L’élevage à l’heure de la digitalisation - La Semaine Vétérinaire n° 1754 du 09/03/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1754 du 09/03/2018

SALON INTERNATIONAL DE L’AGRICULTURE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE ET TANIT HALFON  

Au travers de l’espace “Agri 4.0”, le Salon international de l’agriculture a souhaité mettre en lumière l’évolution du numérique en agriculture. Entre plateformes d’e-commerce, outils d’aide à la gestion, objets connectés et, plus largement, l’exploitation du big data dans le domaine agricole, l’élevage est bel et bien rentré dans l’ère du numérique.

Au Salon international de l’agriculture, la ferme est déjà à l’ère du numérique. Pour l’édition 2018, du 24 février au 4 mars, le pôle “Agri 4.0”1 s’est ainsi agrandi, passant de 95 à 500 m2, et a accueilli 20 start-up (contre 12 en 2016) au sein de l’espace La Ferme digitale2, ainsi que des acteurs incontournables du secteur. La digitalisation semble plutôt bien accueillie par les professionnels. Selon un rapport de 2015 de Renaissance numérique3, 79 % des agriculteurs utilisent Internet, soit plus que la moyenne française. 70 % d’entre eux sont équipés d’applications professionnelles, avec plus de 400 applications mobiles déjà existantes pour assister les éleveurs. Et 79 % des exploitants connectés reconnaissent l’utilité des nouvelles technologies pour l’agriculture.

Cette adhésion massive est à relier avec les nombreux bénéfices attendus4 : gain de temps et amélioration de la productivité du travail, réduction de la pénibilité physique, détection précoce des maladies, ciblage des interventions, etc. Mais elle est aussi nécessaire, selon les concepteurs de l’espace “4.0” : « En 2018, être agriculteur, c’est à la fois être chef d’entreprise, banquier, producteur, commercial, manager et technicien. Pour réussir à assurer tous ces métiers en même temps, le numérique est une évolution technologique indispensable. » Lors de la clôture des états généraux de l’alimentation, Stéphane Travert avait ainsi annoncé l’élaboration d’une feuille de route numérique dans les secteurs agricoles et agroalimentaires5. Encensée par l’État, plébiscitée par les agriculteurs, la digitalisation marche en terrain conquis.

La France innove pour l’élevage

À l’espace “Agri 4.0”, la digitalisation se positionne de la fourche à la fourchette. Des start-up et des entreprises misent, par exemple, sur la réduction des coûts liés aux intrants. Chez Piloter sa ferme, l’idée est de sécuriser les prix alimentaires pour améliorer le revenu des éleveurs, le poste de l’alimentation représentant un gros volume de charges. « Notre outil permet d’indiquer à l’éleveur quand et combien acheter. » FeedMarket, une plateforme d’e-commerce, permet de visualiser les cours des matières premières protéiques et des huiles brutes en temps réel, pour une meilleure décision en matière de coûts d’achat. D’autres entrepreneurs mettent en relation directe l’éleveur et le consommateur, comme Le Comptoir local, un marché en ligne, ou Miimosa, une plateforme de financement participatif.

La digitalisation, c’est aussi l’élevage de précision, dans lequel le couplage de capteurs (mesure de paramètres comportementaux, de production, etc.) et d’automates (robots de traite, distributeurs automatiques de concentré) avec des technologies de l’information complète les observations de l’éleveur et l’aide dans sa prise de décision. Par exemple, en 2014, en France, 3 800 robots de traite étaient dénombrés, contre cinq en 1998. Du côté de l’association La Ferme digitale, la start-up Pampaas présentait ses boîtiers connectés pour surveiller les clôtures et les abreuvoirs des pâtures éloignées des bâtiments principaux de l’exploitation. Les exposants de la Ferme digitale croient aux bienfaits de la digitalisation. Un exposant parle de « mieux vivre » et de « traçabilisation des produits », un autre de « maîtrise des charges », mais aussi de « création de lien social entre éleveurs ».

Le vétérinaire reste un conseiller de l’élevage

Et si la révolution digitale était à chercher encore plus loin ? Au pôle “Agri 4.0”, l’entreprise SAP, éditeur de logiciels de gestion, voit en l’agri-business un enjeu majeur pour l’avenir. Nicolas Jouffre, responsable du secteur agri-agro, résume : « L’enjeu de la digitalisation est simple : il faut capter la donnée et la rendre intelligente. L’objectif final étant que les données récoltées aboutissent à des recommandations pertinentes, à plus forte valeur ajoutée, afin de faciliter les prises de décision de l’éleveur. » Pour ce faire, l’entreprise développe des technologies pour mesurer plusieurs paramètres d’intérêt, puis collabore avec des experts pour émettre des recommandations. « D’après notre expérience, il y a des situations pour lesquelles on apporte plus de valeur que le professionnel lui-même, car nous exploitons des données qu’il ne prenait pas forcément en compte. Le système permet donc d’enrichir, mais aussi de confirmer des connaissances, précise le responsable. À terme, l’idée serait de faire appel à un système d’intelligence artificielle prédictif. Peut-être que le métier de vétérinaire pourrait être impacté, même si je pense qu’on aura toujours besoin de personnes sachantes. »

Face à cette nouvelle concurrence virtuelle, quelle serait la place du vétérinaire ? Pour Clément Maruharda, un des vétérinaires du salon, exerçant en clientèle rurale, le praticien pourrait jouer un rôle de conseiller. « Aujourd’hui, en moyenne, seul un éleveur sur trois maîtrise réellement son robot de traite, la formation dispensée au moment de son installation étant réduite. En maîtrisant par exemple cet outil, le vétérinaire pourrait alors conseiller sur les réglages à faire pour optimiser l’analyse des données obtenues. » De plus, pour lui, tous ces nouveaux outils connectés n’apporteront des améliorations aux performances des élevages que si les pratiques s’avèrent correctes à la base.

Du côté du stand du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (Snvel), Jérôme Frasson, administrateur du groupement et vétérinaire rural, estime que le praticien devra être proactif pour conserver son activité, mais aussi afin de pouvoir accéder de manière simplifiée aux données d’élevage. « Notre force est d’avoir une vision globale de l’élevage, quand d’autres professionnels n’en ont qu’une vision morcelée. »

1 La Ferme digitale (association de groupement de start-up), Saipol (FeedMarket), SAP, AgriLend.

2 Association loi 1901, fondée en février 2016 par cinq start-up ayant pour objectif de promouvoir l’innovation et le numérique pour une agriculture performante et durable.

3 Think tank Renaissance numérique : bit.ly/2I4dkhY.

4 bit.ly/2oTZAOl.

5 bit.ly/2ocVLnM.

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