L’Anses se penche sur l’efficacité des traitements alternatifs - La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1762 du 04/05/2018

ANTIBIOTIQUES

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) souligne l’hétérogénéité des données actuellement disponibles pour évaluer l’efficacité et l’innocuité des traitements alternatifs aux antibiotiques en élevage. Elle recommande un statut juridique pour ces produits sans pour autant les considérer comme des médicaments vétérinaires.

Le plan ÉcoAntibio 1, publié en 2012, le prévoyait. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), à laquelle est adossée l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), a rendu public, le 27 avril, un état des lieux des alternatives aux antibiotiques en élevage. Dans ce rapport1 de plus de 200 pages comprenant des annexes détaillées, l’agence présente les résultats d’un travail de recensement des substances et préparations commerciales présentées, directement ou indirectement, comme des alternatives aux antibiotiques. Nombre de ces produits disponibles sur le marché sont en effet utilisés à titre curatif ou préventif. À noter que la saisine de l’Anses exclut les maladies parasitaires et s’intéresse uniquement aux maladies bactériennes. Dans son rapport, l’agence s’interroge sur leur efficacité et leur innocuité pour l’homme, les animaux et l’environnement. Son expertise porte sur un grand nombre de molécules, plantes, extraits de plantes ou encore microorganismes. Ce travail offre des pistes intéressantes de réflexions à engager tant sur le plan scientifique que réglementaire, mais l’Anses reconnaît que l’hétérogénéité et la variabilité des informations disponibles constituent une limite importante à cette évaluation. De même, le recensement effectué ne saurait être exhaustif.

Une grande variété de produits

Ce recensement a été effectué par un groupe de travail de l’Anses, qui donne une définition des termes “alternatives aux antibiotiques”. Une appellation « à comprendre dans un sens large pour identifier les produits et substances, ainsi que les modalités d’administration à recenser ». Cette notion englobe donc les produits et substances pouvant se substituer à des antibiotiques en élevage ou encore permettant de réduire la fréquence d’apparition de certaines maladies bactériennes. Le recensement des produits a reposé sur l’investigation de la presse professionnelle du monde de l’élevage. Dans son rapport, l’agence note une grande variété de produits et de substances utilisés comme des alternatives aux antibiotiques. Elle cible particulièrement les substances et les préparations commerciales qui revendiquaient, directement ou indirectement, être des solutions pour limiter l’usage des antibiotiques chez les animaux dans différentes filières animales (ruminants, volailles, porcs, lapins et poissons). « Les préparations commerciales se revendiquant comme des alternatives aux antibiotiques contiennent majoritairement des plantes, des huiles essentielles, des probiotiques, des acides organiques et/ou gras », souligne-t-elle. Les vaccins et les autovaccins ne sont pas pris en compte dans cette étude. Les familles les plus utilisées sont les extraits de plantes (28 %), les probiotiques (17 %), les acides organiques et les acides gras (13 %), les huiles essentielles (10 %) et les minéraux (10 %). « Le reste du recensement concerne des biocides (5 %), des prébiotiques (4 %), le colostrum ou la poudre de lait (3 %), des algues (2 %), des enzymes (1 %), des peptides (1 %), du plasma (1 %) ou des préparations commerciales dont la composition n’est pas précisée », indique l’Anses.

Une majorité cible la sphère digestive

Malgré la grande variété de produits recensés, l’agence note un point commun en ce qui concerne les allégations présentées. La majorité des 150 produits listés se focalisent en effet sur la sphère digestive, et ce quelle que soit l’espèce animale ciblée. L’Anses relève que les porcs sont les principaux destinataires des préparations commerciales, avec 69 citations sur 150, soit près de 50 % du total. Parmi les fonctions attribuées aux produits, 67 % concernent l’équilibre ou la restauration du microbiote digestif, 16 % s’adressent à l’état de santé global, 8,5 % revendiquent explicitement constituer des alternatives aux antibiotiques et 8,5 % associent divers types d’allégations. Arrivent en seconde position les ruminants, qui représentent moins de 20 % des citations relevées dans la presse professionnelle entre 2012 et 2014. La majorité des citations concerne les bovins (deux tiers), puis les caprins (un tiers). Tout comme les porcs, les indications digestives arrivent en premier, tandis que les préparations commerciales qui concernent la mamelle sont classées en seconde position. Les volailles, aussi bien de ponte que de chair, se classent au troisième rang en termes de citations. Encore une fois, la fonction digestive (ou appareil digestif) est la cible première. Les lapins, quant à eux, se positionnent au quatrième rang, avec une majorité des revendications portant sur la fonction digestive. En revanche, l’agence note un nombre limité de préparations commerciales destinées aux espèces d’élevage aquacole (poissons et crustacés). Par ailleurs, les préparations commerciales recensées ciblent aussi l’état de santé général (19 %), l’appareil respiratoire ou la glande mammaire (5 % dans chacun des cas), la peau (2 %), l’appareil urinaire (1 %), et l’appareil reproducteur ou locomoteur (0,6 % chacun).

Il est souligné que les chevaux ont été inclus dans le travail d’analyse de l’agence en particulier pour la rhodococcose du poulain et les diarrhées du cheval adulte. L’Anses explique ce choix par « l’importance de ces maladies au regard de l’utilisation d’antibiotiques ».

Les probiotiques, des produits prometteurs

L’efficacité et l’innocuité de ces produits pour les espèces animales cibles, l’homme utilisateur, l’homme consommateur de denrées alimentaires d’origine animale contenant de possibles résidus de ces produits, substances et microorganismes, et l’environnement, ont fait l’objet d’une évaluation par l’agence sur la base de la bibliographie scientifique disponible. Pour cela, l’Anses indique avoir mis au point une méthode d’évaluation des publications scientifiques portant sur la mesure de l’efficacité de substances permettant de diminuer le recours aux antibiotiques. Mais l’hétérogénéité et la variabilité de la base bibliographique constituent une limite importante à cette évaluation, selon l’agence. Elle souligne la nécessité d’engager une réflexion pour « définir, pour les principales filières animales concernées, les classes d’alternatives qui devraient faire en priorité l’objet de travaux approfondis pour lever les incertitudes sur leur efficacité et leur innocuité au moyen de méthodes appropriées ». À noter toutefois que, pour l’organisme, « les probiotiques apparaissent comme une famille de produits prometteuse puisqu’une majorité des publications analysées suggère des capacités à prévenir dans une certaine mesure les désordres digestifs dans de nombreuses espèces et donc à contribuer à la diminution du recours aux antibiotiques, en particulier chez le porcelet au sevrage ». En outre, il souligne que sa méthode d’évaluation devrait permettre aux interprofessions d’évaluer de nouvelles données scientifiques à venir, ou issues de recherches non publiées.

Un statut juridique spécifique

L’agence reste toutefois prudente en indiquant que les produits actuellement disponibles semblent être caractérisés par un effet de plus faible ampleur que celle des antibiotiques. « Cette situation constitue un défi important pour la recherche expérimentale, qui doit adapter ses protocoles à la mise en évidence d’effets de faible intensité ». L’Anses souligne à quel point ces besoins de recherche méthodologique comptent, pour asseoir les démonstrations sur des bases scientifiques solides. Par ailleurs, l’agence souhaite définir un statut juridique spécifique pour ces produits. Elle indique avoir amorcé une réflexion sur le positionnement réglementaire que pourraient avoir les différents produits étudiés, en prenant en considération les réglementations existantes et dans la perspective d’évolutions réglementaires ultérieures. Elle ajoute qu’en amont des travaux et des expérimentations, cette question doit nécessairement être portée au niveau européen « compte tenu de l’origine des dispositifs réglementaires régissant à la fois l’alimentation animale et le médicament vétérinaire ». Pour l’agence, cette réflexion est d’autant plus nécessaire qu’elle permettrait d’étudier la pertinence et la faisabilité de créer un statut spécifique pour les produits induisant la réduction de l’usage des antibiotiques sans les considérer comme des médicaments vétérinaires.

1 bit.ly/2FAIR8V.

Pour en savoir plus :

La Semaine Vétérinaire nos 1759 et 1760 des 13 et 20/4/2018, page 16, bit.ly/2HJzVjy.

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