Indications de la ciclosporine chez le chat - La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1759 du 06/04/2018

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

La ciclosporine est un immunomodulateur initialement développé en médecine humaine en tant qu’immunosuppresseur pour prévenir le rejet de greffe après transplantation. En dermatologie humaine, elle est également utilisée dans la prise en charge de la dermatite atopique et du psoriasis. En médecine vétérinaire, la ciclosporine est indiquée dans le traitement de la dermatite atopique canine depuis les années 2000. Son utilisation avec autorisation de mise sur le marché (AMM) chez le chat lors de dermatoses allergiques chroniques est plus récente.

Mode d’action

L’intérêt de la ciclosporine dans la gestion des manifestations allergiques cutanées repose sur des actions immunologiques et anti-inflammatoires spécifiques. Elle agit directement sur les lymphocytes T (helper et cytotoxiques) en inhibant leur activation, leur prolifération et leur synthèse de cytokines (IL-2, 4, 5, 6, 8 et 13, GM-CSF, IFN-γ). Cela a pour conséquence d’altérer indirectement l’activité des lymphocytes B, cellules présentatrices d’antigènes, mastocytes, polynucléaires basophiles et éosinophiles impliqués dans les phénomènes inflammatoires et les réactions cutanées allergiques. La ciclosporine a également une action directe sur ces cellules (diminution de leur nombre et de leur activité) et limite leur recrutement sur le site de l’inflammation ainsi que la libération de médiateurs pro-inflammatoires. La ciclosporine inhiberait en particulier la dégranulation des mastocytes.

Données pharmacologiques

Après administration orale, la concentration maximale sanguine de ciclosporine est atteinte en 1 à 2 heures. Elle est principalement métabolisée par le foie et éliminée par voie biliaire avec une implication rénale minimale. Sa demi-vie d’élimination est de 8 heures environ. Le moment de l’administration par rapport au repas n’a pas d’influence sur la résorption de la ciclosporine chez le chat. Chez le chien, l’utilisation conjointe du kétoconazole (5 à 10 mg/kg) permet de réduire de 50 à 70 % la dose efficace de ciclosporine à administrer. Chez le chat, il a été montré que l’association de kétoconazole (10 mg/kg) a permis de doubler la concentration sanguine de ciclosporine 12 heures et 24 heures après son administration, ainsi que son temps d’élimination (jusqu’à 20 heures) et donc de réduire de 50 % la dose à administrer. Combiner ciclosporine et itraconazole permettrait la même action. Cette utilisation hors AMM doit être raisonnée et est à contrebalancer avec le risque de favoriser l’émergence de résistances aux antifongiques et le coût global du traitement.

Indications

En France, la ciclosporine est indiquée dans le traitement des manifestations cliniques lors de dermatite allergique chronique chez le chat. Son efficacité a été reconnue lors de prurit cervico-facial et d’alopécie auto-induite féline, lors de complexe granulome éosinophilique félin, lors de dermatite miliaire, mais aussi lors de prurit idiopathique.

Bien que développée pour le traitement symptomatique des dermatites allergiques chez le chat, l’efficacité de la ciclosporine a été montrée dans une moindre mesure lors de diverses dermatoses inflammatoires ou à médiation immune incluant la dermatite faciale du persan, les (pyo)granulomes stériles, la pseudopelade, la pododermatite lymphoplasmocytaire, l’urticaire pigmentaire, l’adénite sébacée, le pemphigus foliacé ou érythémateux.

Protocole d’utilisation

La dose usuelle initiale recommandée est de 7 mg/kg/j, mais les doses efficaces rapportées dans la littérature varient entre 25 et 50 mg/chat par jour (soit des doses allant de 4 à 13 mg/kg par jour). Différentes études démontrent que l’utilisation de la ciclosporine permet une réduction de plus de 50 % des signes cliniques et du prurit chez 40 à 60 % des individus traités au bout d’un mois de traitement. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus avec la prednisolone. L’action de la ciclosporine est plus ou moins rapide selon les signes cliniques. Dès 10 jours, une diminution significative du prurit peut être observée, mais la rémission complète des lésions peut nécessiter jusqu’à 2 à 3 mois. La réponse thérapeutique lors d’ulcère atone semble plus aléatoire que lors de plaque éosinophilique ou de granulome linéaire.

La fréquence d’administration peut être réduite à tous les 2 jours puis deux fois par semaine chez une grande majorité des chats traités. Plus de 70 % d’entre eux voient leur traitement passer à une administration tous les 2 jours au bout de 4 semaines et 50 à 60 % à deux fois par semaine à nouveau 4 semaines plus tard. Certains animaux, minoritaires (7 %), nécessitent tout de même un retour à une administration quotidienne.

Effets indésirables

De façon générale, la ciclosporine est considérée comme très bien tolérée chez le chat.

Des effets indésirables peuvent cependant apparaître chez deux tiers des sujets traités quotidiennement dans un intervalle compris entre 1 et 8 semaines après administration et sont le plus souvent constitués d’épisodes brefs et uniques, d’intensité modérée, et disparaissent spontanément. À court terme, ils incluent surtout des signes digestifs tels qu’une diarrhée ou des vomissements (25 à 35 %). À long terme, on observe parfois une perte de poids (15 à 20 %), de l’anorexie plus ou moins liée à une lipidose hépatique (2 à 15 %), mais également des modifications comportementales (agressivité, hyperactivité – 10 %) et une hyperplasie gingivale (2 à 4 %).

Ces effets augmentent en fréquence avec la dose et la durée du traitement et se résolvent après diminution de la dose ou arrêt du traitement. Une fois la fréquence d’administration diminuée à tous les 2 jours ou deux fois par semaine, seuls 25 % des animaux déclarent au moins un effet secondaire dû à la ciclosporine.

Précautions d’emploi

Quelques cas laissent supposer une association entre administration de ciclosporine et déclenchement d’une toxoplasmose clinique. Il est en effet possible que des signes cliniques de toxoplasmose soient plus graves sur un chat s’infectant pour la première fois, alors qu’il est sous traitement à base de ciclosporine. Ainsi, d’une manière générale, l’un des auteurs (Patrick Bourdeau) conseille de tester systématiquement par sérologie quantitative tout chat devant être traité par la ciclosporine afin de connaître son statut et de prendre des précautions chez les chats séronégatifs. Dans ce dernier cas de figure, il pourrait être recommandé de garder les chats concernés en intérieur, de leur éviter tout contact avec les selles d’autres chats, insectes, oiseaux ou rongeurs et de ne pas leur faire consommer de viande crue. Ces mesures peuvent également être suivies et associées à des mesures préventives d’hygiène chez les chats séropositifs.

Enfin, il est recommandé d’éviter l’usage de la ciclosporine chez des individus ayant une affection tumorale ou immunodépressive (FeLV, FIV1, diabète, insuffisance rénale). Sa sécurité d’emploi chez des animaux âgés de moins de 6 mois ou de moins de 1,4 kg n’a pas été étudiée. Pour les mêmes raisons, il convient également d’éviter son emploi chez des chattes gestantes ou en lactation.

1 Virus de la leucose féline, virus de l’immunodéficience féline.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur bit.ly/2JtH34V.

Thomas Brément Résident ECVD à Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique).

Patrick Bourdeau Diplomate EVPC et ECVD, professeur à Oniris.

Vincent Bruet Diplomate ECVD, maître de conférences à Oniris.

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