Le vétérinaire peut proposer des chiens de laboratoire à l’adoption - La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018

ÉTHIQUE

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Confier à des adoptants des chiennes beagles ayant été utilisées en expérimentation animale est une alternative efficace à leur euthanasie. Entretien avec Karine Reynaud, de l’UMR physiologie de la reproduction et des comportements, à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, et responsable des adoptions de chiennes de laboratoire.

Pourquoi proposez-vous des beagles à l’adoption ?

Karine Reynaud : Nous faisons adopter les chiennes que nous stérilisons (prélèvement d’ovaire lors des chaleurs) pour nos recherches sur la physiologie de la reproduction. Cela s’inscrit dans nos questionnements sur nos pratiques d’expérimentation animale, et dans l’amélioration de notre éthique. Les chercheurs n’utilisent des animaux que s’ils en ont vraiment besoin et, une fois certaines études effectuées, l’adoption permet d’offrir aux chiennes une vie après le laboratoire. Elles sont issues des trois principaux élevages de beagles pour laboratoire en Europe (chiennes non vendues ou de réforme) et des firmes pharmaceutiques, qui nous confient les animaux non euthanasiés en fin de protocole.

Quelles sont les particularités de ces chiennes ?

K. R. : Elles ont entre 1 et 5 ans environ, et ont vécu plusieurs vies : élevage, laboratoire, chenil, etc. Elles sont très différentes des animaux adoptés à la Société protectrice des animaux (SPA), car elles n’ont pas connu de maltraitance ni d’abandon, mais elles doivent découvrir la vie de famille et nous devons les préparer à cela. Le laboratoire ne semble pas avoir d’effet sur leur comportement. En revanche, il existe un effet “élevage d’origine” : certaines chiennes ont été mal socialisées dans leur jeune âge et sont timides.

Comment préparez-vous l’adoption ?

K. R. : Notre équipe et les étudiants de l’Alfort beagle club sont aimants et impliqués : ils jouent avec les chiennes, les promènent, leur donnent des friandises, etc. Le but est de les sociabiliser le plus possible avec leurs congénères et avec les humains. Ensuite, l’adoption se déroule en quatre temps : une discussion au téléphone pour déterminer les attentes de l’adoptant, une autre au laboratoire pour décrire les étapes de vie des chiennes, le choix de l’animal, puis la délivrance de conseils et des papiers administratifs. Il est important de trouver la bonne famille pour chaque animal, que nous conseillons durant les premières semaines d’adoption.

Les chiennes s’adaptent-elles bien en famille ?

K. R. : Environ 30 chiennes sont adoptées chaque année depuis 2001. Notre travail a été évalué rétrospectivement dans une thèse vétérinaire soutenue en 20111. Celle-ci montre que les chiennes se sont bien adaptées à leur famille (câlines à 84 %), en quelques mois (note de satisfaction de 9/10), sont sociables avec les autres animaux (87 %) et aiment sortir (86 %). Toutefois, deux tiers d’entre elles restent peureuses. À partir de ces résultats, un livret de conseils, Beagle de labo, mode d’emploi !, a été rédigé et est distribué à chaque adoptant.

Quels sont vos besoins et vos projets ?

K. R. : Comme dans un refuge, les adoptions nécessitent du temps et de l’argent. Une participation symbolique de 60 € est demandée aux adoptants, mais héberger, nourrir et soigner un chien coûte environ 1 000 € par an. L’école vétérinaire nous soutient beaucoup. Nous avons constamment 25 à 30 chiennes et nous gardons parfois longtemps celles qui ne peuvent pas être adoptées immédiatement en raison d’un syndrome de privation trop important.

À l’avenir, nous souhaitons créer un réseau européen et encourager les laboratoires à faire adopter leurs chiens grâce à des intermédiaires comme notre centre. La réflexion actuelle porte aussi sur la réhabilitation d’autres animaux de laboratoire (de rente ou primates) ; des associations comme le Groupement de réflexion et d’action pour l’animal (Graal) ou White Rabbit sont très actives dans ce sens.

Enfin, les vétérinaires peuvent parler de nos chiennes aux personnes qui souhaitent adopter, en axant leur réflexion sur le devenir des animaux de laboratoire.

1 Anabelle Chanvin. « Réhabilitation d’animaux de laboratoire : étude rétrospective de 108 adoptions de chiennes beagle ». Thèse de doctorat vétérinaire, Alfort, 2011.

Contact : 01 43 96 70 97 ou karine.reynaud@vet-alfort.fr.

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