Vétérinaires : soft or hard Brexit ? - La Semaine Vétérinaire n° 1753 du 24/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1753 du 24/02/2018

DOSSIER

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL  

Le Brexit est désormais une réalité (ou presque). Plusieurs questions, qui concernent la profession vétérinaire, restent encore en suspens. À ce stade, les entreprises de l’industrie de la santé animale et les organisations professionnelles naviguent encore dans le flou. L’issue des négociations entre Bruxelles et Londres est déterminante et peut favoriser une sortie tout en douceur. Alors, soft or hard Brexit ?

Outre les questions relatives à la finance, à la diplomatie ou à la sécurité, il convient de s’interroger sur les conséquences du Brexit sur le secteur de la santé animale. De nombreux domaines sont en effet réglementés par les instances européennes et le Royaume-Uni constitue une plaque tournante pour de nombreux industriels de la santé animale. Animal Health Europe, qui représente ce secteur, confirme qu’il existe un sentiment général d’appréhension concernant le Brexit. « Mais à l’heure actuelle, l’appréhension est principalement liée à l’incertitude de la situation. Il ne fait aucun doute que la décision du Royaume-Uni de quitter l’Union européenne (UE) aura pour conséquence un certain nombre de changements pour l’industrie des médicaments vétérinaires, ce qui peut entraîner des défis, mais aussi des opportunités », indique Roxane Feller, sa secrétaire générale. Du côté de la Fédération vétérinaire européenne (FVE), il est aussi nécessaire de faire entendre les intérêts de la profession lors des négociations entre le Royaume-Uni et la Commission européenne. La fédération insiste notamment sur le rôle central du vétérinaire pour la gestion de plusieurs problématiques : la reconnaissance mutuelle des diplômes vétérinaires, la santé animale, le bien-être des animaux, la santé publique, la protection de l’environnement, l’élevage ou encore la résistance aux antimicrobiens1. Le son de cloche est le même au sein de l’Association des vétérinaires britanniques (BVA), qui craint que le Brexit n’aggrave la pénurie de vétérinaires que connaît aujourd’hui le Royaume-Uni.

La reconnaissance mutuelle

La FVE rappelle la grande mobilité de la profession vétérinaire. En témoigne le forum que La Semaine Vétérinaire avait consacré au Brexit en juillet 2016 2. Pour les vétérinaires français interrogés, la situation reste floue. Selon la fédération, environ 6 % de tous les vétérinaires européens ont travaillé dans un autre pays au cours des trois dernières années et de nombreux vétérinaires britanniques travaillent ou fournissent des services temporaires dans d’autres pays européens. La question du Brexit concerne aussi les vétérinaires français qui ont choisi d’exercer outre-Manche. « Pour les vétérinaires qui travaillent au Royaume-Uni, il peut se poser la question de rester ou non, car demain il est possible qu’ils soient obligés de partir. Excepté ceux qui y travaillent depuis suffisamment longtemps et peuvent demander la nationalité britannique. Aujourd’hui, la circulation des personnes et des diplômes est libre dans l’UE », souligne Thierry Chambon (FVE). La question de la reconnaissance des diplômes reste aussi entière. La fédération européenne alerte les négociateurs européens sur la nécessité de maintenir une reconnaissance mutuelle entre l’Union et le Royaume-Uni des diplômes en médecine vétérinaire approuvés ou accrédités par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) et des diplômes de spécialisation vétérinaire validés par le Conseil européen de la spécialisation vétérinaire (EBVS). Par ailleurs, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a rappelé que trois millions d’Européens sont actuellement expatriés au Royaume-Uni. Les dernières négociations menées entre l’UE et Londres concernant la situation des expatriés semblent prometteuses. Selon les négociateurs du Brexit, les expatriés devraient pouvoir continuer à exercer sur le sol britannique et conserveraient leurs droits après le Brexit. Ainsi, un vétérinaire français actuellement établi au Royaume-Uni ne devrait pas voir sa situation changer de manière importante.

Le bien-être animal

Pour la FVE, il est essentiel que les questions d’hygiène alimentaire, de bien-être animal et d’antibiorésistance soient abordées dans le cadre des négociations du Brexit. La fédération invite notamment les décideurs à pérenniser le partage continu des données de surveillance et d’alerte rapide entre l’Union et le Royaume-Uni. Cela concerne notamment la surveillance de l’utilisation des antibiotiques chez les animaux (European Surveillance of Veterinary Antimicrobial Consumption ou Esvac), la surveillance de la résistance aux antibiotiques chez les animaux et les aliments (European Food Safety Authority ou EFSA) ou les maladies infectieuses transmissibles. Autre sujet important : la recherche. La FVE souligne la nécessité de parvenir à un accord afin que l’Union et le Royaume-Uni puissent continuer à collaborer dans le domaine de la science, de la recherche et des initiatives technologiques.

Inquiétude des vétérinaires britanniques

Les vétérinaires britanniques appréhendent particulièrement les conséquences du Brexit. Cette inquiétude est portée par la BVA, qui s’est penchée sur les possibles conséquences sur la profession de cette sortie de l’Europe3. Outre les problématiques exposées par la FVE (bien-être animal, santé publique, importations et exportations d’animaux, entre autres), la BVA craint que le Brexit n’aggrave la pénurie de vétérinaires. John Fishwick, président de la BVA, souligne que le Brexit a mis en évidence la dépendance du Royaume-Uni vis-à-vis des professionnels vétérinaires de l’Union. En matière de sécurité alimentaire et d’hygiène, il estime que 95 % des vétérinaires officiels (OV) travaillant dans les abattoirs viennent de l’UE et que la grande majorité d’entre eux y ont obtenu leur diplôme. « Pour éviter une crise aiguë de la réponse vétérinaire, la BVA exhorte le ministère de l’Intérieur à ajouter des vétérinaires à la liste des professions en pénurie », indique-t-il. Pour y remédier, l’association britannique demande à son gouvernement de concevoir un système d’immigration qui tienne compte des besoins en main-d’œuvre vétérinaire. Il s’agit pour elle de garantir les droits du travail pour les vétérinaires non britanniques issus de l’Union et les auxiliaires vétérinaires, mais aussi pour ceux qui souhaitent travailler et étudier au Royaume-Uni. Cette recommandation concerne également les vétérinaires britanniques travaillant dans l’Union européenne.

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L’EFFET BOOSTER DU BREXIT

Le Brexit est aussi synonyme d’opportunités. La première fut celle d’accueillir le siège de l’Agence européenne des médicaments (EMA), jusque-là situé à Londres. Sa relocalisation a été l’une des conséquences concrètes de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Plusieurs villes européennes, dont Lille (Nord), se sont portées candidates pour accueillir cette agence européenne chargée de l’évaluation scientifique, du contrôle et du suivi de la sécurité des médicaments à usage humain et vétérinaire. C’est finalement Amsterdam (Pays-Bas) qui a raflé la palme. Mais l’Italie conteste ce choix, ce qui pourrait relancer le débat sur ce sujet. Pour l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), ce Brexit n’en reste pas moins une opportunité de peser davantage sur la scène européenne. Lors de sa 1re journée ANMV, organisée le 21 septembre 2017, l’agence a annoncé faire du Brexit l’une de ses priorités à court terme. Le Royaume-Uni est en effet un État membre de référence pour 30 % des procédures européennes d’autorisation de mise sur le marché décentralisées ou de reconnaissance mutuelle, contre 14 % pour la France. L’ANMV note, avec le Brexit, une opportunité de capter les dossiers étudiés par l’agence anglaise. Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV, évoquait d’ailleurs la nécessité de faire évoluer le positionnement de l’agence au niveau européen après le Brexit. Celle-ci indique vouloir se donner les moyens de ses ambitions. Laëtitia Le Letty, chef de l’unité enregistrement de l’ANMV, rappelle que l’agence française est très impliquée dans plusieurs groupes de travail de l’EMA. L’ANMV plaide notamment pour une évolution des systèmes d’information en lien avec la dématérialisation et une augmentation de ses effectifs en évaluation et en gestion administrative.

DEUX QUESTIONS À JEAN-LOUIS HUNAULT ET À MARIE-ANNE BARTHÉLÉMY 

« LE RÔLE DU SIMV EST DE FAVORISER LE PLUS POSSIBLE L’IDENTIFICATION DES ENJEUX »

Le Brexit aura-t-il un impact sur la disponibilité des médicaments et l’innovation ?
Le Brexit ne constitue pas une menace sur l’arsenal thérapeutique actuellement disponible en France. Les 2 600 autorisations de mise sur le marché (AMM) françaises ne devraient pas être réellement impactées.
Ce sont les AMM qui peuvent résulter de procédures centralisées, de reconnaissance mutuelle ou décentralisée (communautaire) qui pourraient l’être.
Le coût du Brexit va peser sur les industriels dont les AMM communautaires étaient gérées par l’agence anglaise, le VMD. C’est le transfert de la gestion de ces AMM qui va constituer l’enjeu. Si le Royaume-Uni devenait un pays tiers (Brexit “dur”), il ne pourrait plus être pays rapporteur ou concerné pour des procédures communautaires d’enregistrement (reconnaissance mutuelle ou décentralisée), ni rapporteur/corapporteur des procédures centralisées. Les conséquences en cascade existent aussi pour les opérations pharmaceutiques : par exemple, le responsable de la pharmacovigilance européen ne pourra plus résider au Royaume-Uni. Ce sont donc les industriels qui auront concrètement à supporter les conséquences du Brexit. Concernant l’industrie britannique, le devenir de leurs AMM est une vraie question. Cette problématique concerne particulièrement celles issues de procédures communautaires. En l’état actuel, rien ne dit que les AMM centralisées pourront encore être mises sur le marché au Royaume-Uni. Faudra-t-il redéposer les dossiers auprès de l’agence anglaise ? Il est possible qu’il y ait une non-reconnaissance de ces AMM qui, par définition, ne seront plus dans le cadre européen. Cette question n’est toujours pas résolue.
Concernant l’innovation, les laboratoires dont la recherche est au Royaume-Uni auront à cœur de tenir compte de ce nouveau contexte pour poursuivre leur développement.
En revanche, il pourrait y avoir un impact sur les médicaments fabriqués au Royaume-Uni en passant d’un marché commun à l’exportation à un pays tiers vers l’Europe.

Quelles sont les actions du SIMV pour limiter cet impact ?
Le rôle du SIMV est de favoriser le plus possible l’identification des enjeux et de faciliter la relation entre nos adhérents et l’agence pour que cette dernière soit à même de faire face à la vague de transferts de dossiers qui pourraient lui être soumis. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) afin de favoriser la montée en puissance de ses ressources humaines pour faire face à la récupération des dossiers que gérait l’agence anglaise pour le compte du territoire européen. C’est une opportunité pour les agences nationales de récupérer les dossiers gérés à Londres. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) manifeste une vraie volonté d’adaptation à ce contexte, que nous saluons. La qualité de l’articulation que nous avons avec l’agence est un véritable élément d’attractivité dans ces circonstances.

DEUX QUESTIONS À ROXANE FELLER 

« NOUS ENTRETENONS DE BONNES RELATIONS AVEC LES RÉGULATEURS BRITANNIQUES »

Quelles seront les répercussions du Brexit sur le marché de la santé animale ?
La décision du Royaume-Uni de se détacher de l’Union européenne (UE) changera presque certainement la dynamique actuelle de l’environnement européen de la santé animale et du secteur agroalimentaire dans son ensemble. Elle est susceptible d’avoir des répercussions encore indéterminables sur l’accès au marché, le commerce et les normes réglementaires, ce qui peut avoir un impact sur la disponibilité des médicaments vétérinaires et sur l’innovation.
Afin de garantir la disponibilité continue des médicaments, nous avons besoin d’une reconnaissance équivalente et mutuelle entre le cadre réglementaire de l’UE via l’Agence européenne des médicaments (EMA) et le “nouveau” système réglementaire britannique, pour garantir que les médicaments actuellement enregistrés dans l’Union restent accessibles au Royaume-Uni et vice versa.
D’un point de vue réglementaire, avec le départ du Royaume-Uni de l’Union, il y aura un impact :
- sur la licence ou l’autorisation de mise sur le marché pour les produits dont l’agence principale ou l’État membre de référence est le Royaume-Uni. La logique dicte qu’un nouvel État membre de référence doit être convenu (le Royaume-Uni est actuellement l’État membre de référence pour plus de 600 produits autorisés via les procédures de reconnaissance mutuelle et décentralisées) ;
- sur la procédure centralisée d’obtention d’une autorisation de mise sur le marché à l’échelle européenne pour un produit, qui n’inclura plus le Royaume-Uni. Il est possible qu’une autorisation distincte du Royaume-Uni soit demandée (une autre complication réside dans le fait que les entreprises dont le siège est situé au Royaume-Uni et qui détiennent actuellement des autorisations européennes approuvées au niveau central pourraient avoir besoin de transférer leurs opérations vers un État membre de l’Union européenne afin de conserver leur accès au marché de l’UE) ;
- sur les coûts pour l’enregistrement d’un produit au Royaume-Uni, qui augmenteront naturellement, ce dernier ne respectant plus les procédures de l’EMA.
Du point de vue de l’innovation, l’une de nos principales préoccupations est la facilité de mouvement pour les travailleurs hautement qualifiés, les talents et les chercheurs. Pour conserver une avance européenne en matière d’innovation technologique et stimuler davantage la créativité, l’industrie des médicaments vétérinaires a besoin de travailleurs hautement qualifiés qui peuvent voyager librement à travers l’Europe, tout en se sentant en confiance et en sécurité dans leur travail.
Et en ce qui concerne le financement de l’innovation pour l’avenir, il est intéressant de noter que le Royaume-Uni est actuellement l’un des plus grands bénéficiaires du financement de l’Union et est considéré comme un leader mondial pour la recherche. Il sera intéressant de voir ce que signifiera un retrait du Royaume-Uni pour les prouesses de l’UE en matière d’innovation. Le fait d’être situé dans un État non membre ne constitue pas un obstacle à l’obtention d’un financement de l’UE, mais la sortie du Royaume-Uni pourrait entraîner une réorientation vers d’autres États membres pour une part plus importante du financement.
L’Union modifiera bientôt les règles d’autorisation des médicaments vétérinaires. La proposition de nouveau règlement fait actuellement l’objet de discussions trilogues entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil et devrait être adoptée avant la fin de l’année. Ce nouveau règlement ne s’appliquera pas au Royaume-Uni lorsqu’il quittera l’Union et il est donc important de veiller à ce que ce dernier inclue des modifications similaires dans son système réglementaire afin d’assurer l’harmonisation.

Quelles sont les actions d’Animal Health Europe pour l’industrie de la santé animale dans les négociations sur le Brexit ?
L’une de nos premières actions consiste à maintenir une forte collaboration avec notre membre britannique, l’Office national de la santé animale (Noah). Grâce à Noah, nous entretenons de bonnes relations avec les régulateurs britanniques et poursuivons le dialogue avec les régulateurs nationaux en Europe. Nous restons confiants que des solutions réalisables peuvent être mises en place pour encourager la rétention d’expertise au sein du système de régulation (et au sein des entreprises), afin de perturber le moins possible l’approbation des développements de produits et le traitement des autorisations.
Depuis sa mise en place, nous sommes également en contact avec le groupe de travail “Brexit” de la Commission européenne pour veiller à ce que la santé animale et la continuité de l’industrie des médicaments vétérinaires soient prises en compte lors des négociations avec le Royaume-Uni. Notre échange avec le groupe de travail implique également de fournir sur demande des données et des informations sur notre industrie.
Et en ce qui concerne l’Agence européenne des médicaments, nous échangeons constamment des informations sur les implications du Brexit. Nous partageons activement et fournissons des commentaires sur tous les documents d’orientation procédurale provenant de l’EMA pour aider nos sociétés membres à se préparer à cette sortie. Nous participerons également, en avril prochain, à la “mise à jour sur les activités de préparation à la réglementation du Brexit pour les sociétés vétérinaires”, événement organisé par l’EMA. Cette réunion vise à se tenir informés des activités de préparation de l’EMA au Brexit et offre une tribune à l’agence pour répondre à toutes les questions spécifiques que peuvent avoir les intervenants de l’industrie.

CALENDRIER DU BREXIT

2018
- 29 janvier : les ministres des Affaires européennes de l’Union européenne (UE) approuvent les recommandations de la Commission sur la période de transition ;
- courant mars : présentation par le président du Conseil européen, Donald Tusk, des orientations spécifiquement consacrées à la future relation avec le Royaume-Uni ;
- fin mars/début avril : la Commission publie ses recommandations sur la future relation, sur la base des orientations du Conseil européen ;
- 17 avril : les ministres des Affaires européennes de l’UE approuvent les recommandations de la Commission, ce qui donne à Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE pour le Brexit, un mandat de négociation élargi aux discussions commerciales ;
- 18 et 19 octobre : un accord de retrait est soumis aux chefs d’État et de gouvernement de l’UE lors d’un sommet européen ;
- à partir d’octobre : l’accord de retrait est formellement validé par les États membres et soumis à l’approbation du Parlement européen.
2019
- 29 mars : le Royaume-Uni quitte l’Union européenne. Début de la période de transition.
2020
- 31 décembre : fin de la période de transition.
2021
- 1er janvier : entrée en vigueur du ou des traités sur la nouvelle relation entre Londres et l’UE.
Source : 2017 AFP.
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