Le projet Minapig tire son bilan - La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1755 du 15/03/2018

ANTIBIOTIQUES

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Minapig, un projet de recherche sur les stratégies de réduction de l’usage des antibiotiques en élevage porcin, a identifié deux facteurs déterminants d’utilisation de ces médicaments. Il a aussi montré qu’une réduction était possible sans impacter les performances techniques et économiques des élevages.

Mené entre 2012 et 2015, le projet européen Minapig1 s’est penché sur les stratégies de réduction de l’usage des antibiotiques en élevage porcin. Les objectifs étaient multiples : identifier les indicateurs les plus adaptés à la quantification de l’utilisation des antibiotiques, établir l’importance des principaux déterminants techniques et psychosociologiques de leur usage, définir les caractéristiques des éleveurs combinant un faible usage en antibiotiques et des bonnes performances économiques, et enfin évaluer l’impact technique et économique de l’application de mesures réduisant la consommation d’antibiotiques. Pour ce faire, deux études successives ont été menées dans quatre pays européens : Allemagne, Belgique, France et Suède.

Des blocs de variables utilisés pour expliquer l’usage des antibiotiques

Une première étude transversale a été menée entre décembre 2012 et janvier 2014 dans 227 élevages naisseurs-engraisseurs, situés en Allemagne (60), en Belgique (47), en France (60) et en Suède (60), possédant plus de 70 truies et 500 porcs à l’engraissement. Les données récoltées selon une méthode harmonisée entre chaque pays se classaient en six catégories : la structure de l’élevage, les performances techniques, les pratiques de biosécurité, la présence de signes cliniques, le schéma vaccinal et la perception des éleveurs vis-à-vis de l’usage des antibiotiques. L’idée était ensuite d’explorer les associations entre ces différentes catégories (ou blocs de variables explicatives) et des indicateurs reflétant l’utilisation des antibiotiques. « Nous avons fait le choix de sélectionner plusieurs indicateurs pour décrire cette utilisation, explique Catherine Belloc, enseignante-chercheuse en pathologie des animaux de rente monogastriques à Oniris. Chacun décrit l’usage qui est fait de ces molécules, selon ce que l’on souhaite explorer. » La méthode des blocs explicatifs a ainsi permis de déterminer la contribution relative2 de chacun d’entre eux dans l’emploi des antibiotiques.

Les signes cliniques, un des principaux motifs d’antibiothérapie

L’analyse des données a montré qu’aucun bloc n’était dominant. Néanmoins, pour les quatre pays, le bloc “Présence de signes cliniques” constituait un des principaux blocs explicatifs de l’usage des antibiotiques. En Allemagne, en Belgique et en France, leur utilisation était plus particulièrement associée à la présence de signes respiratoires chez les porcs à l’engrais ; en Belgique et en France, à celle des signes nerveux. L’analyse a également révélé que la perception des éleveurs contribuait à l’utilisation des antibiotiques en Belgique et en Suède, alors que ce bloc n’avait que peu d’effet en Allemagne et en France. Le bloc de la biosécurité ressortait surtout pour le modèle français. Ainsi, en France, les élevages porcins situés en zones de densité porcine réduite, et ceux avec des meilleures pratiques en lien avec l’approvisionnement en eau et en aliments présentaient un plus faible usage d’antibiotiques.

Le coût des alternatives sans incidence technique et économique

Une seconde étude de type avant/après a intégré 70 élevages naisseurs-engraisseurs des quatre pays. Pour chacun, un plan de réduction de l’usage des antibiotiques, adapté au contexte sanitaire et à la conduite d’élevage, a été mis en œuvre par le vétérinaire traitant. L’analyse des données récoltées pendant un an a montré une réduction médiane de 47 % des antibiotiques, correspondant à une baisse de 35 % des dépenses pour ces produits. Faute de données disponibles, l’impact technico-économique n’a pu être évalué que dans 33 élevages belges et français. Il en est ressorti que la réduction de l’emploi des antibiotiques n’avait pas d’impact notable sur les performances des élevages. La variation médiane observée du bénéfice net par truie et par an, de 1,23 €, étant davantage influencée par le gain moyen quotidien et l’indice de consommation que par le coût des mesures mises en œuvre. « Dans notre étude, l’observance est plutôt bonne. Ce point est un des enseignements du projet : il est à travailler et à privilégier », commente Catherine Belloc. Parmi les raisons pouvant expliquer la non-observance : un éleveur pas convaincu de l’efficacité des mesures à mettre en œuvre.

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2 Le modèle statistique PLS multibloc expliquait 51,6 %, 29,8 %, 26,6 % et 38,6 % de la variabilité observée dans l’utilisation des antibiotiques respectivement en Allemagne, en Belgique, en France et en Suède.

CARACTÉRISTIQUES DU “TOP FARMER”

L’analyse des données a permis d’identifier les caractéristiques des “meilleurs éleveurs”, c’est-à-dire ceux combinant un faible usage en antibiotiques et de bonnes performances techniques, par rapport à des “élevages moyens”. Un bon score de biosécurité interne, entre autres, via la marche en avant, la localisation de l’exploitation en zones de faible densité, et la maîtrise des troubles digestifs en maternité et des troubles respiratoires en engraissement définissaient les “top farmers”. Quelques exploitations situées en zone de forte densité porcine (notamment en Bretagne, pour la France) rentraient aussi dans le groupe des “meilleurs éleveurs”. Leur spécificité : respect de la marche en avant et renforcement des programmes vaccinaux pour les maladies respiratoires.

TROIS QUESTIONS À CATHERINE BELLOC 

« QUEL QUE SOIT LE CONTEXTE SANITAIRE, L’USAGE DES ANTIBIOTIQUES PEUT ÊTRE RÉDUIT »

Quelles grandes conclusions retenir du projet Minapig ?
L’important, c’est le résultat : préserver la santé des animaux, via la maîtrise des signes cliniques, tout en réduisant l’usage des antibiotiques. Nous démontrons que c’est possible sans impacter le résultat économique de l’exploitation. De plus, la caractérisation des top farmers a prouvé que, quel que soit le contexte sanitaire, l’éleveur pouvait réduire l’usage des antibiotiques, même en Bretagne ! Les conditions étant une adéquation des mesures proposées pour diminuer leur utilisation à la situation de l’élevage, ainsi qu’une bonne observance. En effet, chaque cas est particulier et il est illusoire de croire que l’on pourrait mettre en évidence un système universel pour réduire l’usage des antibiotiques. Partant de là, le vétérinaire apparaît comme l’interlocuteur légitime de l’éleveur, afin de porter un diagnostic et de conseiller les mesures les plus réalistes et adaptées à la variabilité des situations sanitaires. En ce qui concerne l’observance, nous envisageons de travailler dans le projet Prop&Co sur la confiance éleveur/vétérinaire et son impact sur l’observance. Ce projet vient d’être financé par ÉcoAntibio et nous recherchons des financements complémentaires. Notre ambition est d’enrôler des vétérinaires dans un dispositif de recherche participative, c’est-à-dire dans une cohorte de couples éleveurs-vétérinaires qui sera suivie plusieurs années et sur laquelle nous étudierons le lien entre relation de confiance et observance du conseil vétérinaire.

Vous avez dit que les travaux issus du projet Minapig ont contribué à la construction d’une base scientifique pour le développement des stratégies efficaces. En quoi consiste-t-elle ?
Il n’existe pas de solution générique pour réduire l’usage des antibiotiques, mais le vétérinaire et l’éleveur peuvent ensemble œuvrer pour cette réduction, tout en maintenant ou en améliorant la santé des animaux. Dit comme cela, cela semble évident, mais quand on considère la santé des animaux d’une façon un peu théorique et avec une connaissance limitée du sujet, on peut être tenté de penser que des solutions génériques existent et qu’il suffit de les appliquer ! Ne pas oublier qu’on a affaire à des animaux et à des hommes, ce qui complexifie quelque peu la réalité… tout en la rendant intéressante. Pour autant, notons que le résultat économique est moins impacté par le coût de la mesure elle-même que par les performances techniques. Il ne faut donc pas hésiter à considérer, avec l’éleveur, le retour sur investissement d’une mesure et pas seulement son coût.

Peut-on s’attendre à un bénéfice de la réduction des antibiotiques en élevage porcin pour la santé publique ?
Le lien entre usage vétérinaire et impact de la résistance en santé humaine n’est pas évident. Mais nous devons, pour des raisons éthiques, mieux utiliser les antibiotiques qui sont un bien commun entre santé animale et santé humaine. Les tendances actuelles, en ce sens, avec une réduction très importante de l’usage systématique, sont donc une opportunité pour la profession vétérinaire.


Propos recueillis par Tanit Halfon
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