefois, n’a pas changé. À intégration financière totale, sans ouverture du capital, le groupe est aujourd’hui structuré avec une holding, sous la forme d’une société de participation financière des professions libérales (SPFPL), et des filiales régionales (Île-de-France, Normandie et Bretagne), sous la forme de sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) regroupant chacune entre 4 et 10 cliniques (domicile professionnel d’exercice ou DPE) et permettant un management de proximité. Mon Véto compte aujourd’hui 30 cliniques, un effectif de 200 salariés (un peu plus d’auxiliaires spécialisés vétérinaires ou ASV que de vétérinaires), et son chiffre d’affaires est de 20 millions d’euros.
L’expansion de Mon Véto bénéficie, selon David Beciani, d’une modification du comportement des vétérinaires : « Au tout début, nous avons repris des cabinets de praticiens prenant leur retraite, restant en transition, déménageant, changeant de plan de carrière ; aujourd’hui, nous sommes sollicités par des structures dont les vétérinaires souhaitent poursuivre leur exercice, mais en étant intégrés au groupe sur du long terme. » Avec un objectif d’au moins cinq ou six nouvelles cliniques par an, au sein de grappes locales, Mon Véto œuvre pour rester le premier groupe de cliniques vétérinaires en France.

UNIVET : TOUT POUR ÊTRE LE LEADER DE DEMAIN

Fort d’une thèse sur le statut juridique, fiscal et social du vétérinaire, Christophe Navarro s’intéresse depuis lors à la manière de moderniser le métier en rassemblant des vétérinaires autour d’objectifs communs : une médecine de qualité, un engagement pour la biodiversité animale et la création de valeur partagée. De la théorie à la pratique, il développe ce projet en fusionnant et rachetant. Aujourd’hui, la société par actions simplifiée (SAS) Univet qu’il préside compte 19 cliniques dans les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône, un effectif de 65 salariés, 27 vétérinaires libéraux associés ; son chiffre d’affaires est de 9 millions d’euros et les capitaux extérieurs représentent 40 % de son capital : « En cohérence avec une profession viscéralement libérale et indépendante, notre actionnariat est très éclaté, sans détenteur majoritaire. Chaque actionnaire trouve ainsi un intérêt à la réussite collective et à la création de valeur. »
Attaché à son métier, Christophe Navarro exerce encore à mi-temps dans sa clinique et pense qu’une entreprise vétérinaire ne peut être dirigée que par un vétérinaire : « Notre modèle a été conçu par des vétos, pour des vétos, des entrepreneurs qui veulent participer à un projet professionnel commun et prendre en main le devenir de leur outil de travail dont ils détiennent la majorité du capital. Nous avons le modèle, les compétences et l’accompagnement nécessaires pour être le leader de demain, même si ce n’est pas une fin en soi. »

ARGOS : UN MODÈLE LOCAL SE VOULANT DUPLICABLE

Émeric Lemarignier est, lui aussi, l’un des pionniers des réseaux de cliniques en France. Après une tentative infructueuse de création d’une filiale de Familyvets en Aquitaine, en 2014 il crée Argos, qu’il préside. Une société par actions simplifiée (SAS) avec neuf domiciles professionnels d’exercice ou DPE (six cliniques et trois cabinets) dans la métropole bordelaise, dont sept créés. Le groupe, aidé par un fonds d’investissement, compte 25 salariés, dont 13 vétérinaires, parmi lesquels quelques associés ; son chiffre d’affaires est de 2 millions d’euros.
« L’esprit d’Argos, souligne son président, tient dans la proximité, avec des structures de taille modeste maillant un territoire, tout en offrant aux clients, par la densité et la complémentarité du réseau, un service plutôt haut de gamme. L’objectif, à moyen terme, est de démontrer que ce modèle est viable et duplicable. »


METAVET : FORTE CROISSANCE DÈS LA PREMIÈRE ANNÉE !

Créée en 2017, la société d’exercice libéral par actions simplifiée (Selas) Metavet s’est structurée par association de vétérinaires et intégration financière complète de leurs structures (domiciles professionnels d’exercice ou DPE) dans le groupe. Son capital de 16,5 millions d’euros s’est construit sur la base de la valorisation de ces structures ; aujourd’hui, elles sont neuf au capital, détenu à 95 % par 25 vétérinaires associés (20 libéraux et cinq collaborateurs libéraux) ; la Selas compte près de 120 employés, dont 15 vétérinaires et autant sur les fonctions supports ; son chiffre d’affaires sur le pôle cliniques est de 18 millions d’euros.
Disposant de puissants moyens techniques (un troisième appareil d’imagerie par résonance magnétique va entrer en production) et d’une gamme de pet food, Metavet investit substantiellement dans l’informatique : « Nous avons une base de données centrale des fichiers clients, dans un data center près de Paris, auquel toutes les cliniques sont reliées. Tous, où qu’ils soient à Metavet, accèdent ainsi au même dossier client et renseignent la même base médicale, ce qui simplifie la prise en charge et optimise la qualité des soins », explique Sébastien Roul, président de la société. Se donnant les moyens de faire fonctionner ensemble des cliniques à grande distance, Metavet, qui s’est d’abord développée en Bourgogne, puis étendue en région parisienne et à Lyon, entend concentrer ses efforts d’expansion sur cet axe, puis plus largement dans un second temps.

VÉTO ACCESS : UNE LICENCE DE MARQUE

Exception confirmant la règle, Véto Access n’est pas un réseau intégré de cliniques. C’est une licence de marque. Jean-François Stein l’a créée en 2016, après avoir consacré l’essentiel de sa carrière à l’accompagnement de cliniques dans leur développement, et constaté l’émergence d’un prix d’acceptabilité par une clientèle de plus en plus nombreuse. Véto Access est un réseau de cabinets à coût modéré, une quinzaine aujourd’hui, où sont proposées seulement des consultations vaccinales, d’identification et de médecine générale de première intention. Pour 12 000 € et 350 € de redevance mensuelle servant à la communication institutionnelle du réseau auprès du grand public, la société à responsabilité limitée (SARL) 100 % Véto de Jean-François Stein, qui détient cette licence, propose un ensemble de prestations de services : recherche d’un local, agencement, borne d’accueil, recrutement du vétérinaire, formation des personnels intervenants, procédures organisationnelles, accession en ligne, compte rendu de consultation, communication numérique. « Je ne vends que des prestations de services. Les cabinets appartiennent aux vétérinaires, qui peuvent, le cas échéant, référer à leur clinique mère, sans autre consultation à régler. »

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr