Le flypyradifurone affecte le goût et la cognition des abeilles - La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018

RECHERCHE

PRATIQUE MIXTE

Formation

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Des chercheurs1 de l’université de Würzburg (Allemagne) ont évalué les effets du flypyradifurone sur le goût pour le sucre et les performances cognitives de Apis mellifera carnica. Ce composé est utilisé comme pesticide contre les insectes ravageurs et notamment contre ceux ayant développé une résistance vis-à-vis des néonicotinoïdes. Autorisé depuis 2015 dans l’Union européenne (UE), et déjà commercialisé aux États-Unis, il n’est pas encore employé dans les États membres de l’UE. Son mode d’action est identique à celui des autres néonicotinoïdes, à savoir qu’il agit comme agoniste réversible aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAchR) des insectes. Pour autant, ses sites de liaisons diffèrent de celui de ces pesticides. L’objectif de l’étude est de savoir si la molécule peut altérer le goût des abeilles pour le sucre, ainsi que leur capacité d’apprentissage tactile et olfactif et leur mémoire. Les performances cognitives permettent aux abeilles de relocaliser les ressources en nectar et en pollen, de les collecter efficacement et de se déplacer avec précision lors du butinage. De plus, en perturbant leur goût pour le sucre, le risque est que les abeilles ne trouvent pas de source acceptable pour le nectar. Les auteurs soulignent d’ailleurs que des études sur l’imidaclopride avaient montré l’existence d’effets sublétaux, dont des perturbations dans la cognition des abeilles.

Usage du réflexe d’extension du proboscis

L’étude se déroule entre mai et juin 2017. Des abeilles sont capturées au retour du butinage, à l’entrée d’une ruche de l’université, et les chercheurs différencient les butineuses de pollen et celles de nectar. Les deux sont ensuite soumises au test du réflexe d’extension du proboscis (REP)2. Ce test s’appuie sur un réflexe naturel de l’abeille, qui est d’étendre sa trompe en réponse à une stimulation des antennes à l’aide d’une solution sucrée. Dans un premier temps, les butineuses sont anesthésiées, puis scotchées à un fixateur, de telle sorte qu’elles ne peuvent pas s’échapper, tout en étant libres de leurs mouvements d’antennes et de trompe. Plusieurs groupes sont constitués. Le groupe témoin est nourri d’une solution sucrée à 50 %. Trois autres groupes reçoivent une solution contenant du flypyradifurone à 8,3 x 104 mol/l (F1), 8,3 x 105 mol/l (F2) ou 8,3 x 106 mol/l (F3), des doses que les chercheurs avaient identifiées comme étant sublétales. Dans une première expérimentation, le REP est utilisé pour quantifier la réponse gustative de chaque abeille exposée à une série de solution sucrée de plus en plus concentrée (0,1 %, 0,3 %, 1 %, 3 %, 10 % et 30 %). Une deuxième expérience consiste à conditionner les abeilles à répondre à un stimulus olfactif. Pour ce faire, elles sont soumises à deux odeurs différentes, de 1-hexanol et de 1-nonanol. La première odeur est associée à la présentation aux abeilles d’une solution sucrée à 30 % afin de déclencher le REP3. La deuxième odeur n’est associée à aucune solution sucrée. La mémoire des abeilles est ensuite testée 24 heures après ce conditionnement, en les soumettant de nouveau aux deux odeurs et en enregistrant l’occurrence du REP.

Des effets dose-dépendants

La première expérience montre une augmentation dose-dépendante du REP, indiquant une préférence des abeilles pour les solutions les plus sucrées. De plus, seuls les individus4 du groupe F1 répondent significativement moins fréquemment à la présentation des différentes solutions sucrées, en comparaison avec le groupe témoin, révélant ainsi que le flypyradifurone réduit le goût pour le sucre. Lors du conditionnement, une baisse significative du REP des individus du groupe F1 seulement est observée, en comparaison avec le groupe témoin, montrant que le composé inhibe la performance d’apprentissage. La deuxième partie de l’expérience, 24 heures après le conditionnement, révèle une baisse significative des réactions des butineuses de pollen du groupe F1 seulement, ce qui reflète un impact négatif sur le processus de mémorisation. Dans ce groupe, bien que la tendance soit aussi à la baisse chez les butineuses de nectar, les résultats obtenus ne sont pas significativement différents de ceux du groupe témoin. Selon les auteurs, ces résultats, qui mettent en évidence une similitude dans les effets induits par le flypyradifurone et l’imidaclopride, sont en faveur de l’implication de l’acétylcholine dans les processus de transmission des signaux de goût et d’olfaction au cerveau. Malgré tout, les chercheurs soulignent qu’il est peu probable qu’une abeille soit exposée aux doses testées dans la nature et concluent qu’un usage approprié du pesticide pourrait être considéré comme sans danger, au moins en respectant les conditions de l’étude. Un pesticide n’étant cependant jamais utilisé seul, les scientifiques jugent raisonnable de poursuivre les investigations sur les effets du flypyradifurone en tenant compte des effets combinés entre pesticides, et en évaluant des comportements plus complexes, et sur le long terme.

1 go.nature.com/2JE2pww.

2 bit.ly/2GStXw2.

3 Dans ce cas, les abeilles sont autorisées à absorber la solution sucrée pendant quelques secondes.

4 Que ce soient les butineuses de nectar ou de pollen.

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