Intérêt des compléments nutritionnels lors de dermatoses allergiques - La Semaine Vétérinaire n° 1757 du 30/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1757 du 30/03/2018

SYNTHÈSE

PRATIQUE CANINE

Formation

Le maintien d’un pelage et d’une peau en bonne santé est lié à l’apport de certains facteurs nutritionnels, promoteurs du bon fonctionnement de la barrière cutanée. Les besoins en ces apports supplémentaires sont variés et leurs effets multiples. Ils peuvent être inclus directement dans la composition d’aliments diététiques spécialement élaborés ou se présenter comme des compléments nutritionnels. Cet article se focalise sur l’intérêt d’un apport en acides gras essentiels (AGE) et en probiotiques dans le traitement et la prévention des dermatoses allergiques.

Acides gras essentiels

Rôle

Les acides gras essentiels entrent dans la composition des membranes plasmiques et jouent un rôle fondamental dans la régulation des pertes hydriques et de la prolifération épidermique. À l’instar de ce qui est observé chez l’homme, la barrière cutanée est défectueuse lors de dermatose inflammatoire, notamment allergique. Cela se traduit par une perte hydrique transépidermique significativement supérieure à celle mesurée chez des individus sains, lors de dermatite atopique chez le chien ou lors de dermatite allergique non liée aux puces et non liée à l’alimentation chez le chat. De plus, la perte hydrique est significativement supérieure au niveau des zones lésées comparées aux zones saines chez des chiens atopiques. Chez le chien atopique, ces altérations de la barrière sont corrélées à plusieurs facteurs structuraux, dont une diminution de la composition de la matrice lipidique en céramides, et à des anomalies structurelles du stratum corneum ainsi qu’une diminution de l’expression de la filaggrine (protéine intervenant dans la cohésion de la kératine dans la couche cornée), voire une mutation de son gène codant chez certains individus. Le dysfonctionnement de la barrière cutanée peut mener à une exposition augmentée aux allergènes et à une réduction de l’efficacité antimicrobienne de la barrière cutanée. La restructuration de cette dernière est donc un axe majeur dans la gestion des dermatoses allergiques chez le chien et le chat. L’intérêt d’une complémentation alimentaire en acides gras (oméga 3) dans le renforcement de cette barrière a d’ailleurs été montré dans la gestion des dermatoses allergiques chez le chien et, dans une moindre mesure, chez le chat.

Mécanisme d’action

La complémentation en acides gras essentiels peut se faire sous forme de compléments alimentaires ou par l’utilisation d’aliments thérapeutiques enrichis en acides gras de la famille des oméga 3 et 6. Les objectifs et les avantages d’une telle complémentation sont relativement bien référencés dans la littérature chez le chien, notamment lors de dermatite atopique canine. En revanche, chez le chat, peu de données sont disponibles et les principales indications dermatologiques rapportées dans la littérature sont les dermatoses inflammatoires (dermatite miliaire, complexe granulome éosinophilique félin) associées à un état allergique (DHPP1, allergie alimentaire, hypersensibilité non liée aux puces ou non liée à l’alimentation). Leurs actions sont probablement variées. Chez le chien, les acides gras ont une activité anti-inflammatoire en inhibant la production des eicosanoïdes (prostaglandine E2 et leucotriènes B4), l’activation des cellules de l’inflammation et la libération de cytokines pro-inflammatoires et permettraient de restaurer la structure et de normaliser la fonction de la barrière cutanée. De plus, les acides gras semblent réguler en partie le métabolisme des mastocytes. Ils entrent dans la composition de leur membrane plasmique et l’incorporation d’acides gras insaturés dans la membrane de mastocytes canins est possible par une supplémentation nutritionnelle en acides gras polyinsaturés. Cette réorganisation de la structure de la membrane des mastocytes par l’utilisation d’oméga 3 est corrélée à une diminution de la libération d’histamine, de la production de prostaglandine E2 et à une activité anti-inflammatoire. Chez le chat, une étude a récemment montré une action anti-inflammatoire et immunomodulatrice (lymphopénie) des AGE (oméga 3 et 6) lorsqu’ils sont administrés par voie orale.

Efficacité

Les AGE semblent donc agir de façon bénéfique sur trois des principaux axes de la pathogénie de la dermatite atopique canine (la barrière cutanée, l’action des mastocytes et l’inflammation) et apparaissent comme des outils intéressants sur le plan clinique. Des études montrent qu’une supplémentation en AGE est corrélée à une amélioration du score clinique et du prurit in vivo. Cette amélioration reste cependant modérée, 20 à 50 % des chiens ayant une amélioration de plus de 50 % du score clinique et du prurit. L’optimisation du ratio oméga 3/oméga 6 dans la supplémentation reste une interrogation. S’il était initialement considéré comme important dans la régulation de l’inflammation, il n’apparaît aujourd’hui pas comme un facteur déterminant dans l’amélioration clinique. De plus, le délai avant l’observation d’une action positive est long (plus de 2 mois). Ainsi, le seul recours aux AGE ne permet pas de gérer une dermatite atopique canine ou une dermatose allergique féline. En revanche, en tant que thérapie adjuvante, une supplémentation en acides gras essentiels apporterait un intérêt sur le long terme. Leur utilisation est sûre, les effets secondaires étant peu fréquents et bénins. Enfin, il convient de souligner un intérêt majeur d’une complémentation en acides gras essentiels : leur utilisation dans la gestion de la dermatite atopique canine permet à long terme de diminuer les doses de corticoïdes et de ciclosporine (près de 40 %). Ainsi, bien qu’il soit difficile aujourd’hui d’attribuer l’amélioration clinique à une action précise des AGE, leur sécurité d’emploi permet une utilisation sans réserve particulière.

Probiotiques

Les acides gras ne sont pas les seuls compléments nutritionnels aux effets bénéfiques sur les dermatoses inflammatoires. Chez l’homme, l’utilisation et la sécurité d’emploi des probiotiques dans la prévention des manifestations de dermatite atopique est démontrée. En revanche, leur rôle dans le traitement de la maladie reste à déterminer. En médecine vétérinaire, peu d’études sont disponibles. Cependant, quelques données montrent l’intérêt du recours aux probiotiques dans la prévention de la dermatite atopique chez le chien. L’exposition prénatale (administration per os à la mère durant la gestation) à une souche de Lactobacillus rhamnosus GG chez un modèle canin de dermatite atopique a montré une réduction significative du taux d’immunoglobulines E (IgE) spécifique à Dermatophagoides farinae chez les chiots issus des portées obtenues. De plus, ces derniers ont montré des signes de dermatite atopique significativement plus tardivement que d’autres chiots de la même lignée non exposés aux probiotiques dans les 6 premiers mois de vie. Enfin, une étude portant sur les mêmes chiens, 3 ans après avoir arrêté les probiotiques, a montré des conséquences immunologiques et cliniques à long terme. Lors de provocation par un allergène, les chiens ayant été exposés aux probiotiques déclenchent significativement moins de signes cliniques que des chiens contrôles n’ayant pas été exposés. Les mécanismes d’action des probiotiques et leur rôle lors de dermatite atopique restent encore inconnus et pourraient être multiples. Par exemple, une augmentation de l’expression de la filaggrine chez des chiens atopiques traités aux probiotiques est suspectée. Chez le chat, il n’existe aucune donnée sur l’utilisation des probiotiques lors de dermatoses inflammatoires.

1 Dermatite par hypersensibilité aux piqûres de puces

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur bit.ly/2ukOiIF.

Thomas Brément Résident ECVD à Oniris, à Nantes (Loire-Atlantique).

Patrick Bourdeau Diplomate EVPC et ECVD, professeur à Oniris.

Vincent Bruet Diplomate ECVD, maître de conférences à Oniris.

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