La filière recherche en quête de vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 1758 du 06/04/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1758 du 06/04/2018

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

En dépit des initiatives nouvelles lancées dans les écoles nationales vétérinaires pour promouvoir la recherche, de nombreux freins s’opposent encore à son développement. Explications.

Une vocation à construire

Actuellement, près d’un quart des vétérinaires inscrits à l’Ordre n’exercent pas comme praticiens. Cependant, comme le souligne le rapport Vetfuturs1, publié en janvier dernier, même si le diplôme vétérinaire permet d’exercer de nombreux métiers, l’image du vétérinaire auprès du grand public est la plupart du temps réduite à celle du praticien soignant les animaux de compagnie et les animaux sauvages emblématiques. Et d’une façon générale, il semble que la profession, orientée surtout vers l’exercice libéral, porte peu d’intérêt à la recherche vétérinaire. Si bien que les jeunes étudiants vétérinaires qui arrivent en écoles sont souvent peu renseignés sur la diversité des débouchés proposés, notamment sur la carrière de chercheur : « Même si de nouvelles initiatives voient le jour 2 , ils souhaiteraient en être mieux informés au cours de leur cursus ».

La pratique de la médecine vétérinaire est souvent une vocation de longue date à leur arrivée en école. Et même si la carrière de chercheur pourrait les intéresser pendant leur parcours scolaire, ils hésitent généralement à choisir cette voie, peu valorisée et non tracée, qui les empêche de bénéficier d’une expérience clinique en dernière année d’école et les contraint à poursuivre leurs études plus longtemps.

Des études longues et peu attractives

La France est d’ailleurs actuellement l’unique pays de l’Union européenne où il faut sept ans et non cinq pour être diplômé vétérinaire. Un étudiant qui développe le projet d’être enseignant-chercheur dans une école nationale vétérinaire (ENV) a donc, au minimum, 10 ans d’études préalables à accomplir3, avec des perspectives de rémunérations peu attrayantes4. Les chercheurs français peuvent aussi peiner à retenir dans les laboratoires des ENV certains étudiants vétérinaires qui préfèrent poursuivre leurs étudeset même exercer à l’étranger. En effet, il existe dans certaines disciplines, notamment en recherche clinique, de réelles carences d’écoles doctorales vétérinaires. Ces dernières ont d’ailleurs été soulignées dans le rapport sur la spécialisation de la médecine vétérinaire rendu par le CGAAER. Marie Hanin (ENV d’Alfort, 2016), jeune vétérinaire ayant choisi la filière recherche en dernière année d’école, interrogée à ce sujet, nous confirme cela : « Une de ces raisons pour laquelle je suis partie faire de la recherche en Angleterre était que la thématique qui m’intéressait n’était pas proposée en France. » En l’occurrence le concept One Health.

Un manque de soutien politique et financier

On comprend donc pourquoi les étudiants sont souvent peu enclins à s’orienter dans cette filière. Et ce n’est pas les actions politiques menées jusqu’à présent qui permettront de faire changer cela. Ainsi, le nouveau référentiel de diplôme vétérinaire, sorti en décembre 20175, n’évoque même pas cette voie d’orientation.

Par ailleurs, la priorité actuelle des actions menées par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation est d’encourager l’orientation des étudiants vétérinaires vers la pratique rurale. Cependant, comme le souligne Laurent Tiret6, « si l’on favorise exclusivement l’orientation clinique des vétérinaires, la pratique deviendra obsolète. La profession est dynamisée par les découvertes de la recherche qui lui permettent de bénéficier en permanence de nouveautés ».

La recherche vétérinaire, principalement clinique, souffre aussi d’un manque de moyens financiers. Cela a ainsi été mis en évidence par le rapport du CGAAER, qui ajoute que, concernant les animaux de compagnie, la recherche clinique est orpheline d’un grand institut de recherche partenaire, l’Inra7 s’intéressant aux animaux de rente et l’Inserm8 à la santé humaine. Les enseignants-chercheurs cliniciens des différentes ENV éprouvent donc souvent beaucoup de difficultés à mettre en œuvre leur mission de recherche.

Un rayonnement mondial insuffisant

La qualité des travaux menés dans les ENV françaises est aujourd’hui peu connue et reconnue à l’échelle internationale. La concurrence est rude et, pour perdurer, les équipes de chercheurs ont besoin de briller sur la scène internationale, notamment par le biais de classements réputés9. Ainsi, le classement académique des meilleures universités mondiales publié chaque année depuis 2003 par l’université Jiao Tong de Shanghai, bien que souvent critiqué, s’est imposé comme une référence. Il tient compte notamment des publications scientifiques des établissements et se veut donc être le reflet de la qualité des travaux de recherche (encadré). Ce dernier est très peu favorable aux ENV françaises, dont seules celles d’Alfort (49e place) et de Toulouse (52e place) sont classées pour la première fois en 2017. Pour expliquer cela, Cécile Adam met en évidence dans sa thèse10 le fait que, chaque ENV française n’étant pas rattachée à une seule université avec une signature de toutes ses publications avec ce seul nom, il y a par conséquent un jeu croisé des signatures, notamment avec les établissements de recherche partenaires, tel que l’Inra, non pris en compte dans ce classement. En outre, toutes les ENV n’ont pas une dénomination connue à l’échelle internationale ; ainsi les dénominations actuelles d’Oniris et de VetAgro Sup ne sont pas identifiées.

À l’échelle de l’Union européenne, un appel à projet a été lancé récemment, afin de mettre au point son propre classement, sans répéter les erreurs concernant les critères des classements existants.

La culture du classement et l’appréhension des cahiers des charges de ces organismes internationaux de ranking sont des nouveautés pour l’enseignement vétérinaire français, qui devra donc y mettre l’accent à l’avenir, pour pouvoir rayonner mondialement. « Pour exister à l’échelle européenne et mondiale et disposer d’une élite scientifique en recherche, il faut une reconnaissance académique », souligne Renaud Tissier, directeur scientifique de l’ENVA. Et il met en garde contre des initiatives telles que la création d’un institut commun de recherche, Agreenium11, si l’objectif est de fusionner les travaux des quatre écoles vétérinaires sous une même dénomination qui les empêcherait de figurer dans les classements mondiaux.

1 bit.ly/2GZe0VG.

2 Lire pages 48 à 53 de ce numéro.

3 Voir La Semaine Vétérinaire nos 1538 et 1539 des 3 et 10/5/2013, pages 27 à 32.

4 Rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) n° 17014. Développement de la médecine vétérinaire spécialisée des animaux de compagnie et animaux de sport dans les écoles nationales vétérinaires. Mars 2018.

5 bit.ly/2GZe0VG.

6 Université Paris-Est Créteil (Upec), Val-de-Marne, Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB).

7 Institut national de la recherche agronomique.

8 Institut national de la santé et de la recherche médicale.

9 Le Times Higher Education World University Rankings depuis 2004, le US News and World Report depuis 2010, le Reitor Global Universities Ranking depuis 2009, le Leiden Ranking depuis 2008, etc.

10 Cécile A. « La recherche scientifique dans les écoles vétérinaires françaises : développement historique et situation actuelle (2000-2010) vue par les indices bibliométriques ». Thèse de doctorat vétérinaire, ENVT, 2013.

11 agreenium.fr.

LES SIX PRINCIPAUX CRITÈRES UTILISÉS PAR LE CLASSEMENT MONDIAL DE SHANGHAI

- Le nombre de diplômés ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields.
- Le nombre de professeurs ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields.
- Le nombre de chercheurs les plus cités (dans leur champ de recherche).
- Le nombre de publications dans les revues scientifiques Science et Nature.
- Le nombre de publications rattachées à l’université.
- La pondération des cinq critères précédents, divisée par le nombre d’enseignants-chercheurs de l’établissement.
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