Le rapport du CGAAER a-t-il convaincu ? - La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018

ÉCOLES VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : TEXTE DE TANIT HALFON 

Le dernier rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) s’est penché sur les moyens permettant de développer la médecine spécialisée des animaux de compagnie et de sport dans les écoles nationales vétérinaires. Dans ces dernières, l’accueil qui lui est réservé oscille entre satisfaction, prudence et inquiétudes. Trois directeurs d’école nous donnent leur avis.

LE POINT DE VUE  D’ISABELLE CHMITELIN 

« IDENTIFIER LES OBJECTIFS DE L’ÉCOLE EST UN PRÉALABLE INDISPENSABLE »

J’estime ce rapport de grande qualité. Exhaustif dans la limite du champ qu’il couvre, il a le mérite d’aller jusqu’au bout dans la démonstration des propositions recommandées. La première, qui consiste à identifier la direction que l’établissement veut prendre en matière d’effectifs de spécialistes et de disciplines représentées, reste la plus importante à mes yeux. Par exemple, pour certaines disciplines, il peut être préférable de faire intervenir des spécialistes extérieurs. À Toulouse, c’est le cas, par exemple, en neurologie. Pour d’autres disciplines, leur développement, via le recrutement d’un vétérinaire spécialiste, n’est pas forcément une priorité. Pour autant, les outils proposés par les auteurs du rapport posent plusieurs questions. Aujourd’hui, la carrière professionnelle d’un enseignant-chercheur non clinicien est facilitée par rapport à celui évoluant dans une spécialité clinique. Demain, en appliquant le modèle proposé, et notamment la filiale, les cliniciens pourraient être favorisés en matière de rémunération, au risque de créer une fracture entre disciplines. Une solution, qui serait de verser des primes supplémentaires aux non-cliniciens, n’est pas sans poser des problèmes juridiques. De plus, la création d’une filiale pourrait amener les écoles vétérinaires à entrer en concurrence directe avec les structures privées.

LE POINT DE VUE  D’EMMANUELLE SOUBEYRAN 

« CE RAPPORT EST DE QUALITÉ »

Ce rapport est globalement bien accueilli à VetAgro Sup. D’abord parce qu’il décrit de manière précise le contexte de la spécialisation vétérinaire en France. Ensuite, parce qu’il analyse assez justement la situation des écoles vétérinaires. Il a aussi le mérite de mener un travail de prospection en identifiant plusieurs axes d’évolution de la spécialisation. Il estime en particulier que la demande sera croissante en matière de spécialisation en France ainsi que de formation continue vétérinaire dans ces domaines. À mon sens, toutes les propositions sont intéressantes, certaines plus originales que d’autres, comme l’idée de la filiale ou les consultations de droit privé. Elles méritent une réflexion approfondie quant à leur mise en œuvre, notamment en prenant garde de vérifier que les options proposées sont bien compatibles avec la mission d’enseignement des écoles vétérinaires. Tout ce que nous envisagerons de mettre en place devra être pensé pour servir nos étudiants et, in fine, la profession vétérinaire. Si certaines des recommandations peuvent comporter des risques de dérive, réfléchissons à la façon dont nous pourrions les diminuer. Ce travail d’analyse du rapport a débuté et je souhaite qu’il soit mené en concertation entre les quatre écoles vétérinaires.

LE POINT DE VUE  DE CHRISTOPHE DEGUEURCE 

« IL APPORTE DES SOLUTIONS PLEINES DE BON SENS… AU PREMIER ABORD »

Les mesures proposées dans le rapport peuvent sembler évidentes, au premier abord. Mais à y regarder de plus près, se dessinent des effets secondaires qu’il conviendra de bien évaluer. Une filialisation ne pourrait-elle pas amener à considérer les étudiants comme malvenus dans les consultations ? L’objectif d’une filiale n’est pas de faire de la recherche et de l’enseignement, mais bien de se placer dans la sphère du secteur privé. Former des étudiants implique des temps longs, et amène forcément à une activité moins rentable. La juxtaposition proposée sur un même site des modèles public et privé posera aussi des questions sociales majeures, dans le sens où elle créera un décalage important en matière de statut et de rémunération entre les employés de droit privé et public. In fine, ne risque-t-on pas d’arriver à des spécialistes gagnant beaucoup plus que des enseignants-chercheurs cliniciens disposant, en plus de leur diplôme de spécialiste, d’une thèse d’université ? Par ailleurs, je tiens à rappeler que les écoles nationales vétérinaires n’ont pas attendu ce rapport pour se mobiliser. À Alfort, nous nous inscrivons depuis longtemps dans une démarche d’optimisation de la gestion de nos plateformes, dans un cadre public, ce qui nous permet aujourd’hui d’être en situation d’équilibre financier. Nous disposons d’une coordinatrice des plateformes issue du secteur privé et recrutons pour septembre une professionnelle, titulaire d’un master en management des structures hospitalières, afin d’assurer la gestion de l’hôpital des animaux de compagnie. Par ailleurs, nous collaborons avec des vétérinaires spécialistes installés en ville, qui apportent au système une valence très appréciable. Dans le domaine de la recherche clinique, la présentation d’une société universitaire de recherche (SUR) comme moyen de la développer ne me semble pas couler de source. J’ai tendance à penser qu’une structure privée, donc orientée vers la rentabilité, sera davantage portée sur des activités de développements industriel et commercial que sur la recherche clinique proprement dite. Les deux sont très complémentaires et ont chacune leur noblesse, mais il n’est pas certain que la SUR donnera à la recherche clinique complexe les moyens de se développer. Bref, ce rapport a le mérite de proposer des pistes pour une réflexion qu’il faut encore mûrir.


À ONIRIS, LES RÉFLEXIONS SONT EN COURS

À Oniris, les réflexions sont en cours
Sollicitée par nos soins, la direction d’Oniris (Nantes) n’a pas souhaité répondre, pour le motif suivant : « Les éléments du rapport et les questions posées font et vont encore faire l’objet de discussions et concertations au sein des écoles vétérinaires dans les jours et les semaines à venir. Nous préférons donc ne pas anticiper les conclusions de ces discussions. »

POUR LA DGER, LA FORMATION INITIALE CLINIQUE N’EST PAS MENACÉE

Sollicité par nos soins, Jérôme Coppalle, sous-directeur de l’enseignement supérieur à la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), a souligné que l’objet du rapport n’était pas celui de la formation initiale des vétérinaires, clairement identifiée comme « une mission de service public des écoles nationales vétérinaires définie par la loi, au premier alinéa de l’article L.812-1 du Code rural et de la pêche maritime »1. Il précise ainsi que « le référentiel professionnel des études vétérinaires a été récemment rénové » et que la « formation clinique de haut niveau suppose une exposition des étudiants à un nombre suffisant de cas cliniques, en grande partie liés à l’activité des centres hospitaliers des écoles nationales vétérinaires (ENV) ». À la question de l’accentuation possible d’un désengagement de l’État face à des établissements publics qui augmenteraient leurs fonds propres, il rappelle que le rapport « ne concerne pas la mission de service public des ENV, financée en grande partie par l’État ».

1 bit.ly/2IMeHl3.

LE COLLÈGE EUROPÉEN, ACADÉMIE COMPATIBLE ?

En ne prenant en compte que les membres des collèges européens et pas les titulaires des DESV (diplôme d’études spécialisées vétérinaires), le rapport en a contrarié certains. Pour autant, comme le souligne Isabelle Chmitelin, directrice de l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), « le développement des collèges est déjà un fait bien établi ». Dans le rapport, les auteurs notent d’ailleurs que « la formation européenne par compagnonnage s’est établie comme la référence ». De plus, ils soulignent l’intérêt du collège européen pour un enseignant-chercheur (EC), lui permettant d’encadrer un résident « dont la présence dans une unité clinique est unanimement reconnue comme très positive tant pour le niveau scientifique de l’unité que pour son rayonnement et que pour la valeur ajoutée à la formation dans la discipline ». Lorsque les auteurs proposent l’idée de contrats de praticiens hospitaliers, ils soulignent que ce dispositif ne peut être envisagé que conjointement avec un renforcement du nombre de spécialistes chez les EC, qui passerait par des recrutements et des contrats avec une « double exigence » : thèse de doctorat et collège européen. Une réflexion qui va dans le sens d’un précédent rapport1 sur les enseignants-chercheurs de l’enseignement agricole de 2016, qui recommandait de « reconnaître explicitement, pour les concours de maître de conférences, les diplômes délivrés par les collèges européens de spécialités vétérinaires », sans avoir à passer par une procédure de dérogation.« Actuellement, être spécialiste n’est pas un prérequis pour devenir enseignant-chercheur », précise Isabelle Chmitelin. D’après le décret2 n° 92-171 du 21 février 1992, l’enseignant-chercheur (EC), qui peut être soit maître de conférences soit professeur, doit être au minimum3 titulaire d’un doctorat d’État, impliquant une thèse universitaire de trois ans. Pour autant, des dérogations sont possibles, et la Commission nationale des enseignants-chercheurs peut ainsi être amenée à autoriser à concourir pour un poste d’EC les vétérinaires membres d’un collège européen, notamment pour les disciplines cliniques. Quand on sait que les collèges européens sont encadrés par une structure associative privée, l’European Board of Veterinary Specialisation (EBVS), rendre obligatoire le collège européen pour devenir fonctionnaire peut amener à se poser des questions.

1 bit.ly/2qtlh9B.
2 bit.ly/2qlM1sm.
3 Devenir professeur implique aussi d’être titulaire d’une habilitation à diriger les recherches (HDR).

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