La place de l’épilepsie dans la formation continue des vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018

ENQUÊTE

Auteur(s) : PAR HARMONIE KOENINGER  

L’épilepsie canine constitue le premier motif de consultation en neurologie. Quelle est sa place dans la formation continue des vétérinaires ? Comment s’y prennent-ils pour se former ? Avec quelles motivations ? Une enquête a été menée auprès d’un panel de vétérinaires.

Comme le stipule le Code de déontologie vétérinaire dans sa version modifiée du 15 mars 2015, au paragraphe XII de l’article R.242-33 : « Le vétérinaire acquiert l’information scientifique nécessaire à son exercice professionnel, en tient compte dans l’accomplissement de sa mission, entretient et perfectionne ses connaissances. » Ainsi, la formation continue est une obligation déontologique pour la profession vétérinaire. Néanmoins, le praticien reste libre dans le choix des sujets sur lesquels il décide de se former. Parmi les différentes maladies auxquelles il sera confronté, l’épilepsie canine est loin d’être la plus fréquente. Elle constitue cependant le premier motif de consultation en neurologie. C’est une maladie chronique, au caractère polymorphe, aussi bien dans son origine que dans son expression clinique. De plus, établir le bon diagnostic et assurer la meilleure prise en charge possible, adaptée à chaque animal, nécessite que le praticien agisse avec beaucoup de rigueur et de méthode. C’est pourquoi, à première vue, une formation continue régulière sur l’épilepsie canine semble nécessaire. Toutefois, quelle est la place réelle de l’épilepsie canine dans la formation continue des vétérinaires ? C’est la question à laquelle une enquête menée auprès des vétérinaires, avec la collaboration de l’annuaire Roy et de La Semaine Vétérinaire, a tenté de répondre.

Pourquoi se former sur l’épilepsie canine ?

Une interrogation d’abord : pourquoi se former sur l’épilepsie canine ? Réponse en quatre points qui démontrent l’utilité de la démarche.

Savoir la reconnaître

L’épilepsie, comme définie par l’International Veterinary Epilepsy Task Force, est une « maladie du système nerveux central caractérisée par une prédisposition durable dans le temps à générer des crises d’épilepsie ». La crise d’épilepsie, quant à elle, est définie comme une manifestation soudaine, de courte durée et transitoire, d’une activité anormale excessive ou synchrone d’un groupe de neurones du système nerveux central, caractérisée par la survenue transitoire de convulsions intéressant l’ensemble ou une partie du corps, une atteinte du système nerveux autonome, ou un changement de comportement. Cette deuxième définition montre la première difficulté rencontrée avec l’épilepsie : c’est une maladie qui, selon les individus et l’espèce, peut s’exprimer d’une multitude de façons différentes. La symptomatologie des crises d’épilepsie peut également être confondue avec celle d’autres événements paroxystiques, comme les syncopes ou les tremblements de tête idiopathiques. Il est donc nécessaire de connaître les caractéristiques propres aux crises d’épilepsie, afin de savoir la reconnaître et d’éviter les erreurs de diagnostic.

Savoir identifier la cause

L’épilepsie a plusieurs origines différentes : inconnue ou génétique, atteinte ou anomalie intracrânienne ou atteinte extracrânienne métabolique ayant des répercussions sur le fonctionnement cérébral. Ce qui conduit actuellement à classer les épilepsies en quatre grandes catégories : les épilepsies idiopathique, cryptogénique, structurelle et l’encéphalopathie réactionnelle. Par conséquent, le vétérinaire doit connaître la démarche diagnostique à appliquer permettant de ne négliger aucune cause, afin d’identifier l’origine des crises de l’animal et ainsi de proposer l’option thérapeutique la plus adaptée.

Connaître la démarche et les options thérapeutiques disponibles

Le traitement de l’épilepsie, notamment idiopathique, est un traitement à long terme et le plus souvent à vie, qui va nécessiter des ajustements, voire des modifications pour garantir le meilleur contrôle des crises avec le moins d’effets secondaires possible. De plus, la réponse au traitement sera complètement dépendante de l’animal considéré, ce qui nécessite une approche au cas par cas. Il est donc important de bien connaître la démarche thérapeutique à réaliser. Par ailleurs, chaque antiépileptique disponible possède ses propres particularités en matière de protocole d’utilisation. Enfin, notons qu’il est également intéressant de savoir que les options thérapeutiques sont à l’heure actuelle plus restreintes chez le chat.

Pouvoir accompagner le propriétaire

Si l’animal épileptique est amené à vivre tout au long de sa vie avec sa maladie, il en est de même pour le propriétaire. Une bonne connaissance de la maladie permet au vétérinaire de conseiller et de rassurer ce dernier, de lui donner la démarche à suivre lors des crises pour éviter qu’il ne vive la maladie de son animal comme une contrainte.

Degré de confrontation à l’épilepsie et démarche type

Une très grande majorité des répondants est confrontée à l’épilepsie. En effet, 93,9 % d’entre eux ont affirmé qu’ils avaient des animaux épileptiques au sein de leur clientèle (infographie 1). Cependant, compte tenu du faible taux de participation à l’enquête et du fait qu’elle a pu intéresser majoritairement des vétérinaires ayant été confrontés à des cas, il est possible que ce pourcentage soit surestimé. Deux tiers des vétérinaires concernés ont à la fois des chats et des chiens épileptiques dans leur clientèle. Le tiers restant a uniquement des chiens. Le nombre d’animaux pris en charge, en général, est de 1 à 10 chiens épileptiques (72,6 %) contre 0 à 4 chats épileptiques (94,6 %). Les réponses obtenues dans cette partie de l’enquête permettent également d’établir une démarche type réalisée par la majorité des répondants (infographie 2).

Face à un chien ou à un chat amené pour crises convulsives, les vétérinaires interrogent le propriétaire sur celles-ci, puis réalisent un examen clinique général et neurologique, ainsi que des examens sanguins. Dans un second temps, ils réfèrent l’animal afin de faire réaliser des examens complémentaires d’imagerie. S’il est diagnostiqué épileptique, les praticiens instaurent un premier traitement et en ajustent le dosage. Ils réalisent également les visites de suivi clinique, le suivi des paramètres biologiques, ainsi que du ou des taux sanguins d’antiépileptiques. Enfin, s’ils doivent référer un animal diagnostiqué épileptique, ce sera majoritairement pour demander un second avis en cas d’échec thérapeutique.

Formation continue sur l’épilepsie

La formation continue générale

Avant de les interroger sur leur formation continue sur l’épilepsie, l’enquête demandait aux répondants quelles étaient les trois disciplines de la médecine vétérinaire sur lesquelles ils se formaient principalement. Il en ressort que les trois disciplines les plus étudiées par les répondants sont la médecine interne générale (77,1 %), l’imagerie médicale (31,8 %) et la dermatologie (29,1 %). Ce classement semble refléter les cas auxquels les vétérinaires sont le plus confrontés en pratique, à l’exception, cependant, de la médecine préventive. Les réponses obtenues permettent également de constater que seuls 3,4 % des répondants se forment principalement en neurologie, par exemple, ce qui place cette discipline en dernière position de celles les plus étudiées par les répondants.

Les motivations

Sur les 179 vétérinaires ayant accepté de répondre à l’enquête, 171 d’entre eux chez le chien et 163 chez le chat ont répondu être intéressés par une formation sur l’épilepsie lorsque de nouveaux contenus sur le sujet sont disponibles (infographie 3).

Cette formation est motivée tout d’abord par le fait d’avoir des animaux épileptiques dans la clientèle (pour 69 % des répondants chez le chien et 55,8 % chez le chat), mais également par le souhait d’éviter les erreurs de diagnostic (pour 66,7 % des répondants chez le chien et 60,1 % chez le chat). Dans un second temps, environ 40 % des répondants affirment se former pour pouvoir être autonomes sur de tels cas afin d’éviter de référer.

Les modalités de formation

Les vétérinaires motivés pour suivre une formation sur l’épilepsie le font, dans la majorité des cas, une fois tous les deux à cinq ans, pour le chien (62,5 % des répondants) comme pour le chat (83,3 %). Quelle que soit l’espèce, les praticiens se forment d’abord sur la thérapeutique, puis sur la démarche diagnostique (infographie 4).

Le classement est ensuite significativement dépendant de l’espèce considérée : pour le chien, les modalités de modification du traitement sont privilégiées, puis celles d’instauration d’un traitement antiépileptique, celles de suivi de la maladie et les expressions cliniques ; chez le chat sont d’abord étudiées les expressions cliniques, puis les modalités de modification, d’instauration d’un traitement antiépileptique et de suivi de la maladie. L’épidémiologie, la classification des épilepsies et l’hygiène de vie des animaux épileptiques sont étudiées par environ 10 % des répondants.

Avec le lancement de quatre nouveaux antiépileptiques entre 2015 et 2016, retrouver la thérapeutique en première position des sujets les plus étudiés n’est pas surprenant. Il est également possible que le contenu disponible sur le sujet soit plus abondant actuellement. Cette évolution récente du marché peut également expliquer le classement des modalités de modification de traitement en troisième position chez le chien. La deuxième place de la démarche diagnostique semble faire écho au fait que les répondants se forment, entre autres, pour éviter les erreurs de diagnostic. Le même raisonnement peut être tenu pour les expressions cliniques, notamment chez le chat.

Ainsi, les sept principaux sujets étudiés en priorité par les répondants semblent montrer qu’ils se forment sur ce qui leur est indispensable en pratique : identifier les expressions cliniques qui correspondent à des crises d’épilepsie, avoir la bonne démarche diagnostique, savoir comment instaurer et modifier le traitement.

Concernant les outils de formation continue utilisés, 83,6 % des répondants consultent les revues pour se former sur l’épilepsie du chien et 87,2 % sur celle du chat (infographie 5). Arrivent en deuxième position les e-conférences pour l’étude de la maladie chez le chien (52,6 %) et les publications scientifiques pour le chat (48,2 %).

L’écart entre le pourcentage de vétérinaires utilisant le premier et le deuxième outil semble montrer que la revue est l’outil préféré des vétérinaires et qu’il fait l’unanimité au sein de la profession. En deuxième position, les outils cités selon l’espèce sont assez différents par nature. Cela semble démontrer qu’actuellement il existe une disparité des contenus disponibles sur l’épilepsie du chien et sur celle du chat.

À la troisième place des outils les plus utilisés figurent les conférences de congrès (46,2 % des répondants pour le chien et 45,1 % pour le chat), ex aequo, en ce qui concerne le chien, avec la documentation issue de laboratoires. Le classement en troisième position de cet outil pour l’étude de l’épilepsie chez le chien peut être à relier à la récente évolution du marché des antiépileptiques, avec une production plus importante de documentation sur le sujet. Néanmoins, ces documents ne peuvent contenir aucune allégation sur le chat, celui-ci n’étant indiqué comme espèce cible dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’aucun des antiépileptiques vétérinaires disponibles actuellement sur le marché français. Or, ce document est le cinquième outil le plus utilisé pour se former sur l’épilepsie du chat, ce qui laisse penser que, pour cette espèce, la formation continue sur l’épilepsie se fait au moins en partie via des contenus ne concernant que l’épilepsie du chien.

Ressenti sur la formation continue sur l’épilepsie actuellement disponible

Concernant la formation continue actuellement disponible, 91,7 % et 93,4 % des vétérinaires considèrent qu’il est difficile de trouver du contenu sur au moins un aspect de l’épilepsie (infographie 6). Les résultats sont toutefois dépendants de l’espèce. Principalement deux aspects de l’épilepsie du chien sont considérés comme insuffisamment traités : l’hygiène de vie de l’animal malade et les modalités d’instauration d’un premier traitement antiépileptique, auxquels on peut rajouter la classification des épilepsies et les caractéristiques épidémiologiques. Chez le chat, sept sujets sont jugés insuffisamment traités, selon les répondants, dont cinq pour lesquels le contenu disponible est considéré comme significativement plus insuffisant dans cette espèce que chez le chien.

Ainsi, sur le sujet de l’épilepsie du chat, les personnes interrogées considèrent comme insuffisamment traités les caractéristiques épidémiologiques, l’hygiène de vie du chat épileptique, les molécules d’instauration d’un premier traitement antiépileptique, les expressions cliniques, la thérapeutique, la classification des épilepsies, la démarche diagnostique et les critères de choix d’instauration d’un traitement antiépileptique.

Une comparaison rapide entre les aspects les plus étudiés à l’heure actuelle et ceux estimés comme les plus insuffisamment traités révèle que les trois sujets estimés incomplets sont des sujets globalement peu étudiés, exception faite des molécules d’instauration d’un premier traitement antiépileptique chez le chien (infographie 7).

Cela laisse à penser que certains aspects de l’épilepsie sont peu étudiés non pas parce que le vétérinaire ne s’y intéresse pas, mais parce qu’il trouve difficilement du contenu dessus.

Enfin, parmi les cinq aspects de l’épilepsie du chat pour lesquels le contenu disponible est jugé significativement plus insuffisant que chez le chien, on retrouve les trois aspects de l’épilepsie du chat les plus étudiés à l’heure actuelle par les répondants, à savoir les expressions cliniques, la démarche diagnostique et la thérapeutique. Cela semble démontrer un manque de contenu spécifique sur l’épilepsie du chat, qui peut toutefois s’expliquer par la différence de prévalence de cette maladie entre les deux espèces.

Si les vétérinaires pouvaient obtenir davantage de contenu sur les différents aspects énoncés ci-dessus, ils souhaiteraient tout d’abord l’obtenir via les revues spécialisées (environ 60 % des répondants), puis via les e-conférences (environ 50 % des répondants) et les conférences de congrès, ainsi que les publications scientifiques (infographie 8).

Un tel classement semble confirmer qu’actuellement la revue spécialisée est l’outil préféré des vétérinaires. Elle présente l’avantage d’être très accessible pour les praticiens, car de nombreuses cliniques disposent d’un abonnement à une revue ; elle est ainsi directement consultable au travail. Faisant encore l’objet d’études sur son utilisation pour la formation continue vétérinaire, l’e-conférence ou “webinaire”, dont la mise en place est assez récente, est un outil de formation continue qui semble avoir conquis la profession. Il faut reconnaître qu’il présente de nombreux avantages : il limite les déplacements et les frais de transport associés, il permet d’étudier dans un cadre familier et confortable, mais également d’élargir l’échelle d’échange des connaissances. De plus, bénéficier d’un certain anonymat vis-à-vis des autres participants permet à certains vétérinaires d’être plus à l’aise et de participer davantage que dans une conférence. Le choix du conférencier reste cependant primordial, car celui-ci doit savoir rendre sa présentation suffisamment interactive pour que cet outil puisse avoir un véritable impact sur l’amélioration des connaissances et des compétences.

Le questionnaire a été adressé aux vétérinaires exerçant une activité stricte ou mixte en animaux de compagnie, via l’annuaire Roy et La Semaine Vétérinaire. L’enquête se décomposait en trois parties. Dans un premier temps, elle permettait de connaître le degré de confrontation des répondants à l’épilepsie, ainsi que leur démarche face à un cas. Après une question sur la formation continue générale des praticiens, la deuxième partie portait sur leurs motivations pour se former à l’épilepsie et aux autres domaines qu’ils ont choisis, ainsi que les outils de formation continue employés. La troisième partie recueillait leur ressenti sur la formation continue actuellement disponible.

POINTS FORTS

L’enquête montre qu’une grande proportion de vétérinaires est confrontée à l’épilepsie, ce qui les conduit à intégrer cette maladie dans leur programme de formation continue afin de pouvoir assurer la meilleure prise en charge possible. Toutefois, les contenus à disposition semblent incomplets, notamment chez le chat. L’analyse des outils de formation continue utilisés pour étudier cette maladie montre que la revue est un outil indémodable et que le “webinaire” est en passe de devenir incontournable.

Toutefois, compte tenu du faible nombre de participants à cette enquête, les résultats obtenus restent à confirmer.

Sources :
- Koeninger H. « Place de l’épilepsie dans la formation continue des vétérinaires : enquête auprès de 179 vétérinaires ». Thèse de doctorat vétérinaire, Oniris, 2017.
- Wallace S., May S.A. Assessing and enhancing quality through outcomes-based continuing professional development (CPD) : a review of current practice. Vet. Rec. 2016;179(20):515-520.
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