Des attentes concernant le bien-être animal restées vaines - La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018

ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ALIMENTATION

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE 

Le 31 janvier dernier, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Stéphane Travert, a présenté le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable. Ce texte, issu des états généraux de l’alimentation qui ont eu lieu en 2017, laisse les associations de protection animale sur leur faim.

Dans un contexte de préoccupation croissante pour l’avenir durable des productions animales et agricoles au niveau mondial (thème du dernier Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture du 20 janvier, qui a réuni 69 ministres de l’agriculture à travers le monde1), Stéphane Travert a annoncé, le 31 janvier dernier, dans le projet de loi d’application des grands axes stratégiques retenus à l’issue des états généraux de l’alimentation (EGA), les mesures prises à l’échelle de la France à ce sujet. Ce projet est le premier outil de mise en œuvre de la feuille de route 2018-20222 des objectifs et des actions à mener, exposée par le Premier ministre, Édouard Philippe, lors de la journée de clôture des EGA.

Avec les EGA, le gouvernement s’était donné pour objectif, via la concertation de l’ensemble des parties prenantes (producteurs, organisations non gouvernementales, consommateurs, entre autres), d’aboutir à des propositions concrètes et innovantes pour répondre à trois grands objectifs en agriculture et en production animale. D’une part, un objectif économique, en garantissant aux agriculteurs une rémunération plus juste de leur production, d’autre part des objectifs sociétaux, en rétablissant la confiance des consommateurs dans l’alimentation et en réduisant les inégalités sociales en matière d’accès à l’alimentation.

Le projet de loi issu de ces discussions s’articule en 17 articles, dont deux concernent plus particulièrement les missions sanitaires des vétérinaires inspecteurs et le bien-être animal. En effet, pour accroître l’efficience des contrôles, les pouvoirs d’enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments seront renforcés (article 15). Par ailleurs, les nouvelles mesures concernant le bien-être animal sont présentées dans l’article 13. Enfin, ce texte rappelle aux vétérinaires l’importance des stratégies nationales et européennes de lutte contre l’émergence de zoonoses, ainsi que du combat contre l’antibiorésistance en élevage (plan ÉcoAntibio et plans de filière).

Seules deux mesures consacrées au bien-être animal

Dans ce projet de loi, seules deux mesures concernent le bien-être animal. Elles sont destinées aux associations de défense et de protection des animaux et aux établissements d’abattage et/ou de transport d’animaux vivants. Ainsi, tout d’abord, les associations de protection animale auront un pouvoir plus grand pour assurer le bien-être des animaux en se constituant partie civile si une infraction de maltraitance animale prévue et réprimée par le Code rural et de la pêche maritime est constatée (complément de l’article 2-13 du Code de procédure pénale). Jusqu’à présent, seules les infractions présentes dans le Code pénal étaient concernées. La seconde mesure modifie le Code rural et de la pêche maritime (article L.215-11) : si des personnes exploitant des établissements de transport d’animaux vivants ou des abattoirs exercent ou laissent exercer de mauvais traitements envers les animaux, cela constitue un délit. La sévérité des sanctions encourues est aussi renforcée (un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende).

Interrogé sur ce projet de loi, notre confrère Jean-Pierre Kieffer, président de l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), nous a indiqué déplorer le fait que le bien-être animal soit passé au second plan, à l’issue des EGA, au profit des questions économiques : « Le projet de loi vise davantage à rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs, industriels et distributeurs qu’à améliorer les conditions d’élevage et d’abattage des animaux. » En effet, les principales associations de protection animale membres du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav), au premier rang desquelles l’OABA, ainsi que les principaux acteurs de la filière avaient été sollicitées lors du lancement des EGA afin de participer aux consultations des différents ateliers. Les conclusions remises à l’issue de ces discussions avaient porté sur l’importance d’instaurer les deux mesures présentes dans l’article 13, mais aussi sur d’autres points essentiels pour le bien-être animal, tels que l’amélioration de l’information du consommateur (via la mise en place d’un étiquetage obligatoire portant sur les modes d’élevage et d’abattage pour tous les produits carnés, laitiers et les ovoproduits), le respect du bien-être animal dans toutes les filières d’élevage françaises (rapport de l’OABA et de l’association Compassion in World Farming, CIWF, mais aussi du plan filière viande bovine française présenté par Interbev3) et des conditions de transport et d’abattage correctes (notamment via la mise en place d’une vidéosurveillance obligatoire dans les abattoirs4. Enfin, la hausse des effectifs d’inspecteurs des services vétérinaires qui réalisent des contrôles réguliers du respect des règles au poste d’abattage avait également été demandée.

Abandon de la vidéosurveillance obligatoire en abattoir ?

L’article 13 du projet de loi n’est donc « pas pleinement satisfaisant, selon Jean-Pierre Kieffer. Un seul article concerne le bien-être animal et les seules mesures présentes portent sur des sanctions des professionnels, ce qui ne constitue pas un message très positif. »

La recommandation d’une vidéosurveillance obligatoire en abattoir fait partie des grandes mesures absentes. « Les dispositions relatives aux sanctions en abattoir de la proposition de loi du député Olivier Falorni ont été reprises, mais la mesure phare de la vidéosurveillance n’apparaît pas. » En effet, selon le président de l’OABA, « cela ne suffit pas ». La vidéosurveillance est nécessaire à deux niveaux. « Afin qu’un acte de maltraitance en abattoir puisse être considéré comme un délit, comme le prévoit le projet de loi, il faut que les inspecteurs vétérinaires puissent s’appuyer sur des vidéos, des éléments de preuve. Comme l’a très justement souligné, le 18 janvier dernier, le député Olivier Falorni, “c’est comme si le gouvernement annonçait qu’il voulait combattre les excès de vitesse en supprimant les radars”. » De plus, ces vidéos comportent un intérêt pédagogique. Pour faire évoluer les mauvaises pratiques en abattoir, les vétérinaires inspecteurs et les responsables d’abattoir peuvent s’en servir comme supports de formation initiale et continue. L’effet positif de la vidéosurveillance nous a été confirmé par Michel Courat, vétérinaire délégué coordinateur de l’OABA, qui, durant neuf ans (de 1999 à 2008), a travaillé en Grande-Bretagne au poste de vétérinaire officiel et d’auditeur officiel pour les contrôles réalisés en abattoir. La vidéosurveillance est une pratique volontaire très répandue en Grande-Bretagne dans les abattoirs en contrat avec la plupart des supermarchés. Elles ne sont pas utilisées à des fins de répression, mais pour la formation sur le bien-être animal et l’hygiène. « C’est un gage de qualité et de transparence permanente pour les consommateurs. Ce serait un atout majeur en France pour relancer la confiance des consommateurs envers la filière viande et améliorer l’ensemble du système », souligne ainsi Michel Courat. En dépit de retours positifs, « les grands abattoirs français tels que Charal, Bigard et Socopa sont encore méfiants à l’égard de ces enregistrements vidéos qu’ils craignent de voir utilisés et détournés par des salariés hors du site d’abattage, comme ce fut le cas pour certaines vidéos chocs diffusées par l’association L214 [en décembre 2016, NDLR], développe Jean-Pierre Kieffer. C’est sûrement la raison pour laquelle cette mesure n’a pas été retenue par le gouvernement dans son projet de loi ».

Oubli d’autres recommandations phares

Cependant, la vidéosurveillance n’est pas la seule grande mesure que l’État aurait dû retenir dans son projet de loi, souligne Jean-Pierre Kieffer. « Les inspections régulières de vétérinaires sur la chaîne d’abattage devraient aussi être rendues obligatoires » afin d’assurer un respect des bonnes pratiques en matière de bien-être animal sur la chaîne d’abattage.

Par ailleurs, bien que la réponse aux attentes d’information et de bien-être du consommateur ait été mise au cœur des débats lors des EGA, les recommandations des associations et des acteurs de la filière à ce sujet sont restées vaines. Pourtant, le CIWF et l’OABA avaient rappelé l’intérêt d’un étiquetage systématique mentionnant le type d’élevage (mode de production), ainsi que les méthodes d’abattage : « Le système mis en place depuis 2004 sur l’œuf coquille est une illustration de la réussite d’un tel étiquetage. »

Les seuls espoirs de notre confrère Jean-Pierre Kieffer et des associations de protection animale restent donc que, par le jeu des amendements, ce texte puisse évoluer et que la mesure de vidéosurveillance réapparaisse. Affaire à suivre.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1750 du 9/2/2018, page 13.

2 bit.ly/2E053gZ.

3 bit.ly/2ELlslf.

4 bit.ly/2BD1PgS.

ÉVOLUTIONS DU PROJET DE LOI ?

Ce texte devrait être officiellement publié avant la fin de l’année 2018. Une partie des propositions de loi sera soumise au vote des parlementaires à partir de mars ou avril, l’autre partie faisant l’objet d’ordonnances publiées, pour la plupart, dans les six mois après la promulgation de la loi, selon le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.
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