Apprendre à cogérer avec la nouvelle génération - La Semaine Vétérinaire n° 1761 du 27/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1761 du 27/04/2018

COMMUNICATION

ÉCO GESTION

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD 

D’un côté, il y a des vétérinaires qui peinent à recruter. De l’autre, de jeunes professionnels qui se disent rapidement « dégoûtés » du métier. Comment promouvoir le mieux vivre et le mieux travailler ensemble ? Quelques pistes.

C’est après 1968 que des chercheurs anglais se sont penchés sur les différences de besoins, d’envies, de modes de pensées entre les générations successives, dans le monde du travail. « Dans la profession vétérinaire française, on ne s’interroge sur ce phénomène sociétal que depuis quelques années seulement », témoigne François Dommanget (47 ans), membre du groupe d’étude et de recherche en management (Germ), également vétérinaire canin sur l’île de Ré (Charente-Maritime). Et d’ajouter : « Il s’agit même souvent d’un intérêt plutôt subi que choisi, qui vient du fait que nombre de professionnels peinent à recruter et, encore plus, à maintenir de façon pérenne une équipe complète de travail. »

Ne pas mettre le jeune au pied du mur

Les clashs intergénérationnels débutent fréquemment dès l’arrivée du jeune recruté dans la structure. Souvent, le vétérinaire attend de son nouveau salarié qu’il se débrouille (comme autrefois…) quasiment d’emblée tout seul, pendant qu’il part soit en congés, soit en vacances. Alors que le jeune, lui, attend un véritable accompagnement. Sortie de la faculté de médecine vétérinaire de Liège en 2015, Audrey Bossin témoigne que plusieurs de ses amies « n’ont même pas tenu un an dans la profession ! Elles ont été directement dégoûtées du métier. Aujourd’hui, elles sont vétérinaires “autrement” : l’une travaille dans l’industrie agroalimentaire, une autre vend des appareils de chirurgie… Elles sont à 35 heures, et gagnent bien leur vie ».

Pourquoi Audrey Bossin, elle, a-t-elle tenu ? « Déjà, j’avais fait le sacrifice d’être plus autonome en suivant un an d’internat supplémentaire. Mais c’est un choix personnel. Aujourd’hui, si je reste dans la clinique de Courpière (Puy-de-Dôme), c’est parce que je suis avec des patrons plus âgés qui prennent le temps de me former, auxquels je peux poser des questions… Nos aînés disent qu’autrefois, ils se débrouillaient seuls. Mais, en cas d’erreurs, ils courraient aussi moins de risques de procès que les jeunes vétérinaires d’aujourd’hui. Je pense que la première demande des jeunes, c’est d’être formés sur le terrain, sans être exploités, ni au niveau des horaires ni de la rémunération. »

Une demande pour davantage d’égalité…

Autre grand classique de mésentente intergénérationnelle : la répartition des gardes, des jours fériés et autres week-ends… « Les jeunes attendent qu’elle s’effectue de façon égalitaire entre tous, témoigne François Dommanget. Mais lorsque ces derniers font leurs gardes, les anciens restent en astreinte, prêts à les aider en cas de problème. Les anciens ont souvent du mal à accepter qu’ils doivent faire des gardes en plus des astreintes, alors qu’à leur début ils ont fait eux-mêmes beaucoup de gardes dans l’optique de les diminuer plus tard. » À cet égard, la délégation des gardes à d’autres structures spécialisées semble de plus en plus plébiscitée, parmi les juniors comme d’ailleurs parmi les vétérinaires plus âgés. Reste à savoir si ce modèle pourrait être davantage généralisé ?

Entre les générations, la demande d’égalité passe aussi par d’autres facteurs : par exemple, que ce ne soit pas toujours aux mêmes que l’on propose des formations. Et si les jeunes vétérinaires posent fréquemment des questions aux anciens, pourquoi ne pas encourager également l’inverse ? Ce qui satisferait sans doute un peu leur envie « d’être sur le même plan ». Il semble tout à fait envisageable, par exemple, de nouer un échange de savoir intergénérationnel enrichissant pour l’utilisation des nouvelles technologies numériques.

Une attention portée à la vie privée

La génération “Y” attend aussi un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. En témoigne Sandra Marsac, praticienne en canine. Sortie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort en 2012, elle se dit aujourd’hui heureuse dans sa clinique de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) : « J’avais commencé à y travailler à plein temps, puis j’ai demandé à passer à quatre jours. Ma patronne a accepté, en embauchant un autre vétérinaire. Tous ici, salariés comme associés, nous prenons de façon égalitaire six semaines de vacances chacun. Tout va donc bien, parce que nous partageons les mêmes intérêts en matière d’organisation du temps de travail et des vacances. » Ne pas avoir des congés toujours imposés, pouvoir prendre ponctuellement une journée de repos (par exemple, pour assister à une réunion familiale lointaine) sont des demandes aujourd’hui courantes exprimées par les jeunes générations.

Vers un nouveau modèle de “décideurs salariés” ?

Aujourd’hui, les jeunes sont également davantage attirés par le salariat, alors que, pour nombre de leurs aînés, l’objectif premier était de devenir chef d’entreprise. « Le schéma d’avant, confirme François Dommanget, était que l’on s’intégrait à l’équipe plus restreinte des dirigeants d’une structure, à l’occasion de l’association. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes désirent plutôt devenir des décideurs salariés. »

« Je n’ai pas assez de courage pour m’associer !, reconnaît avec franchise Pauline Saby. Pour moi, c’est un trop grand engagement financier ». Sortie d’Oniris en 2012, elle est praticienne en canine depuis six ans, à Quesnoy-sur-Deûle, au nord de Lille. Et de reprendre : « Je suis la seule salariée, les quatre autres vétérinaires sont associés. » Ce qui ne l’empêche visiblement pas d’adorer son métier.

Quelles sont justement ses premières attentes ? « Avant tout, que l’on reconnaisse le travail que je donne. Même si, bien sûr, je ne fais pas certaines choses (comme rencontrer les laboratoires…), j’ai envie de m’investir dans la structure, en me sentant intégrée aux projets de l’équipe, en y aillant une marge de progression et en y étant considérée. » Naturellement, ses collègues lui diront quand cela ne va pas.

Être intégré dans une cogestion

Et quand tout va bien, « je veux aussi qu’ils continuent à me l’exprimer. Si un soir je rentre chez moi à 21 heures, au lieu de 19 heures, j’attends qu’on me dise au moins : “Tu as vu, on a bien travaillé”. Que ce ne soit pas complètement banalisé ».

« Il faut rassurer le jeune salarié sur la qualité de son travail », note justement le comité scientifique du Germ, dans une publication parue en novembre dernier1. Pour ajouter : « Anciennement, les choses étaient dites uniquement quand elles étaient mal faites. Actuellement, il est préférable d’indiquer clairement aussi lorsqu’elles sont bien faites. Dans touts les cas, l’employeur doit savoir donner un feedback, positif comme négatif. » Aussi, pour ce comité, les associés seniors doivent-ils savoir comment motiver le jeune salarié par leur exemplarité, leur dynamisme, et la présentation d’un objectif de vie attrayant. « Les dirigeants gagneront à intégrer le jeune vétérinaire dans tous les aspects de la gestion de la structure, à le former à cette gestion, comme s’il avait vocation à devenir associé, quelle que soit sa décision finale ». Et même si le risque qu’il aille exercer ailleurs reste bien réel !

1 Chapitre sur la communication intergénérationnelle, à télécharger sur bit.ly/2vgn9qY.

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