Mortalités des abeilles : une surveillance à revoir - La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018

RAPPORT

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

L’Anses a procédé à une évaluation du dispositif officiel de surveillance des mortalités massives aiguës des abeilles. Les résultats, publiés en fin d’année 2017, ont mis en évidence une faiblesse globale du dispositif.

Sur demande de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), le dispositif officiel de surveillance des mortalités massives aiguës des abeilles a fait l’objet d’une évaluation1 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) via la méthode Oasis (Outil d’analyse des systèmes de surveillance). Rendu public en fin d’année 2017, le rapport parle de « marges d’amélioration substantielles dans plusieurs compartiments de la surveillance ». Bref, le système est à revoir, et ces résultats donnent raison aux critiques formulées l’an dernier par l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). Dans une déclaration de mars 20172, elle pointait du doigt « des dysfonctionnements graves » dans le système : disparités régionales dans le nombre de déclarations et dans l’approfondissement des enquêtes, sous-évaluation de l’impact des résidus de pesticides dans la mortalité des colonies, biais réglementaires et statistiques entraînant une surreprésentation des causes pathologiques. À l’époque, Gilles Lanio, président de l’Unaf, accusait le dispositif d’être « défaillant et non fiable », et appelait à son évaluation.

Clarifier les objectifs de surveillance

« La DGAL, dans la révision du dispositif de surveillance en 2014 3 , avait essayé de tenir compte de l’évolution des attentes de la filière, en intégrant notamment la prise en compte d’autres formes de mortalité, comme les mortalités hivernales. Pourtant, il s’avère que le dispositif ne peut pas répondre à tous ces objectifs », constate Pascal Hendrikx, directeur scientifique épidémiologie et surveillance à l’Anses. Face à des apiculteurs demandeurs d’explications sur les causes de mortalité, notamment celles liées aux phénomènes d’affaiblissement des colonies, le système montre ses limites. « Nous recommandons d’écarter les dangers sanitaires de 1 re catégorie (DS1) des objectifs pour recentrer le système sur la mise en évidence des mortalités liées aux substances chimiques 4 », souligne-t-il. En quelque sorte, comme il l’explique, « un retour aux sources ». Car le but premier du système était bien d’identifier les mésusages et les accidents de process, qui sont de la responsabilité de l’État. « Les DS1 ne provoquent pas forcément de mortalités massives, et les identifier dans un rucher, quel que soit le motif de la visite, justifie la notification et la mise en place des mesures de lutte. »

L’autre finalité du système doit être de documenter les phénomènes de coexposition, identifiés depuis plusieurs années par la recherche pour expliquer la mortalité des abeilles. « Ce point est primordial car la recherche se heurte toujours au problème d’effectif des populations pour la significativité des études de terrain. L’idée serait donc de rechercher de façon systématique un certain nombre de facteurs potentiellement en cause dans la mortalité, pour peut-être identifier des profils de situations épidémiologiques de coexposition, ce qui pourrait orienter les projets de recherche. »

Définir un socle de dépistage de base

Jusqu’à présent, les analyses pathologiques ou toxicologiques et les enquêtes phytosanitaires ne sont pas systématiques, mais dépendent de la symptomatologie observée. L’Anses recommande de modifier cette approche et de définir un socle de dépistage de base commun à toutes les déclarations, d’autant plus utile pour documenter les situations de coexposition. Procéder à des analyses multirésidus et à la recherche de certains agents pathogènes de façon systématique, caractériser les pratiques de l’apiculteur, tenir compte des conditions climatiques… autant de points à intégrer au socle. Mais pas question pour autant d’en arriver à une investigation automatisée. Pour Pascal Hendrikx, « l’enquêteur doit absolument garder un esprit clinique pour renforcer, si besoin, la détection de certains produits phytosanitaires ou d’agents pathogènes ».

Pour autant, un tel système ne serait pas forcément suffisant pour trouver une cause à toutes les mortalités notifiées ni expliquer de manière définitive l’origine de la mortalité globale. « La surveillance décrit un phénomène, elle n’a pas pour objectif de trouver une cause, même si elle aide à formuler des hypothèses, souligne Pascal Hendrikx. Par ailleurs, il faut faire attention à l’interprétation des résultats de la surveillance, on risque parfois d’orienter les conclusions en faveur des facteurs les plus faciles à mettre en évidence, sans aller forcément en chercher d’autres qui sont également déterminants. » Pour exemple, la maladie noire, provoquée par le virus de la paralysie chronique, peut présenter la même symptomatologie qu’une intoxication chimique… Avec à la clé, une frustration des apiculteurs, pouvant contribuer à une sous-déclaration des cas auprès des autorités sanitaires. D’autres réalités entrent également en ligne de compte, comme le manque de réactivité des autorités sanitaires de certains départements lié à une insuffisance de personnel et de moyens, le manque de formations et de compétences à l’échelon régional, etc. Comme le conclut Pascal Hendrikx, « tout le travail reste à faire ».

1 bit.ly/2EGD9qi.

2 bit.ly/2EHWQtK.

3 bit.ly/2sL8xcH.

4 Produits phytopharmaceutiques, biocides et médicaments vétérinaires.

L’UNAF APPELLE À LA VIGILANCE

Sollicitée par nos soins, l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) nous informe être globalement satisfaite du travail de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Elle appelle toutefois à la vigilance quant à la bonne prise en compte des recommandations de l’Anses par la Direction générale de l’alimentation. Pour l’Unaf, une analyse multirésidus systématique, une meilleure formation des acteurs, une augmentation des moyens humains et financiers, et une meilleure standardisation et formalisation des protocoles de gestion constituent des points majeurs à mettre en œuvre en priorité. La question de la prise en charge des coûts liés à la visite du vétérinaire apparaît comme un point de vigilance.

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