Un salon de l’agriculture entre festivités et inquiétudes - La Semaine Vétérinaire n° 1753 du 24/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1753 du 24/02/2018

SIA

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE ET TANIT HALFON 

Derrière l’image festive du Salon international de l’agriculture de Paris, les inquiétudes sur l’avenir du monde agricole français sont palpables. Si le soutien politique reste indispensable, des voies d’évolution sont à rechercher pour imaginer l’élevage de demain.

Une fois par an, à Paris, le monde agricole se pare de ses plus beaux atours. Au Salon international de l’agriculture (SIA), le public se presse pour venir l’admirer. L’an dernier, le salon a accueilli plus de 600 000 visiteurs et environ 1 000 exposants venus de 21 pays1. L’occasion de présenter les métiers, notamment celui d’éleveur. Entre vaches, moutons et cochons, le public est ravi. L’occasion aussi de mettre en avant le savoir-faire français dans les domaines, entre autres, du fromage, de la charcuterie et du vin. Au-delà de cette image idyllique du monde agricole, le visiteur désireux de discuter pourra facilement trouver le bon interlocuteur. Et comprendre rapidement que l’ambiance festive cache de nombreuses problématiques, qui agitent et inquiètent nombre de professionnels. En témoigne l’accueil réservé au président de la République, Emmanuel Macron, le samedi 24 février, premier jour du salon : sifflets, huées et interpellations sur la fin anticipée du glyphosate et sur le traité de libre-échange Mercosur2. Pour le syndicat Jeunes agriculteurs de Normandie, il est temps d’agir. « L’élevage français aura un avenir, à condition que l’État mette en place un texte de loi qui assure une juste répartition des revenus entre les différents acteurs, affirme-t-il. Il faudra rester vigilant pour interdire les seuils de revente à perte. »

Des éleveurs inquiets

« Avec l’accord Mercosur, c’est entre 35 000 et 50 000 élevages qui sont menacés de disparition, s’inquiète Guy Hermouet, président d’Interbev bovins. Et après, que faire des prairies non labourables ? En Europe, la France est particulièrement menacée, car elle représente 40 % du troupeau allaitant européen. » L’accord, en cours de négociation par la Commission européenne, est un traité de libre-échange entre l’Union européenne et quatre pays du Mercosur : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Il prévoit, entre autres, l’importation de viandes bovines exemptes de frais de douane. « Le risque est d’importer des denrées de moindre qualité, avec des élevages qui ne respectent pas les critères européens, alerte Guy Hermouet. Ce traité amène une concurrence déloyale. » Du côté de la confédération paysanne, certains s’inquiètent du plan national d’actions sur le loup3. « La confédération paysanne ne souhaite pas la disparition du loup. Mais on constate que c’est systématiquement à l’éleveur de s’adapter, ce qui a un coût », s’alarme Marc Baudrey, un éleveur de brebis dans les Vosges.

Savoir saisir les opportunités

Pour Daniel Roguet, président de la chambre d’agriculture de la Somme, se battre pour l’élevage et pour le juste prix passera forcément par une remise en cause de la gestion des exploitations. « Les éleveurs doivent s’adapter à la libéralisation du marché, explique-t-il. Si, dans le passé, le marché était stable, aujourd’hui les fluctuations impliquent de repenser le fonctionnement de l’entreprise agricole. » Selon lui, il sera nécessaire d’apprendre à faire preuve de résilience : « Il faut adopter une approche économique. Il n’y a pas de bons ou de mauvais systèmes, il y a des systèmes rentables ou pas. » L’avenir de l’élevage pourrait aussi s’envisager par le développement de filières de qualité, comme la filière bio. Selon les statistiques de l’Agence Bio4, en France, près de trois quarts des Français consomment des produits bio au moins une fois par mois et 26 % ont l’intention d’augmenter cette consommation. De plus, 85 % sont intéressés par le bio local. Cependant, pour répondre à ces nouveaux besoins des consommateurs, des questions restent encore à résoudre. « Actuellement, le problème majeur en bio est l’équilibre carcasse, souligne Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio. Tous les morceaux de la carcasse ne trouvent pas de circuit de valorisation, en particulier pour la filière porc bio. Il va falloir parvenir à un équilibre entre la production et les débouchés. » Pour lui, il faudrait également développer le bio local « pour s’assurer de la sûreté sanitaire et qualitative du produit ». Les producteurs auraient aussi « une vrai carte à jouer » en ce qui concerne l’exportation de produits de qualité, comme le précise Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

Des pistes d’optimisation

Pour Jean-Louis Peyraud, responsable des recherches en productions animales au sein de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), « la solution proposée actuellement pour assurer une durabilité des ressources, qui vise à réduire notre consommation de produits animaux, n’est pas la bonne ». Les systèmes de production actuels doivent être optimisés pour améliorer les performances de nos élevages. Les marges d’optimisation sont réelles en élevage bovin. Ainsi, par exemple, « si l’on faisait, comme dans d’autres pays européens, vêler plus précocement les génisses, on pourrait réduire les gaz à effet de serre émis par l’animal au cours de la période de temps improductive ». Autre piste : une meilleure valorisation des effluents. « Les effluents d’élevage porcins sont très utiles comme engrais actuellement, mais ils sont mal répartis sur le territoire. Pourquoi ne pas envisager de déplacer des animaux ou de développer des systèmes permettant de transporter les effluents pour une répartition plus homogène sur le territoire ? » De même, des projets de valorisation des coproduits animaux, tels que le cuir de veau, voient le jour et devraient être davantage développés, car la demande est forte.

Être à l’écoute des citoyens

« La question de l’acceptabilité sociétale est au cœur de la réflexion de l’élevage de demain, explique Gilles Salvat, directeur général délégué de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) pour la recherche et la référence. Pour évoluer dans ce sens, l’agence va publier une nouvelle définition du bien-être animal. La notion ira au-delà de la protection animale. « Cet avis signera une nouvelle trajectoire de travail en recherche, qui ne se focalisera plus sur la santé animale pour améliorer le bien-être, mais plutôt sur les méthodologies d’élevage. » Pour lui, aujourd’hui, la performance zootechnique laisse la place à la performance en bien-être animal et humain, en santé animale et environnementale. « Cette évolution pourrait réconcilier l’opinion publique sur ce que sera l’élevage de demain », poursuit-il. Redonner une image positive de l’élevage passe aussi par des initiatives professionnelles, comme le souligne Jeunes agriculteurs de Normandie : « Les éleveurs doivent agir pour montrer aux citoyens la réalité de l’élevage en France, qui est encadré par de très nombreuses normes, notamment en matière de bien-être animal. Mais cela demande du temps. » Du temps, voilà ce qu’il faut et qui manque à l’élevage. « Les mutations profondes dont l’élevage a besoin demandent des investissements, de la recherche et du temps », martèle Gilles Salvat. Aujourd’hui, selon lui, la dynamique est lancée chez les éleveurs, qui repensent déjà leurs systèmes d’élevage. Une réflexion qui ne devra pas se limiter à la France. « Le vrai débat est européen », conclut-il.

1 bit.ly/2EZGJw1.

2 Marché commun du Sud.

3 Lire aussi pages 30 et 31 de ce numéro.

4 bit.ly/2GTr3XD.

LES VÉTÉRINAIRES ET LES ÉLEVEURS, UNE INTERDÉPENDANCE

Le salon de l’agriculture donne l’occasion au vétérinaire de discuter de manière informelle avec les professionnels de l’élevage et les politiques des problématiques touchant le monde vétérinaire. L’une d’entre elles, et non des moindres, est celle du maillage vétérinaire en zone rurale. La mauvaise conjoncture économique du secteur de l’élevage impacte directement les praticiens, qui voient leur chiffre d’affaires en pratique rurale diminuer. Une des raisons pouvant expliquer l’hésitation des jeunes vétérinaires à s’installer en productions animales. « Maintenir une compétence n’a d’intérêt que si on la rentabilise, explique Laurent Perrin, secrétaire général du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Certains vétérinaires, par exemple, arrêtent les prophylaxies, faute de rentabilité. Jusqu’à présent, seule l’empathie de la profession envers l’élevage permet de maintenir le maillage. Mais cette situation risque de ne pas durer. » Pour éviter cela, le syndicat défend au salon l’idée de la contractualisation. « Nous en avions déjà discuté l’an dernier avec le groupement de défense sanitaire de la Manche, ajoute Laurent Perrin. Le principe de la contractualisation est de payer une somme forfaitaire à l’année, ce qui permettrait aux éleveurs d’avoir une visibilité sur leurs coûts, et aux vétérinaires, sur leurs visites. »
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr