La résistance bactérienne dans le monde - La Semaine Vétérinaire n° 1756 du 23/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1756 du 23/03/2018

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) révèle, dans un rapport publié en janvier 2018, l’existence de niveaux élevés de résistance aux antibiotiques en santé humaine dans le monde. Décryptage.

Pour la première fois, en janvier 2018, les données du Système mondial de surveillance de la résistance aux antibiotiques (Global Antimicrobial Resistance Surveillance System ou Glass) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont été publiées1. Elles révèlent que l’antibiorésistance touche plus de 500 000 personnes réparties dans 22 pays et concerne plusieurs infections bactériennes graves. Ce constat est fait aussi bien dans les pays à revenu élevé qu’à revenu faible. Parmi les bactéries les plus résistances, l’OMS mentionne Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Staphylococcus aureus et Streptococcus pneumoniae, suivies de Salmonella spp. « Ce rapport confirme que l’antibiorésistance est un grave problème partout dans le monde », indique Marc Sprenger, directeur du secrétariat chargé du problème de la résistance aux antimicrobiens à l’OMS. « Certaines des infections les plus courantes, et potentiellement les plus dangereuses, s’avèrent résistantes aux médicaments. De plus, et c’est bien ce qui est le plus inquiétant, les agents pathogènes franchissent les frontières. C’est pourquoi l’OMS encourage tous les pays à instaurer de bons systèmes de surveillance pour détecter la pharmacorésistance et alimenter en données ce système mondial », ajoute-t-il. À terme, les données concernant la santé animale devraient également être prises en compte.

Des disparités entre pays

52 pays (25 à revenu élevé, 20 à revenu intermédiaire et 7 à revenu faible) ont alimenté par leurs données le Glass de l’OMS. Pour ce premier rapport, 40 pays ont communiqué des informations sur leurs systèmes de surveillance nationaux et 22 pays ont également fourni des données sur les niveaux d’antibiorésistance. « Ce rapport est une première étape majeure pour mieux comprendre la gravité de la résistance aux antimicrobiens. La surveillance est encore peu développée dans ce domaine, mais il faut absolument la renforcer si nous voulons anticiper et traiter ce qui est aujourd’hui l’une des principales menaces pour la santé publique mondiale », explique Carmem Pessoa-Silva, qui coordonne ce nouveau système à l’OMS. Les pays ont fourni des données sur la résistance aux antimicrobiens principalement pour les pathogènes isolés à partir d’échantillons de sang. Viennent ensuite l’urine, les selles, des prélèvements cervicaux et urétraux. Des résistances ont les plus fréquemment été rapportées pour E. coli, K. pneumoniae, S. aureus et S. pneumoniae (17 pays parmi les 22 qui ont transmis leurs données sur les niveaux de résistances bactériennes), suivis de Salmonella spp. (15 pays). Les données obtenues par l’OMS révèlent aussi une forte disparité entre les pays. « Parmi les sujets présentant une infection du sang présumée, la part de ceux ayant des bactéries résistantes à au moins un des antibiotiques les plus courants varie fortement d’un pays à l’autre, allant de 0 à 82 %. Les taux de résistance à la pénicilline, médicament utilisé depuis des décennies pour traiter la pneumonie partout dans le monde, vont de 0 à 51 % dans les pays ayant notifié des données. De plus, entre 8 et 65 % des E. coli associés aux infections urinaires présentent une résistance à la ciprofloxacine, un antibiotique couramment utilisé contre ces infections », indique l’organisation.

Une surveillance étendue à la santé animale

À terme, l’OMS envisage d’intégrer au rapport Glass des informations sur la résistance aux antimicrobiens chez l’homme provenant d’autres systèmes de surveillance (notamment ceux relatifs à la chaîne alimentaire, au suivi de la consommation d’antimicrobiens, à des projets ciblés de surveillance et à d’autres données connexes). Son but est d’encourager la prise en compte de cette problématique avec l’approche multisectorielle “un monde, une santé”, en traitant le problème de la résistance aux antimicrobiens chez l’homme et chez l’animal, ainsi que dans l’alimentation et l’environnement. L’OMS a d’ailleurs présenté, en novembre 2017, un ensemble de recommandations2 visant à réduire l’utilisation des antibiotiques chez les animaux de rente. Elle encourage notamment la réduction de l’usage des antibiotiques critiques chez les animaux de rente et l’interdiction de leur utilisation en tant que promoteurs de croissance et à titre préventif en l’absence de diagnostic. Ces recommandations sont déjà mises en œuvre en France. Sa position sur la métaphylaxie reste toutefois encore floue. Elle admet en effet que « les animaux sains ne devront recevoir des antibiotiques que pour prévenir une maladie diagnostiquée chez d’autres animaux du même troupeau, du même élevage ou de la même population dans le cas des poissons ». Dans la mesure du possible, les animaux malades devront subir des tests pour déterminer quel choix d’antibiotique serait le plus prudent et le plus efficace pour traiter leur infection spécifique. Par ailleurs, l’OMS propose que les antibiotiques utilisés chez ces animaux soient sélectionnés parmi ceux recensés comme les « moins importants » pour la santé humaine et non parmi ceux classés comme « d’importance critique, les plus prioritaires ». Pour remplacer les antibiotiques, la prévention et la biosécurité restent des solutions à long terme. Il est notamment proposé d’améliorer l’hygiène et l’utilisation des vaccins et de modifier les pratiques d’hébergement et d’élevage des animaux. Les recommandations de l’OMS reposent sur les conclusions d’un article scientifique qui affirme que réduire l’utilisation d’antibiotiques chez les animaux destinés à l’alimentation humaine entraînerait une diminution de la présence de bactéries résistantes chez ces animaux allant jusqu’à 39 %.

Un système à perfectionner

L’OMS indique que les données présentées dans ce premier rapport sont très variables. En effet, certains pays peinent à mettre ne place des systèmes nationaux de surveillance de la résistance aux antimicrobiens. L’organisation internationale contribue à standardiser la méthode de recueil de données afin d’obtenir des informations pertinentes. Le système Glass a cependant déjà permis à certains pays de se perfectionner dans ce domaine. Par exemple, le Kenya a développé son système national sur la résistance aux antimicrobiens ; la Tunisie a commencé à rassembler des données dans ce domaine au niveau national ; la République de Corée a complètement revu son système national de surveillance pour l’aligner sur la méthodologie Glass et fournit désormais des données très exhaustives et de grande qualité. Des pays comme l’Afghanistan ou le Cambodge, qui sont confrontés à des défis structurels majeurs, ont rejoint le Glass et se servent de ce cadre pour renforcer leurs capacités de surveillance de la résistance aux antimicrobiens. « De manière générale, la participation des pays au Glass est vue comme un signe d’engagement politique en faveur des efforts mondiaux de lutte contre la résistance aux antimicrobiens », souligne l’OMS.

1 bit.ly/2sosPxw.

2 bit.ly/2zqmxj1.

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